Publié le 6 avril 2013 à 3h00 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 16h11
Que faire après l’échec des processus de Barcelone, de l’Union pour la Méditerranée pour éviter que le fossé ne se creuse entre la rive Sud et ses Printemps arabes et le Nord qui ne cesse de plonger dans la crise ? Tel était l’objet d’un débat stratégique ce 5 avril.
Isabelle Durant, vice-présidente du parlement européen lance « Le projet européen est en difficulté par rapport à des citoyens qui, parfois, doutent même de sa pertinence. La rive Sud a elle changé avec les Printemps, le monde a donc changé sur les deux rives. Malgré, à cause, de ce qui se joue en Palestine, en Syrie, le partenariat doit se construire autrement, il faut travailler par le bas. On doit également mesurer qu’avoir une démocratie représentative est nécessaire, cela n’est pas pour autant suffisant. La rive Sud attend un partenariat économique, elle veut voir son niveau de vie amélioré. Il faut également traité dignement la question des migrations. C’est vrai qu’il y a là des questions à régler mais cela doit se faire dans une logique de partenariat. Car c’est bien cela qu’il faut reconstruire, en respectant les gouvernements démocratiquement élus, même si, parfois, les résultats ne nous conviennent pas».
« Beaucoup de promesses et peu de réalisations »
Hesham Youssef, conseiller auprès de la Ligue arabe note : « L’Union européenne a essayé d’aider la société civile mais cela a pu se heurter à un certain nombre de problèmes. Ensuite, des Hauts fonctionnaires européens ne cachent pas que leur institution a pu privilégier une logique de stabilité des pouvoirs en place d’une façon contestable. Maintenant la question qui se pose est de savoir si les instruments, à savoir le processus de Barcelone ou l’Union pour la Méditerranée, ont été pertinents et s’ils sont adéquats pour répondre aux défis du futur. Il est clair, pour nous, qu’ils n’ont pas été pertinents car, d’une part, il y a eu beaucoup de promesses et peu de réalisations. Et d’autre part elle a soutenu des régimes qui n’étaient pas démocratiques ». Ceci dit, selon lui : « Il existe toujours une attente d’aide européenne car l’Union Européenne, il faut le reconnaître aussi, est l’intégration la mieux réussie au monde alors que la rive Sud est l’intégration la moins réussie. Il y a beaucoup à faire ».
« La liberté et la dignité nationale, cela se construit, cela ne peut se faire que par nous »
Anis Boufrikha, secrétaire général de We Love Sousse, rend hommage à la société tunisienne qui est descendue dans la rue pour réclamer du travail, la liberté et la dignité nationale. « La liberté et la dignité nationale, cela se construit, cela ne peut se faire que par nous. C’est un idéal dur à atteindre mais je suis optimiste car la société civile est là, elle se développe et le salut viendra de là ».
Giovanna Tranzarella, réseau Euromed France, constate : « Aujourd’hui, dans tous les discours officiels, on retrouve le mot magique: société civile, une notion qui paraît devenir consensuelle. Paraît, car un petit problème se pose : quel rôle peuvent avoir les sociétés civiles européennes et méditerranéennes ? Et puis il est d’usage de mettre toutes les responsabilités sur l’Union européenne. Mais, lorsque nous insistions sur l’importance des libertés nous n’avons pas été entendus par les États, seulement par l’Europe. Et nous sommes, de par les rapports que nous avons construit, des enfants du partenariat euroméditerranéen. Aujourd’hui nous nous demandons si l’Europe et les pays ont pris la mesure des évolutions en cours, s’ils ont compris qu’il ne peut plus être question d’aide mais de partenariat ».
Hugues Mingarelli, Service Européen pour l’Action Extérieure lance : « la crise économique et politique ne conduit pas à accorder une part croissante du temps, des ressources, à ce qui se passe à l’extérieur de l’Europe. Et il est peu envisageable que cela change. Pour autant, ce qui se passe en Afrique du Nord et au Moyen Orient ne peut nous conduire à un repli sur nous-mêmes, et cela pour des raisons égoïstes. Si les choses se passent mal en Afrique du Nord cela aura forcément un impact sur l’Europe ».
« L’Union Européenne, en dépits de toutes ses imperfections, a joué un rôle »
Ceci étant posé il considère : « Les défis sont innombrables. L’Union Européenne tente de mettre son expérience en matière de réforme démocratique au service de la rive Sud. Personne ne peut contester le gain démocratique en Tunisie, Égypte et Libye. Il faut prendre acte de ces évolutions. Tout comme de la situation au Yémen où le président accepte de partir, sans qu’il soit question de fuite, sans qu’il soit question de bain de sang. Nul ne peut nier les gains en matière de liberté d’expression, notamment en Tunisie. Cela ne veut pas dire que tout va pour le mieux, que les phénomènes soient irréversibles. Et l’Union Européenne, en dépits de toutes ses imperfections, a joué un rôle. Bien évidement nous avons commis des erreurs mais nous avons tenté d’appuyer les évolutions démocratiques ». Puis d’aborder la question du degré de conditionnalité : « L’union, c’est un compromis entre 27 positions. Certains, notamment les pays d’Europe du Nord, veulent une conditionnalité stricte, à la moindre régression démocratique ils souhaitent un arrêt des aides. D’autres considèrent que la transition n’est pas un processus mécanique, qu’il faut se doter d’une patience stratégique, accepter que des gouvernements commettent des erreurs. Le débat n’est pas tranché. L’autre difficulté concerne les transitions violentes, comme en Libye hier, en Syrie hier. Deux États, la France et l’Angleterre pensent qu’il faut aller au-delà de la simple aide humanitaire ».
En ce qui concerne la transition économique il indique : « S’il y a eu des révoltes, c’est aussi pour des raisons économiques et depuis deux ans la situation ne fait que s’aggraver. Si on ne met pas un terme à la dégradation cela aura des effets politiques car, plus on s’enfonce, plus on regarde vers les extrêmes. Alors, l’Union Européenne fait des offres, la principale concerne le libre-échange, qui permet d’éviter non seulement les obstacles tarifaires mais aussi les normes non-tarifaires. C’est ce qui a été fait, voilà 20 ans, avec l’Europe centrale. Je constate qu’un pays comme l’Égypte refuse de saisir cette opportunité. Enfin, en matière de gestion des flux migratoires, nous proposons de discuter».
Giovanna Tranzarella réagit : « Comment parler aujourd’hui de conditionnalité alors que, pendant des années, la société civile a fait des demandes en ce sens qui n’ont jamais été suivies d’effet ? Il faut débattre, il faut que la Banque Européenne arrête de décider de ce qui doit être fait ou pas. De même sur les mobilités, il faut que les choses évoluent ».
Anis Boufrikha enchaîne : « Lorsqu’il s’agit de droit de l’Homme on interpelle la société civile mais, lorsqu’il s’agit d’économie, alors là, tout se passe dans des bureaux aux portes bien closes. Et en ce qui concerne les visas, allez voir les ambassades européennes dans les pays du Sud. Allez voir comment on met à mal la dignité des gens. Il faut mettre la question des mobilités sur la table des négociations. Enfin, en ce qui concerne le libre-échange, nous avons un gouvernement transitoire en Tunisie, comment pourrait-il prendre des décisions qui engageront le pays pour des décennies ».
« Je ne suis pas sûre que le libre-échange soit la solution »
Pour Isabelle Durant : « Nous avons tous dit que le partenariat doit changer. Je ne suis pas sûre que le libre-échange soit la solution, il faut avant de réfléchir en terme d’exportation, développer les marchés locaux. Il faut que les légumes arrivent à ceux qui en ont besoin dans ces pays avant de venir en Europe. Je crois beaucoup plus au développement des PME/PMI. Je conçois également que la patience s’impose en matière de réciprocité, mais, à un moment, il faut aussi dire que nous n’avons plus de patience ».
Puis il sera question de savoir si des démocraties islamiques sont en train de naître, comme l’affirmera un intervenant, ce à quoi un autre lui rétorque « non, la démocratie n’est pas ceci ou cela, la démocratie c’est la démocratie ». Hesham Youssef insiste : « L’Europe a eu ses guerres de religion, nous avons la notre, c’est la plus difficile à laquelle nous ayons eu à faire. Ainsi, un groupe salafiste a voulu instaurer une police morale. Lorsqu’ils ont voulu l’imposer dans les communes rurales, les femmes ont enlevé leurs chaussures, et les ont frappés avec ».
Un débat se construit, avec ses tensions, crée du lien. Jusqu’où ira ce phénomène ?
Michel CAIRE