Publié le 26 mars 2017 à 23h45 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 15h57
Commençons, une fois n’est pas coutume, notre chronique cinéma par un plaidoyer citoyen en faveur du service public de santé français. Quelques films actuels dont le terrible «Et les Mistrals gagnants» réalisé par Anne-Dauphine Julliand, femme courageuse au demeurant offrant un documentaire exceptionnel de densité sur des enfants malades (le public du Renoir d’Aix où elle est venue présenter son long métrage fut ému aux larmes) montrent combien les infirmières, aides soignantes, et autres personnels dans les hôpitaux sous la tutelle des régions et de l’État se dévouent corps et âmes pour venir en aide à ceux qui font appel à leurs soins. Pourvu que ça dure d’ailleurs serait-on tenté d’ajouter. Fermons ici la parenthèse non sans avoir dit ici que le film de Martin Provost intitulé «Sage femme» est, d’une certaine manière, un hymne à ce service public dont l’existence et la pérennité sont ô combien remis ça et là en question.
Le réalisateur n’hésite pas à enfoncer le clou en décrivant la fermeture annoncée d’une maternité, vers Mantes-la-Jolie, jugée trop peu rentable. Mais en cinéaste autant qu’en raconteur d’histoires, Martin Provost ne tombe pas dans l’œuvre à thèse mais signe un drame d’autant plus puissant qu’il est présenté dans un écrin formel admirable. Parlons de la musique tout d’abord, signée du compositeur et romancier Grégoire Hetzel qui s’impose comme une œuvre chambriste et symphonique à la fois, illustrant de façon impressionniste les émois des personnages, leurs changements d’humeur, leurs doutes, leurs craintes, leurs coups de griffes, leurs chants d’amour, leurs passions pour la vie. Solaire la photographie d’Yves Cape permet de suivre les deux héroïnes principales en mettant en lumière leurs différents décors de vie. Et puis il y a ces deux fabuleuses actrices, les deux Reines Christine du cinéma français à savoir Catherine Frot et Catherine Deneuve qui n’avaient jamais joué ensemble et qui nous régalent non d’un double numéro de comédiennes chevronnées mais de deux expressions différentes et complémentaires du courage féminin. Catherine Frot qui incarne Claire une sage-femme à l’esprit rigide qui a élevé son enfant toute seul demeure poignante de bout en bout. Et que dire de Catherine Deneuve incarnant Béatrice qui fut l’amante d’Antoine, le père de Claire qu’elle voudrait bien revoir et dont elle ignore le suicide ? Elle nous cloue sur place au moment où le spectateur comprend que cette dame joueuse invétérée d’une incroyable dignité et d’un égoïsme tout aussi phénoménal est atteinte d’une tumeur maligne. Sa rencontre avec Claire est tout le sujet du film, les relations nouées avec le voisin jardinier (impeccable Olivier Gourmet) n’étant là que pour renforcer le face à face avec Claire. Quel magnifique duo ! N’en disons pas plus quant à l’intrigue nous sommes ici dans un film à double entrée le réalisateur jouant sur l’idée que Sage femme décrit à la fois une profession et l’état d’esprit de Claire femme finalement d’une sagesse réconfortante. C’est du cinéma d’émotion, comme on savait le faire dans les années 1970 avec Annie Girardot ( Dr Françoise Gailland en mieux) et ce n’est certes pas révolutionnaire question cadrages et mises en scène mais c’est du très solide cinéma qualité à la française comme on disait autrefois. Et quelles actrices ! Répétons-le encore et encore. Catherine Frot qui vient de triompher au Théâtre du Gymnase dans «Fleur de cactus» (nous y reviendrons bientôt) ne sachant pas de toute façon rater une prestation sur les planches comme devant la caméra.
Jean-Rémi BARLAND