Publié le 9 août 2019 à 20h23 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 12h06
Vous en connaissez beaucoup des pianistes qui donnent leur récital en chaussettes parce qu’ils ont oublié d’apporter dans leurs bagages leurs chaussures de concert ? Vous avez déjà vu lors d’une soirée en public, le maître du moment interrompre le morceau qu’il joue à la perfection -en l’occurrence une «Berceuse» de Tchaïkovski- en disant «non, j’en fais un autre… », et de rajouter en début de programme une partie non prévue censée apparaître plus calme que ce qui vient d’être proposé ? C’est que vous n’avez jamais croisé Boris Berezovsky à la Roque-d’Anthéron. Pour les chaussettes c’était il y a quelques années, pour le Tchaïkovski «inachevé» c’était il y a quelques jours. Il est comme ça Berezovsky. Fantasque, imprévisible, et ça passe, en raison du caractère gigantesque de ses interprétations. Dans un Parc Florans tout entier acquis à sa cause, il n’a pas seulement distillé quelques facéties, mais a offert une prestation de grande ampleur. Ajoutons que Boris Berezovsky n’est pas qu’imprévisible. Il est aussi généreux, à des hauteurs humaines assez incroyables. En effet, en ce soir de La Roque il avait décidé de consacrer l’intégralité de son cachet à la fille de ses voisins, en Russie, la petite Nastia, une fillette de sept ans, atteinte d’une tumeur au cerveau. Et, on apprenait aussi qu’à l’initiative du pianiste, une cagnotte participative a été créée pour poursuivre un nouveau protocole de soins coûteux mais encourageants. Plus d’informations étant disponibles sur un lien donné sur le programme de la soirée, qui a pour but de «permettre à Nastia de réaliser ses rêves d’enfant ». Cela ne serait que sympathique et poignant si Boris Berezovsky n’était pas de plus un pianiste exceptionnel, de densité de luminosité de jeu, de grâce et de force. En l’écoutant donner sa première partie entièrement consacrée à Scriabine, on en est, intimement persuadés. Mélange de force et de douceur, les doigts courent sur le clavier, les images naissent dans la tête des spectateurs. La deuxième partie du concert moins ardue pour l’auditeur (Scriabine a beau être magnifique, il s’inscrit dans la complexité) offrait le Scherzo du Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn revisité par Rachmaninov d’une beauté absolue.
Nicholas Angelich aussi est un pianiste qui semble venir d’une autre planète. Sa démarche gauche qui le fait ressembler à l’albatros de Baudelaire quand il entre en scène ne laisse pas deviner une légèreté quasi divine quand il fait surgir de son piano les premières notes des œuvres interprétées. En l’occurrence celui du Concerto pour piano N° 1 de Chopin. Concerto qu’en général les chefs d’orchestre n’affectionnent guère, car il leur faut accompagner le soliste, le seul à être mis constamment en valeur, cet opus 11 de Chopin a bénéficié d’une fusion totale entre le chef Lars Vogt et Nicholas Angelich, médium l’un comme l’autre de la musique de Chopin. Le compositeur n’est pas «joué», il semble être là, présent, face à nous, dans une atmosphère de confidence artistique. La musique de l’âme en quelque sorte .
Jean-Rémi BARLAND