Forum Anna Lindh: Point de diversité culturelle sans dialogue

Publié le 7 avril 2013 à  1h00 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  16h11

Le développement de l’esprit critique, le dépassement des préjugés, le dialogue interculturel, l’enseignement, l’éducation : c’est sur ces éléments qu’il faut s’appuyer pour bâtir une société respectueuse de la diversité culturelle.

Comment respecter les identités tout en ménageant des lieux communs? Cette question a été au coeur des débats. (Photos S.P.)
Comment respecter les identités tout en ménageant des lieux communs? Cette question a été au coeur des débats. (Photos S.P.)
La bloggeuse palestinienne Asmaa al Ghoul juge que
La bloggeuse palestinienne Asmaa al Ghoul juge que

« Comment valoriser la diversité et partager les valeurs universelles ? » : c’était le thème du débat stratégique qui s’est tenu dans la matinée de ce samedi 6 avril au sein de l’hémicycle de la communauté urbaine Marseille Provence Métropole (MPM), au Palais du Pharo, dans le cadre de la troisième journée du forum de la fondation Anna Lindh. Zahida Darwiche Jabbour, de la Commission nationale libanaise pour l’Unesco, chef de file du réseau de la fondation Anna Lindh au Liban, a tenu à l’introduire par un rappel historique. « La diversité culturelle est un fait dans les sociétés arabes de la rive Sud qui ont toujours été plurielles. En Europe en revanche, elle est plutôt récente. Elle est due à l’immigration qui fait que ces sociétés deviennent des sociétés plurielles », analyse-t-elle.
Mais qu’en est-il en ces temps de crise, qui se manifeste de manière différente sur les deux rives de la Méditerranée ? « Le monde arabe a connu le printemps arabe qui constitue une transition vers, je l’espère, la démocratie, bien qu’il y ait des écueils. Alors que la crise économique au Nord génère du chômage qui entraîne un repli sur soi et la xénophobie. Dans ces conditions, est-ce que la diversité culturelle est menacée ? », interroge Zahida Darwiche Jabbour. Et la modératrice des échanges de rappeler que la diversité culturelle est souvent « source de conflits ». D’où la question : « Comment la transformer en source de richesse dans les temps difficiles que nous vivons ? ».
La première à tenter d’y répondre est la Grecque Katérina Stenou, directrice des politiques culturelles et du dialogue interculturel à l’Unesco. « Avec beaucoup de pessimisme et d’optimisme, l’Unesco, depuis sa création, tente de répondre à cette question, souligne-t-elle d’emblée. Comment la diversité culturelle peut-elle faire en sorte de préserver les identités tout en maintenant un espace commun ? » Or, elle observe qu’« il y a des progrès et des reculs » car la diversité n’est pas figée, c’est « un concept à géométrie variable ». Et de relever une contradiction. « Selon l’approche mercantile, il faut un langage universel pour que les nations se reconnaissent car il nous faut du commun. Le mot de diversité nous renvoie lui à du mouvement », note Katérina Stenou. Elle estime pour sa part qu’« il faut une stabilité ». « Il faut que l’identité de chacun, langue, religion, choix sexuel, puisse être là, et en même temps, avoir un espace commun. Il faut promouvoir la différence tout en maintenant des lieux communs », explique-t-elle.

« La diversité sans le dialogue est un iceberg qui fond sur l’océan du temps »

La directrice des politiques culturelles et du dialogue interculturel à l’Unesco soulève un autre point. « Nos cultures ont toutes des mauvaises herbes à éliminer. Mais ce n’est pas inscrit à l’agenda politique », déplore-t-elle. Elle relève également que tous les pays « promeuvent leur diversité culturelle, leur confiance culturelle en eux-mêmes sans reconnaître l’immigration, les mouvements qui ont fait leur culture ». Or, elle juge essentiel qu’on reconnaisse « ces étincelles culturelles pour qu’on se respecte ».
Katérina Stenou appelle aussi à ne pas « trop banaliser » le dialogue culturel afin de « ne pas perdre l’émerveillement de la découverte de l’autre ». « Mais avoir cet émerveillement n’est pas possible avec des préjugés », assène-t-elle. Alors pour « trouver ces nouvelles formes de diversité », il faut « sortir des sentiers battus, et voir comment créer des espaces de dialogue ». Car à ses yeux, la diversité passe par le dialogue. « Le dialogue est le revers de la médaille. La diversité sans le dialogue sera une forme figée, un iceberg qui fond sur l’océan du temps. Ce dialogue ne remplace pas le dialogue politique, c’est une galaxie d’émotions », image-t-elle.
Elle souligne également le rôle clé dévolu à l’éducation. « Les guerres prennent naissance dans l’esprit des hommes, la paix doit faire pareil. Les accords politiques, économiques ne suffisent pas si nos têtes ne sont pas décolonisées des préjugés, de la rage de l’injustice. S’il n’y a pas d’empathie, rien de durable ne peut avoir lieu », insiste la directrice des politiques culturelles et du dialogue interculturel à l’Unesco. Enfin, elle met en avant la notion d’identité culturelle. « Nous ne pouvons pas être membres de plusieurs cultures. Sinon c’est le folklore de la diversité », juge-t-elle.
Le père Paolo Dall’Oglio, vainqueur du prix Euromed pour le dialogue 2006 Italie/Syrie, évoque pour sa part « le risque que la société civile renvoie à un concept de société organisée de façon séculaire ». « La société civile, quand elle représente des valeurs de la société politique occidentale, demande au Sud de renvoyer une image qui nous ressemble. Cela revient à chercher des gens qui nous ressemblent. Il faut au contraire promouvoir une vraie diversité culturelle à l’image du Sud », plaide-t-il.

« Les valeurs sont universelles »

Asmaa al Ghoul, bloggeuse palestinienne, met quant à elle l’accent sur le danger des fondamentalismes. « Pas uniquement à Gaza mais dans toute la Palestine, nous ne souffrons pas seulement du fondamentalisme de l’islam, mais du fondamentalisme des trois religions du livre : on vous demande quelle est votre religion avant de savoir d’où vous venez », souligne-t-elle. Elle déplore également que le dialogue en Palestine soit « devenu une illusion ». « Le problème ne réside pas seulement dans la différence religieuse entre les citoyens palestiniens. On retrouve ces difficultés dans chaque religion, entre les Juifs et entre les Musulmans. Ce dialogue est complexe. Il faut d’abord l’instaurer au sein de chaque mini-société religieuse », juge-t-elle.
Asmaa al Ghoul, qui en tant que laïque a été emprisonnée par le gouvernement de Gaza, estime également que « les valeurs sont universelles ». « Partout dans le monde, on doit en avoir la même perception. Or, une femme à Gaza n’a pas le droit d’être à la mer. Je dois toujours être accompagnée par un chaperon car ma présence face à la mer représente un danger pour la société », raconte la bloggeuse. Et de plaider pour que ces valeurs ne résident plus seulement dans la religion. « Elles doivent représenter la beauté et être perçues universellement de la même façon », insiste-t-elle.
Enfin, elle considère que la religion ne constitue pas le socle de l’identité d’un individu. « L’aspiration de chacun est d’avoir une patrie, un espace où il puisse s’exprimer », avance-t-elle.
Pour Steven Stegers, membre de l’association européenne des enseignants d’histoire et chef de file du réseau Anna Lindh aux Pays-Bas, relever ce « défi euroméditerranéen » que constitue la mise en œuvre d’ « une société de diversité » ne réside pas seulement dans le dépassement de la crise économique actuelle. « Cela touche au problème du lien entre les personnes. Ici, on se regarde dans les yeux et, grâce à la traduction, on peut communiquer : c’est déjà un progrès », se félicite-t-il.

S’appuyer sur les acteurs locaux

Mais il observe qu’avec la crise, ce dialogue est de plus en plus difficile. « Il y a moins de ressources disponibles. Aux Pays-Bas, le nombre de médias diminue, l’information devient souvent gratuite, il y a de moins en moins de journalistes professionnels et ce n’est pas près de changer. Il faut chercher l’information ailleurs, sur les blogs. Ne soyons pas le réceptacle passif de l’information donnée par les journaux », plaide-t-il. Un développement du sens critique qui doit aussi s’étendre au domaine de l’éducation qu’il convient de préserver des stéréotypes. « Les étudiants, très bien informés, sont aujourd’hui capables de remettre en cause l’information des professeurs. C’est une bonne chose », se réjouit-il.
Pour promouvoir la diversité culturelle, il appelle aussi à s’appuyer sur les acteurs locaux. « Des gens de Serbie acceptent d’aller en Bosnie pour essayer de développer des manuels d’histoire communs. Certains, une décennie et demi en arrière, ont porté les armes », raconte le membre de l’association européenne des enseignants d’histoire en évoquant une initiative qui a reçu le prix euroméditerranéen du dialogue culturel. « Je suis des Pays-Bas et il faut que je puisse impliquer des gens qui ont vécu des choses similaires, insiste-t-il. Après on peut passer à une autre expérience car quand les gens ont du succès, cela donne envie de s’en inspirer. » L’enseignement étant quelque chose d’essentiel, il appelle à créer des plates-formes d’enseignants, ainsi que d’autres dédiées aux médias. « La fondation Anna Lindh pourrait nous dire où se trouve la bonne information et les réseaux pourraient la répercuter », justifie-t-il.
Steven Stegers appelle enfin à dépasser les préjugés. « Dès qu’une personne vous dit qu’elle est arabe ou jésuite, vous vous faites une idée de qui elle est. Mais il faut dépasser la première impression. Nous avons tellement à apprendre de ces interactions personnelles », souligne-t-il.
Le père Paolo Dall’Oglio refuse que l’on résume les religions à des sources de conflit. « Humblement, il faut le dire : nous venons d’un siècle, le XXe siècle, où les deux guerres mondiales n’ont pas été des guerres de religion mais des guerres idéologiques. Il faut le rappeler à nos jeunes : la violence est partout. Il ne faut pas résoudre le problème de la paix sociale à l’albanaise en décrétant qu’il n’y ait plus de religion », insiste-t-il.

« Dès que le religieux arrive au pouvoir, il n’y a plus de diversité possible »

Asmaa al Ghoul estime quant à elle que « lorsque le pouvoir est basé sur la religion, il faut oublier la diversité ». « La violence est présente partout, on peut même la retrouver dans des mouvements de libération. Mais dès que le religieux arrive au pouvoir, il n’y a plus de diversité possible », réitère la bloggeuse palestinienne. Et de s’appuyer sur l’exemple de Gaza. « Avec l’arrivée des islamistes, toute la société a changé vers plus de fondamentalisme. Cela a été un facteur déclencheur du déclin des libertés publiques, du droit des femmes que le Hamas ne voulait pas », souligne-t-elle. Elle ne nie pas non plus le rôle joué par l’embargo qui, en 2006-2007, « a fait autant de ravages que l’islamisme ». Elle note d’ailleurs au passage que « le retrait des capitaux a favorisé la montée de l’islamisme ».
A ses yeux, les laïcs portent aussi leur part de responsabilité. « Nous parlons de dialogue mais nous n’avons jamais engagé de dialogue avec les islamistes. Nous laïcs, nous avons toujours eu peur des islamistes. Il faudrait pourtant engager ce dialogue », reconnaît-elle.
Alors comment établir ces ponts ? Pour répondre à cette interrogation, Katérina Stenou revient sur la distinction qui existe entre les valeurs et leurs interprétations. « Dans la déclaration universelle des Droits de l’Homme, la dignité humaine est la base de toutes les valeurs. Mais elle est toujours interprétée différemment. En Asie, c’est la communauté qui porte les valeurs pas l’individu. En Europe, c’est l’individu qui prime sur la communauté », relève-t-elle. Elle estime à titre personnel, à l’instar de la déclaration universelle des Droits de l’Homme, que « la dignité de l’individu passe avant tout le reste ». « Tout le monde est d’accord là-dessus. L’Europe utilise d’ailleurs mal les Droits de l’Homme en les faisant passer pour une invention européenne alors que des gens comme Gandhi y ont contribués », rappelle-t-elle.
Reconnaissant que « les Nations-Unies sont un miroir de nos sociétés malades », elle met en garde contre « la prise en otage de la culture par la religion où l’on mêle le culturel à l’éthique ». Elle dénonce aussi les « professeurs de dialogue qui disent ce qui devrait être ». Elle insiste également sur la difficulté de « prôner l’espoir quand dans nos sociétés « good news is no news » : on est toujours à la recherche de sensationnel, de sang, de sexe ». Et de conclure : « Chaque petit caillou a sa propre valeur : l’histoire, l’enseignement… Ce sont eux qui font que le petit ruisseau nous montre le chemin à suivre. »

Serge PAYRAU

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