Ce sont deux soirées d’une exceptionnelle densité artistique qui viennent d’être proposées au public du Festival de Pâques d’Aix-en-Provence. Dans un GTP, ivre de bonheur, Bertrand Chamayou tout d’abord et le trio Renaud Capuçon-Kian Soltani-Mao Fujita ensuite ont fait entendre la musique de Ravel, Schubert et Brahms dans ce qu’elle possède de plus magique.

Bertrand Chamayou: une performance physique, artistique et intellectuelle
« Mais comment fait-il pour jouer l’intégrale pour piano seul de Ravel en une seule soirée et sans partitions sous les yeux ? », se sont demandés bon nombre de spectateurs dont Alexandre, Louis et Matteo, étudiants ingénieurs aixois et mélomanes chevronnés qui venaient au GTP pour la première fois et qui ajoutèrent non sans pertinence : «Il est tout seul sur la scène et on croit entendre tout un orchestre ». On leur répondra qu’effectivement la question méritait d’être posée, tant on fut, les uns et les autres, sidérés (en bien) par ce qu’il faut concrètement appeler un tour de force à la fois physique, artistique et intellectuel.
Plus de deux heures de concert d’une beauté absolue, avec tout de même un entracte au milieu durant lesquelles le virtuose a enchaîné les morceaux sans aucun temps mort, en faisant respirer les silences, et en servant avec humilité et détermination l’œuvre de Ravel se trouvant ici totalement sublimée. La force du récital, outre la perfection du doigté du pianiste fut de proposer cette intégrale Ravel sans privilégier l’ordre chronologique. «Jouer Ravel, c’est un retour à la maison, car cette intégrale m’accompagne depuis tout petit, Ravel ayant été un personnage clé dans mon développement musical, et c’est une œuvre qui m’est complétement familière », explique Bertrand Chamayou. Chamayou dans son jardin donc… inégalable et au regard des autres pianistes s’étant attaqués à l’ensemble, pratiquement inégalé. Intelligence du concert que d’avoir terminé chacune des deux parties par deux œuvres phares « Gaspard de la nuit » et « Le tombeau de Couperin » dans une interprétation nette, puissante poétique à tomber par terre. Les « Jeux d’eau », « Le menuet antique » « A la manière de Borodine », d’une perfection là aussi absolue, furent notables pour l’onirisme dont fit preuve dans son jeu un Bertrand Chamayou au sommet de son art. Époustouflant, bouleversant et d’une virtuosité sans failles qui ne voulut jamais s’afficher comme telle.
————————————————————————————————————————————-
Un trio exceptionnel pour deux trios piano-cordes d’une beauté à couper le souffle
Lui aussi au GTP d’Aix-en-Provence, comme en son jardin, Renaud Capuçon s’est entouré, comme il aime le faire, de deux autres artistes plus jeunes pour l’accompagner sur le « Trio pour piano et cordes n°1 » de Schubert et le « Trio pour piano et cordes n°1» de Brahms comme on ne les entend jamais. A ses côtés le pianiste Mao Fujita qui vient de signer une intégrale des sonates pour piano de Mozart qui fera date, et le violoncelliste Kian Soltani ont eux aussi illuminé les deux œuvres de leur génie musical. Perfection du son, intensité d’un dialogue riche en couleurs des trois interprètes, humilité évidente, furent réunis en cette (encore) soirée festive du GTP un piano roi, et deux instruments à cordes portés au firmament de la poésie musicale. On entend toutes les notes, distinctement, on assiste à un dialogue onirique entre les trois musiciens, prompts à faire jaillir la passion et la sensualité de l’écriture instrumentale de Schubert et Brahms. Un concert d’une élégance absolue, d’un amour inégalable de la musique, d’une envie louable de transmettre, et d’une virtuosité là encore sans failles qui, comme ce fut le cas avec Bertrand Chamayou, ne s’est jamais affichée comme telle. Lumineux, intense et inoubliable !
Jean-Rémi BARLAND