Publié le 17 avril 2022 à 21h49 - Dernière mise à jour le 5 novembre 2022 à 12h05
Comme il en a la bonne habitude, le Festival de Pâques d’Aix-en-Provence réserve des moments musicaux privilégiés à ceux qui le fréquentent. Ainsi, si la semaine écoulée a donné l’occasion d’entendre des pianistes prestigieux, elle a aussi proposé des moments plus émouvants et spirituels qui, au-delà de la simple expression musicale, ont amené à se retrouver face au monde et à soi même.
L’émotion, c’était lundi dernier, entre les murs de briques de la tuilerie des Milles. La sinistre histoire du lieu, camp d’internement et de déportation à partir de septembre 1939, en fait désormais un site-mémorial qui ne se visite pas sans un sentiment de malaise. Y donner le «Quatuor pour la fin du temps» d’Olivier Messiaen était un acte fort du Festival de Pâques, et ce pour plusieurs raisons. Crimes de guerre en Ukraine, émergence de dictatures : le monde n’a pas retenu les leçons de l’Histoire et renouvelle régulièrement déportations et génocides. Aux Milles, nombre d’artistes étaient retenus ; alors, ici, la musique composée par Messiaen en 1940 au camp de prisonniers de Görlitz n’en a que plus de puissance.
Et si ce quatuor est souvent décrit comme l’une des premières manifestations de la foi du compositeur, il peut inviter à accéder à un degré supérieur de réflexion au-delà de la simple croyance. Quant aux émotions, chacun les vit à sa façon ; pour preuve ces images du camp d’Auschwitz qui sont revenues à notre mémoire alors que Pascal Moraguès donnait avec densité le 3e mouvement «Abîme des oiseaux», puissant solo de clarinette pour accompagner les grilles, les corbeaux, la neige grise et la déambulation des condamnés vers les cheminées de briques. Et le violoncelle lumineux de Kian Soltani, un peu plus tard, pour une « Louange à l’éternité de Jésus» comme un in-memoriam pour les juifs, tziganes, homosexuels et toutes les autres victimes du nazisme. Un temps très fort auquel Renaud Capuçon, son violon, et Hélène Mercier au piano ont aussi participé avec sensibilité laissant une salle archicomble à sa réflexion.
Une Passion spirituelle et dense vendredi soir, c’est «La Passion selon Saint-Jean» qui était donnée au Grand Théâtre de Provence par Café Zimmermann et l’ensemble vocal Vox Luminis. Une tradition établie au Festival qui veut que le soir du vendredi saint, une Passion de Bach, en alternance selon Matthieu ou Jean, soit donnée. Pour une interprétation qui demande moins de volume que celle selon Saint-Matthieu, le choix était idéal, tant du côté de l’orchestre que de celui du chœur.
Café Zimmermann, dont la réputation n’est plus à faire concernant ses lectures de Bach, a sonné comme à son habitude, rond et coloré. Des cordes soyeuses et généreuses aux côtés de Pablo Valetti donnant les départs du regard, un continuo parfait emmené depuis l’orgue par Céline Frisch, des vents précis et chaleureux :
c’était Café Zimmermann comme on le connaît et comme on l’aime. Même si nous l’aurions préféré un peu moins en retrait sur scène par rapport à l’orchestre, le ténor Raphael Höhn fut un bon évangéliste. L’ensemble vocal Vox Luminis, lui, est resté fidèle à sa flatteuse réputation, lumineux comme son nom l’indique, rigoureux sous la direction, depuis sa place, de Lionel Meunier. Seize voix pour magnifier Bach et un énorme coup de cœur pour le haute-contre Alexander Chance, qui fut d’une rare beauté vocale dans ses interventions; la classe !
Haendel royal avec Laurence Equilbey
Le lendemain, samedi, les pulsations étaient signées Haendel (ou Händel comme il l’écrivait lui même). Pulsations amoureuses avec des airs de «Rodelinda» et «Ariodante», pulsations spirituelles avec un «Dixit Dominus» très expressif. Pour la circonstance, la directrice musicale Laurence Equilbey retrouvait un chœur et un orchestre qu’elle affectionne toute particulièrement puisqu’elle les a créés : accentus et Insula orchestra ; et même si c’est désormais Christophe Grapperon qui dirige l’ensemble vocal, Laurence Equilbey prend toujours autant de plaisir à travailler avec lui. Pour preuve l’interprétation précise, voire rigoureuse, mais réjouissante et très contrastée du «Dixit Dominus».
Une œuvre qui, comme les airs d’Ariodante et Rodelinda donnés en première partie, a bénéficié de la couleur et de la chaleur d’un orchestre sonnant particulièrement bien en ce samedi soir. Insula orchestra possède désormais une grande personnalité et peut s’égayer avec bonheur au sein de son répertoire de prédilection, entre baroque et pré romantisme, sous la direction toujours intelligente et attentive de sa directrice musicale. Devant le chœur et l’orchestre, les solistes Francesca Aspromonte, Chiara Skerath et Lawrence Zozzo se sont taillés un beau succès avec une mention pour Chiara Skerath éblouissante de puissance et de virtuosité dans son grand air d’Ariodante. Émotion, passion, pulsation : la première semaine du Festival de Pâques d’Aix-en-Provence a tenu ses promesse. Place désormais à la deuxième semaine, tout aussi riche.
Michel EGÉA
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