Publié le 1 juillet 2016 à 15h31 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 15h28
Le rideau s’ouvre sur une rue d’Asmara, en Érythrée, dans les années trente. Un phonographe débite une chanson qui installe le contexte : colonisation, racisme, Mussolini… L’ambiance est pesante; dans un coin, pendu par les pieds, un autochtone paye violemment on ne sait trop quoi. Et alors que s’égrènent les notes lumineuses de l’ouverture de «Cosi fan Tutte», Guglielmo viole une jeune femme noire dans une ruelle sordide. C’est là que Christophe Honoré a choisi d’installer l’action.
Fiordiligi et Dorabella seront des filles de colons, Guglielmo et Ferrando deux soldats de l’armée de l’Italie fasciste et Don Alfonso une sorte d’aventurier cynique et brutal. «Chaleur, sensualité, violence, amour sont nos points cardinaux», écrit le metteur en scène. De ce côté-là c’est plutôt réussi et l’ambiance pesante, dont nous parlons plus haut, ne va pas s’estomper au fil des actes, plombant totalement l’action, effaçant toute trace de farce au point même que le public n’aura pas envie d’applaudir les airs pourtant bien donnés. Entre viols et scènes de racisme ordinaire, Christophe Honoré va décortiquer les caractères de chacun des protagonistes en se rajoutant des complications puisqu’il fait revenir Guglielmo et Ferrando grimés en dubats, mercenaires africains, pour tester la fidélité de leurs amies. Alors oui, c’est violent, cruel, sexuel, physique mais force est d’avouer que l’on est plus près de la réalité ici (même si à cette époque il était hors de question pour une femme blanche d’approcher un homme noir) que dans un boudoir 18e à observer les minauderies des unes et des autres. Et tout ne finira pas bien comme le veut le livret, un seul couple s’étant reformé, celui de Dorabella et Ferrando, qui a choisi de vivre en toute liberté, Guglielmo repartant en solitaire violent, tous abandonnant Fiordiligi, seule sur scène, une arme dans les mains. Elle sera la victime, celle qui ne supportera pas l’humiliation d’avoir voulu rester fidèle puis de s’être abandonnée, amoureuse, dans les bras d’un autre avant de voir cet autre s’en aller avec sa sœur. Blessée au plus profond d’elle-même elle ne pardonnera à personne. Et personne ne viendra lui exprimer de la compassion. Issue fatale ? On ne le saura jamais. On a le droit, ou non, d’apprécier le travail de Christophe Honoré. Il a pris un parti, l’a développé, s’y est tenu et est allé jusqu’au bout de son propos sans faillir. Une honnêteté intellectuelle qu’il faut lui reconnaître. Après, chacun se forgera son avis.
Pour servir ses choix, le metteur en scène a pu compter sur l’investissement d’une distribution très homogène. Qualités vocales, mais aussi beauté physique pour un trio féminin composé de Lenneke Ruiten, Fiordiligi, Kate Lindsey, Dorabella et Sandrine Piau, Despina. La première en proie aux affres de la torture amoureuse est une soprano à la ligne de chant fluide et aérienne; sa sœur, plus prompte à s’emparer des plaisirs de la vie, est puissante et précise dans son chant. Étonnante, aussi, Sandrine Piau en soubrette affranchie, libre, qui n’hésite pas à prendre des poses suggestives, voire érotiques, que l’on avait, jusqu’à ce jeudi soir, du mal a imaginer chez elle. La voix est égale à elle-même, superbe, et elle joue à la perfection. Joël Pietro est Ferrando et Nahuel di Pierro, Guglielmo. Pour eux, Christophe Honoré semble avoir relâché sa direction d’acteurs et leur jeu est parfois brouillon. Le premier est un ténor précis et son ami une basse avec de beaux aigus. C’est le baryton Rod Gilfri qui incarne Don Alfonso, les membres du chœur de l’Opéra de Cape Town apportant leur savoir-chanter à cette production. A la tête d’un orchestre lumineux, le Freiburger, Louis Langrée livre une direction fine, attentive et ciselée, apportant un peu de fraîcheur et d’oxygène à cette production qui a ouvert, jeudi soir, le Festival d’Aix en Provence, plutôt bien accueillie par le public même si le metteur en scène est arrivé aux saluts sur une majorité de sifflets.
Michel EGEA
Pratique – « Cosi fan tutte » au Théâtre de l’Archevêché à 21h30 les 2, 5, 8, 11, 13, 15, 17 et 19 juillet. Les représentations du 17 et 19 juillet seront dirigées par Jérémie Rhorer. Renseignements et réservations à la boutique du Festival, Palais de l’Ancien Archevêché, Place des martyrs de la résistance 13100 Aix-en-Provence.
Tél. : 0 820 922 923 (12 cts /min.) et sur la billetterie en ligne festival-aix.com