Dans la vie des concerts, il est des moments où la perfection d’un interprète transcende de manière inoubliable l’instant de partage auquel on s’attend. La soirée du 5 août restera dans les annales du festival de la Roque d’Anthéron comme un des sommets de sa longue et riche histoire.
Habitué des lieux, Nikolaï Lugansky s’est cette année particulièrement investi dans l’anniversaire Rachmaninov, parcourant l’ensemble de son œuvre au travers de multiples programmations internationales. Ce compositeur est aujourd’hui synonyme du déploiement ultime du piano, comme instrument et comme médium bouleversant d’émotion musicale.
En faisant rayonner sans faille l’écriture constamment foisonnante et tragique de ce répertoire exigeant, l’immense dimension pianistique, musicale et humaine de Lugansky a emporté le très nombreux public du festival dans une célébration plus que mémorable du musicien russe.
Les superlatifs manquent pour tenter de caractériser l’art de Lugansky, où la technique absolue, indissociable de la science du son, porte de bout en bout une vision tout à la fois lyrique et grave du discours. Pas une note indifférente, pas un relâchement de pression dans cette approche du clavier intense, portant l’interprète en fusion souple et amortie avec son instrument, qui résonne en plénitude sans la moindre trace de dureté. Quelle maîtrise impressionnante de l’environnement en extérieur si délicat ici ! Cette envergure et cette profondeur sont telles que la technique se fait alors oublier, vu son niveau, amenant l’interprète à des sommets de poésie, dans une démarche imprégnée d’une évidente spiritualité.
Il faut également mentionner l’intelligence du programme, retraçant toutes les époques de Rachmaninov au travers d’un choix, spécialement judicieux et finement pensé au niveau des enchaînements, à l’intérieur des cycles majeurs que sont les Moments musicaux, les Préludes et les Etudes-Tableaux, sans omettre la monumentale 2e sonate, tout ceci traduit d’une manière phénoménale. L’immense succès appela trois bis du même auteur, un prélude et deux transcriptions, et on serait bien resté des heures supplémentaires à baigner dans ce qui restera une leçon magistrale de piano, de musique et de dépassement visionnaire de l’inspiration artistique.
Philippe GUEIT
(Nous remercions chaleureusement le Mas de Jossyl pour son support informatique!)