Publié le 5 septembre 2014 à 23h30 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 18h10
Entrepreneurs et leaders d’opinion ont fait le succès de la 14e édition du Forum des Entrepreneurs à Kedge Business School à Marseille ce vendredi 5 septembre. Un sujet militant, au cœur de l’actualité de cette rentrée, bousculée à plus d’un titre. Sur le thème «Du Courage !», des intervenants venus de tous les horizons, parmi lesquels Sophie Bellon, Xavier Bertrand, Nicolas Beytout, Rony Brauman, Marcel Rufo, Cynthia Fleury, Jean-François Kahn, Eric de Montgolfier, Thibault Lanxade, Jean Lassalle, Michel Rocard, Frigide Barjot… ont confronté leurs points de vue et nourri les débats sur des questions telles que «Faut-il être courageux pour diriger ?», « Le bonheur est-il dans l’urne ?» ou encore «La liberté de penser et le courage de dire», « Le courage de s’engager »….
De nombreuses personnalités locales étaient également présentes pour cet événement devenu au fil des ans le grand rendez-vous économique de la rentrée.
Une édition marquée par des échanges animés dans les amphis et dans les couloirs, mais aussi une opportunité unique pour les entrepreneurs de se retrouver et d’élargir leur réseau.
L’occasion pour le Président de l’UPE 13, Jean-Luc Chauvin, d’alerter : «Il est urgent de passer des paroles aux actes. La France est un grand pays mais la France va mal. Il faut changer de modèle». «Il faut pour cela, ajoute-t-il, du courage à tous, politiques, entrepreneurs, salariés, citoyens mais c’est bien là, le défi à relever pour faire gagner notre territoire et notre pays. Osons le courage.»
L’après-midi, le public converge vers l’amphi où se déroule le Grand débat avec Jean Lassalle, Eric de Montgolfier, Cynthia Fleury, Jean-François Kahn et Frigide Barjot. Et c’est à Jean-Luc Chauvin, le président de l’UPE 13, que reviendra le mot de la fin.
C’est à Jean Lassalle que le journaliste Thierry Debaille, animateur du débat, donne la parole en premier. Ce dernier, fils de berger, est maire de Lourios-Ichère, sa commune natale. En 2003, il chantera l’hymne occitan en béarnais dans l’hémicycle pour attirer l’attention d’un certain Nicolas sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, pour obtenir le maintien d’une gendarmerie près du tunnel du Somport. Le 7 mars 2006, il entame au Palais Bourbon, dans la salle des quatre colonnes, une grève de la faim pour faire pression sur le gouvernement et éviter la délocalisation de sa commune en bordure du Parc national des Pyrénées, à une commune voisine distante de 70 kilomètres, d’une usine du groupe Toyal Europ, filiale du groupe japonais Toyo Aluminium K.K, qui emploie 150 salariés dans la vallée d’Aspe. En 5 semaines, il perd 21 kg et souffre de baisses de tension, et son action reçoit un large écho médiatique. Le 14 avril, il est hospitalisé d’urgence, ce qui provoque l’intervention du président de la République Jacques Chirac, du premier ministre Dominique de Villepin et du ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy. Ceux-ci amènent la société Toyal Europ à annuler le projet de déménagement; le député cesse alors sa grève de la faim. « Mon père, berger, était courageux seul dans la montagne, face à la nature. Je ne voulais pas chanter à l’Assemblée mais, je ne voyais pas quelle autre solution adoptée pour que l’État m’entende».
Concernant la grève de la faim, il explique : «J’avais plein de copains qui me disaient avoir perdu leur boulot parce que leur usine avait été délocalisée. Et un jour, c’est arrivé dans ma commune. Elle ne partait qu’à 70 km, disait-on, mais des kilomètres de montagne. Et tout le monde disait qu’il ne pouvait en aller autrement. Alors, en tant qu’élu de la Nation je n’ai eu d’autres solutions que de faire la grève de la faim».
«Le lien du vivre ensemble est gravement menacé car notre peuple n’a plus confiance en rien et en personne»
Il vient d’accomplir un périple de 8 000 kilomètres à pied, à la rencontre des Français. « Là encore, je n’avais aucune envie de faire cette marche. Mais, en entrant à l’Assemblée j’ai très vite pris conscience que nous n’étions que des fétus de paille face à la mondialisation. Et nous avons eu une Présidentielle lors de laquelle beaucoup a été promis avant que, 15 jours après l’élection, toutes les promesses ne se soient envolées… ».
«Quel décalage, ajoute-t-il, entre ce que pensent nos concitoyens et nos élites. Cela en est à un point où le terme décalage est faible. Le lien du vivre ensemble est gravement menacé car notre peuple n’a plus confiance en rien et en personne. Alors je suis parti à reculons et j’ai rencontré un peuple extraordinaire auquel on impose, pour lequel on décide, et qui ne comprend plus rien».
Eric de Montgolfier a été Procureur de la République à Chambéry, Valenciennes puis à Nice. Il connaîtra l’affaire VA-OM puis, de soi-disant franc-maçons à Nice, sera menacé, sans jamais cédé. «Je faisais mon métier, je ne me suis jamais posé la question du courage car tout simplement j’étais payé par l’État pour remplir une fonction que j’avais choisi. Étant donc rémunéré pour faire un métier que j’avais choisi, le mieux alors était de le faire». Il avoue: «Je trouve surprenant que votre forum d’entrepreneurs se pose la question de savoir s’il faut du courage».
«Ce qui est terrible c’est la dévotion envers le pouvoir»
Concernant les fuites publiées dans la presse, son propos est sans concession: «Les fuites sont assez minables, elles sont des atteintes à la Justice». Au-delà, il parle de «stupidité» car «Magistrats, lorsque nous lisons un dossier, nous avons du mal à trouver la vérité en ayant l’ensemble des documents, alors que peut-il en être avec seulement quelques feuilles? Tant qu’à faire que l’on donne l’ensemble des pièces». Puis de lancer : «Ne prêtez pas trop au Pouvoir, il en a surtout dans l’ignorance de nos concitoyens». Et de conclure: «Ce qui est terrible c’est la dévotion envers le pouvoir ».
Frigide Barjot est aujourd’hui présidente de « l’Avenir pour tous », après avoir conduit le collectif « la manif pour tous ». Pour elle, François Hollande a été élu doublement par défaut, « d’abord, du fait de la situation de Dominique Strauss-Kahn, qui l’a contraint à se retirer de la politique, puis par le rejet de Nicolas Sarkozy». Elle assure «ne pas être homophobe. Mais ce que pose la loi c’est qu’elle laisse dire qu’un enfant peut naître de deux hommes et là est le problème et il n’a pas été possible de débattre. Alors nous sommes descendus dans la rue et nous avons dérangé François Hollande». Selon elle, elle paye depuis pour cela et le pouvoir aurait obtenu son expulsion.
Jean-François Kahn, journaliste, écrivain avance : « Il y un point sur lequel je peux être d’accord avec Frigide Barjot, c’est que l’on peut être contre le mariage gay sans être homophobe. Mais nous sommes dans un pays de clivages, de primitivisme intégral, de manichéisme». Il poursuit : «Voilà trois ans, je pensais que l’intervention en Libye était une folie. Je n’ai jamais pu débattre sur ce thème. Résultat, une seule a pu le faire : Marine Le Pen. Vous imaginez comment cela la sert aujourd’hui. Les journalistes sont plutôt plus courageux qu’avant, ils se posent des questions déontologiques qui ne se posaient pas avant… mais ils ont tous tendance à penser la même chose».
«Quelqu’un de courageux tout le temps est un con »
Concernant le courage, il lance : «Quelqu’un de courageux tout le temps est un con. Il faut de la lâcheté pour être courageux. J’ai été professeur. Je vous assure que dans certaines conditions c’est dur d’aller enseigner tous les matins. Moi, je suis devenu journaliste par lâcheté, pour ne plus être professeur. Et j’ai pris parfois des risques pour accomplir mon métier, avec excitation. Mais, ce n’est pas cela le courage. Le vrai courage est lucide, froid, c’est celui de Zola qui rompt avec son milieu, ses ambitions, au nom de sa conscience. C’est Jean Lassalle qui prend le risque du ridicule en chantant à l’Assemblée pour défendre un dossier. C’est De Gaulle qui soutient Churchill après que ce dernier ait fait détruire la flotte française».
Cynthia Fleury, enseignant-chercheur en philosophie politique et psychanalyste indique : «C’est par le découragement que l’on fait l’expérience du courage. Et mon enjeu est de montrer que le courage est un outil de protection du sujet. Tel n’est parfois pas le cas sur le court terme mais sur le long terme le prix à payer pour le manque de courage est beaucoup plus élevé».
Puis, d’expliquer que les révolutionnaires placent la vertu en premier : «on substitue à la petitesse des grands la grandeur des Hommes». Puis, vient Tocqueville qui déplace le vecteur vers la notion d’intérêt. «Je me suis toujours demandée si le courage ce n’est pas l’exigence de la vertu et la qualité de l’intérêt». Elle ajoute qu’elle enseigne à ses étudiants que «la Démocratie ce n’est pas des droits mais les conditions de possibilités pour avoir des droits».
A ses yeux :« Nous sommes dans un temps inédit. Nous n’avons jamais atteint un tel degré d’individualisme et, dans le même temps, une refonte des communaux se met en place».
Jean-Luc Chauvin de clôturer ce Grand débat : «Le courage, c’est l’ADN de l’entrepreneur. Et nous savons que nous pouvons développer l’économie si on libère nos entreprises».
Michel CAIRE