Comme le facteur du roman (mais ici de manière totalement pacifique) le talent du violoniste Gil Shaham a sonné deux fois lors de ce Festival de Pâques 2024. Le 1er avril d’abord où en compagnie du pianiste Gerhard Oppitz il a donné un récital Brahms/Chostakovitch de toute beauté.
S’il est bien un espace aixois s’imposant comme un écrin parfait pour la musique de chambre c’est bien le Théâtre du Jeu de Paume. Chaque année y sont programmés, dans le cadre du Festival de Pâques notamment, des récitals de toute beauté. Gil Shaham et le pianiste Gerhard Oppitz y étaient conviés pour interpréter la « Sonate en sol majeur, op. 78 » de Johannes Brahms et la redoutable « Sonate pour violon et piano, op. 134 » de Dmitri Chostakovitch. Un programme exigeant donc donné avec aisance, humilité et maestria.
Les deux solistes s’écoutant, se comprenant, dialoguant même dans un mélange de sobriété et d’éclat ont fait redécouvrir deux joyaux de la sonate. Piano léger qui donne la réplique à un violon intensément chantant, la « Sonate op. 78 » de Brahms la première des sonates pour violon et piano publiées par le compositeur, (mais pas la première qu’il composa) a tout pour séduire. Joie évidente s’exprimant ici, bien que surgissent des moments mélancoliques, sa structure tranche avec la « Sonate pour violon et piano, op.134 » de Chostakovitch qui, comme son deuxième concerto pour violon, « semble danser au bord de l’abîme ». Une œuvre intransigeante qui dessine un paysage désolé, et livre une atmosphère crépusculaire. Difficile à jouer, à écouter mais d’une beauté absolue si on lâche prise, c’est un immense morceau de musique servi par deux virtuoses en entente parfaite.
Entouré de jeunes musiciens
Retour au Jeu de Paume pour Gil Shaham ce samedi 6 avril. Avec toujours la même aisance, et la même humilité face à des œuvres de musique de chambre comptant parmi les belles réussites du genre, le violoniste nous a subjugués par le phrasé précis de son jeu virtuose. A ses côtés étaient réunis quatre jeunes talents formant pour l’occasion la structure de ce concert intitulé (c’est aussi chaque année une tradition) « Génération@Aix ». Autour de lui la violoniste Aubree Oliverson, remarquée au Festival de Verbier, l’altiste Karolina Errera, gagnante du concours Yuri Bashmet, le violoncelliste ukrainien Aleksey Shadrin, quatrième du concours Reine Élisabeth, et le pianiste Federico Gad Crema, lui aussi un des virtuoses les plus prometteurs de sa génération. Avec un programme offrant de larges espaces à l’expression et à la dextérité de chaque intrumentiste.
Le « Quintette avec piano en sol mineur, op. 57 » de Chostakovitch tout d’abord, compositeur que Gil Shaham avait déjà servi avec éclat lors de son récital donné aux côtés de Gerhard Oppitz. C’est une œuvre de jeunesse, marquant l’accession de Chostakovitch à un style personnel, où fusionnent influences historiques, effets de couleur et palette émotionnelle bigarrée. Organisé en cinq parties le « Quintette », s’articulant autour de son « scherzo » central, propose un mouvement final qui résout les tensions accumulées.
Avec bienveillance ayant l’œil sur tous Gil Shaham orchestre ce moment musical intense où l’on saluera sa griffe personnelle et l’inventivité de chacun. Magnifique piano que celui de Federico Gad Crema par exemple et des deux jeunes femmes. Perfection du violoncelle autant de qualités que l’on retrouve dans le « Quintette pour piano et cordes op. 81 » de Dvorak joué en fin de programme (organisation inversée par rapport à la brochure mais annoncée avant le récital). Enchanteur et mélancolique son « Andante con molto» s’inspire de la dumka, une ballade populaire ukrainienne que Dvorak affectionne. Extrêmement long et pour tout dire un peu répétitif, cet « Andante » a permis en particulier au violoncelliste ukrainien Aleskey Shadrin d’être sur scène comme en son jardin. L’ensemble fut parfait, et même si on ne goûte pas forcément tous les instants de cette promenade à l’intérieur de cette ouvre aux longs tunnels force est de constater que les musiciens l’éclairèrent de leur talent communicatif. Gil Shaham, ayant su, de toutes évidences fort bien s’entourer.
Jean-Rémi BARLAND
