Publié le 17 avril 2014 à 11h38 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 17h48
Ça c’est du festival ! En quittant le GTP, mercredi soir, nous étions nombreux à le penser. Il faut dire que le mot « exceptionnel » clignotait, tous néons éclairés, au-dessus du moment musical que nous venions de vivre. Comme la valse, un moment musical à deux temps marqué par une fée, Lisa Batiashvili, qui avait troquée sa baguette magique pour un archet sensible au moment de jouer Beethoven et par un jeune directeur musical tout droit arrivé de la baie du Saint-Laurent, Yannick Nézet-Séguin, pour donner une dimension cinémascopique à la symphonie « Pathétique » de Tchaïkovski.
« Elle joue bien et en plus elle est ravissante« , réflexion entendue dans la bouche d’une dame, un tantinet jalouse peut-être, à l’issue du triomphe reçu par la violoniste Lisa Batiashvili.
Devant les musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Rotterdam, qui prouvaient, en la circonstance, que dans leur port il n’y a pas que des marins qui chantent, comme à Amsterdam, la soliste que tout le monde s’arrache actuellement avait choisi de donner le concerto pour violon en ré majeur de Beethoven avec une des cadences écrite pour lui par Alfred Schnittke.
Cadence passée dans l’histoire pour avoir été jouée, et enregistrée, par Gidon Kremer. Il n’a pas fallu beaucoup de mesures pour oublier le bleu, quelque peu agressif, de la robe de la fée et se délecter d’un jeu à nul autre pareil. Avec sensibilité et finesse, mais aussi une énorme personnalité et des attaques d’une précision extrême, elle tire le meilleur de l’âme de son Joseph Guarneri « del Gesu », un violon de 1739.
Difficile de retranscrire par les mots un espace-temps hors normes suspendu aux caresses de l’archet de l’artiste. Moment d’émotion qui ne vaut que parce qu’il a été vécu. Sur son estrade, Yannick Nézet-Séguin, le directeur musical du jour, n’a pas de peine à maintenir les pupitres de l’orchestre au niveau de la qualité de l’interprétation de la soliste. Et le bis, une chanson géorgienne, sera servi comme une friandise. La magie de la fée Lisa a opéré… Yannick Nézet-Séguin est canadien. Un solide gaillard descendu des Montagnes Rocheuses ? Que nenni ! Le maestro a vu le jour à Montréal.
Mais il a conservé la passion pour l’immensité des paysages de belle province natale et donne à sa lecture de la 6e symphonie de Tchaïkovski, dite « Pathétique », une dimension XXL sur écran géant. Les deux pieds ancrés sur son estrade, sans partition ni baguette, il embarque les excellents musiciens hollandais, et nous par la même occasion, sur des sentiers oniriques. On commence par des champs de bataille où les affrontements des monstres dressent les cordes face aux vents, les cuivres face aux timbales. Tolkien et son « seigneur des anneaux » ne sont pas loin; Gollum se cache-t-il côté cour ou côté jardin ? Nous ne le saurons jamais car avec le deuxième mouvement, le fantôme de « Sissi impératrice » entre sur scène pour danser cette valse à cinq temps, sans fin, devant les miroirs du palais. Yannick Nézet-Séguin profite des couleurs de ses cordes pour faire tournoyer la musique. Puis c’est l’heure des grands espaces. Le troisième mouvement comme « la conquête de l’Ouest », folle chevauchée de cordes là aussi, rythmée par les cuivres saillants et les percussions. Une vraie musique pour film en technicolor, puissante et prenante, comme un chant du cygne, un dernier emballement de la vie avant l’adagio lamentoso du final.
Séquence émotion pour ce dernier; on tourne le remake de « Mort à Venise ». Un chapeau, un manteau, l’homme s’échappe dans les ruelles de la sérénissime. La musique s’échappe, aussi, tout doucement, irrémédiablement. Tiens, j’ai cru voir Gustav… Au large, la brume s’épaissit au-dessus de l’île cimetière de San Michele. On ne voit plus le clocher de l’église baroque. La musique n’est plus. L’homme ne sera bientôt plus. Quelques jours après avoir dirigé cette symphonie, Tchaïkovski quittera ce monde.
Elle était vraiment passionnante votre lecture de cette œuvre, Maestro.
Vous revenez à Aix-en-Provence quand vous voulez…
Michel EGEA
La fée, le Canadien et les musiciens hollandais
Voilà dix ans que le Montréalais Yannick Nézet-Séguin est apparu sur la scène française : en 2004, un concert à la tête de l’Orchestre du Capitole de Toulouse a signé ses débuts européens. Depuis, tout en poursuivant une carrière florissante outre-Atlantique, il s’est taillé une réputation flatteuse sur le Vieux Continent.En 2008, il a été unanimement choisi par les musiciens de l’Orchestre philharmonique de Rotterdam pour succéder à Valery Gergiev au poste de directeur musical, un contrat qui a été renouvelé jusqu’en 2018. C’est donc avec cette phalange bientôt centenaire, qu’il se produit au Festival de Pâques 2014.Au programme de la soirée, une oeuvre du répertoire russe, un des socles de l’Orchestre : la Sixième Symphonie de Tchaïkovski ; en réponse, le Concerto pour violon de Beethoven, avec l’une des plus grandes violonistes actuelles, la Géorgienne Lisa Batiashvili.
Au programme de ce vendredi 18 avril
Myung-Whun Chung dirige la 9ème de Mahler
A monument musical, monument de direction et orchestre monumental. Une seule œuvre au programme à 20h30 au GTP : la symphonie n°9 en ré majeur de Gustav Mahler donnée par les musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Radio France sous la direction de Myung-Whun Chung. Un moment unique ; certainement à guichet fermé. Mais vous pouvez toujours tenter votre chance en téléphonant au 08 2013 2013.