Publié le 17 juin 2013 à 1h00 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 15h38
Donner de l’ambition et de l’optimisme aux exportateurs en leur fournissant les clés pour orienter leur stratégie à l’export afin d’accéder à de nouveaux marchés : c’était l’objectif de la 17e édition du « Forum International PACA », organisée par « Classe Export » mercredi et jeudi au Parc Chanot à Marseille. Un événement qui a notamment mis en valeur la Tunisie, et particulièrement la région de Sfax qui dispose de tous les atouts pour attirer les entreprises régionales.
S’il fallait encore se convaincre que l’export constitue un enjeu économique de taille, les récentes statistiques en ont apporté la preuve cinglante : en 2013, ce sont toujours les pays « émergents » qui tirent la croissance mondiale avec un taux de 5,2% alors que les pays dits « développés » sont à la peine avec 1,5% pour les Etats-Unis et 0,8% au Japon. Un secteur dans lequel Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) a connu une belle dynamique l’année dernière. Dans un contexte d’essoufflement des échanges internationaux et français, les exportations de biens de la région ont en effet augmenté de 7% en 2012. Elles ont ainsi atteint plus de 23 Mds€ (5,4% des exportations françaises) l’an passé, tandis que les importations régionales sont restées stables (38 Mds€, soit 7,5% des importations nationales) en raison d’un repli de la demande intérieure. Une tendance qui s’est confirmée au premier trimestre 2013 où les exportations de la région PACA ont représenté 5,574 Mds€ (5,4% des exportations nationales) alors que les importations ont quant à elles pesé 9,460 Mds€ (7,6% des importations françaises) sur la même période.
Poursuivre sur la voie de cette internationalisation, en donnant de l’ambition et de l’optimisme aux exportateurs, était le vœu de la 17e édition du « Forum International PACA », qui s’est tenue mercredi 12 et jeudi 13 juin dans le hall 8 du Parc Chanot à Marseille. Le rendez-vous, organisé par « Classe Export », visait en effet à présenter à près de 800 entreprises régionales les nouveautés et les leviers de croissance à l’international, les opportunités de marchés à saisir, ainsi que les outils marketing, commerciaux et financiers à leur disposition pour construire et poursuivre de manière pérenne leur développement à l’international. Un événement, dont la Région PACA est partenaire depuis de nombreuses années, qui a également marqué le lancement du Guichet de l’export Provence-Alpes-Côte d’Azur, une interface d’information visant à orienter les entreprises vers les acteurs les mieux adaptés à leurs besoins (cf : http://desabuzze.blogspot.fr/2013/06/lancement-du-guichet-de-lexport.html).
« Il ne faut pas dramatiser l’état actuel de la Tunisie »
Le forum était en outre en partie placé cette année sous le signe de la Méditerranée puisque la Tunisie était l’un des cinq pavillons pays mis à l’honneur. Avec en filigrane cette question : « le temps des projets économiques est-il venu ? » dans le pays où le printemps arabe a débuté il y a deux ans et demi. La réponse est plus que jamais « oui » si l’on en croit Ameur Abdennadher, entrepreneur à Sfax, la deuxième ville du pays. « La Tunisie a toujours été ouverte à tous nos amis : l’Europe d’une façon générale et la France de manière spéciale, en raison de la proximité et de la langue qui nous lie beaucoup. Les opportunités des deux côtés de la Méditerranée ne sont que bénéfiques pour tout le monde », affirme-t-il. Une proximité d’autant plus grande avec Marseille, distante d’un millier de km de Tunis, n’est qu’à une heure et demie d’avion de la capitale tunisienne.
Ameur Abdennadher a d’ailleurs profité de son passage dans la cité phocéenne pour rétablir l’image de son pays, qui n’a pas toujours bonne presse depuis la Révolution. « Il ne faut pas dramatiser l’état actuel de la Tunisie. Nous étions sous le joug de dictateurs, nous n’avions ni les mains, ni les pieds libres. Maintenant, nous avons cette liberté, et dans toute liberté, il y a des factions qui essaient de nous barrer la route, qui tentent de s’imposer avec les moyens dont elles disposent. La séparation est fragile entre la liberté d’expression, d’agir et la gabegie, et certains dépassent la limite », analyse-t-il, avant d’observer : « Mais la Tunisie a fait beaucoup plus en 19 mois que la Révolution française de 1789. Même l’ambassadeur des Etats-Unis à Tunis l’a lui-même affirmé en comparaison à la Révolution américaine de 1776. » Plaidant que « s’il ne se passait rien, c’est qu’on serait toujours dans le même régime », l’entrepreneur déplore le traitement que réserve souvent la presse à son pays et appelle les journalistes français « à relater réellement ce qui se passe sans pousser trop loin certaines réflexions ». « Cela ne peut que nuire à un peuple qui considère la France plus encore que comme une amie, avec un lien très fort depuis un siècle. On a beaucoup de Tunisiens nés en France qui sont des sommités, et de Français nés en Tunisie », souligne-t-il.
La France, deuxième client économique de la Tunisie après l’Italie
Un lien avec l’Hexagone, deuxième client économique de la Tunisie après l’Italie, dont il peut lui-même témoigner puisqu’Ameur Abdennadher est le dirigeant de quatre sociétés 100% exportatrices, « avec des partenaires différents », dont la France constitue « le plus grand marché » : Cefer, « le savoir « fer » », une entreprise de sous-traitance qui maitrise parfaitement les métiers de la métallurgie, du traitement de surface par cataphorèse et de la peinture époxy par poudrage, Injec’s, injection plastique automobile, Ligatec, corde et ficelle, et CBS, qui réalise le câblage électrique des bâtiments préfabriqués. « Certains produits de Cefer sont vendus aux Etats-Unis et un peu partout en Europe. Une chaise est exposée à la galerie d’art du Centre Georges Pompidou à Paris », précise-t-il.
Or, pour l’heure c’est essentiellement avec la région lyonnaise que l’entrepreneur de Sfax est en affaires. « Rhône-Alpes est une région puissante économiquement. Et puis, je suis tout le temps là-bas, j’y ai des amis », explique-t-il. D’où la venue d’Ameur Abdennadher à Marseille durant 48h pour tenter d’y nouer des liens commerciaux en PACA. Ce n’était cependant pas la seule casquette qu’il portait au Parc Chanot puisqu’il avait également fait le déplacement pour représenter au « Forum International PACA » un nouveau syndicat patronal indépendant et apolitique. « Je suis membre du conseil de l’Union des Petites et Moyennes Industries (UPMI), un syndicat qui est né le 9 mars 2011 et qui regroupe aujourd’hui 120 patrons. Nous visons les 200 d’ici la fin de l’année », indique-t-il.
L’entrepreneur était ainsi en mission pour promouvoir la région de Sfax. « C’est la deuxième ville du pays après Tunis la capitale, mais quasiment la première sur le plan économique. Comme l’a dit le président, Sfax est le moteur de l’industrie tunisienne », souligne Ameur Abdennadher. Mais « si la curiosité est là », il a noué à Marseille « davantage de contacts commerciaux que de contacts de travail ». « Les personnes souhaitent que l’UMPI les introduise sur le marché tunisien. Ce que je comprends : vu la situation actuelle, les gens recherchent des débouchés. Et puis toutes mes affaires ont commencé comme ça : c’est une démarche logique à laquelle je me suis habitué », explique-t-il, tout en lançant un appel : « J’invite les syndicats patronaux à nouer des contacts directs avec notre jeune syndicat pour essayer de collaborer afin de tisser des liens entre la région de Sfax et la région PACA. »
Sfax, la ville qui ambitionne de devenir « la « Barcelone » du Sud »
Une démarche d’autant plus intéressante que la deuxième ville de Tunisie, cité portuaire qui compte 265 000 habitants et plus de 1,3 million d’habitants sur la métropole, a le même modèle que Marseille, à savoir Barcelone. Sfax nourrit en effet l’ambition de devenir « la « Barcelone » du Sud ». Et elle ne manque pas d’atouts pour y parvenir puisqu’elle est d’ores et déjà la première région en termes d’investissements privés en Tunisie, la deuxième métropole économique et industrielle du pays, la première université d’Afrique du Nord (plus de 45 000 étudiants et 160 filières de formation d’ingénieurs) et la première région au niveau des investissements privés dans la santé. Forte de plus de 4 500 entreprises industrielles (mécanique, plasturgie, médical…), des PME-PMI qui génèrent 60 000 emplois, la région de Sfax réalise plus de 80% des exportations agroalimentaires de la Tunisie et assure plus de 80% de la production de gaz du pays (production de plus de 50 000 équivalents baril par jour). Elle est aussi le premier pôle du pays dans l’industrie électrique/mécanique/pôle de sous-traitance automobile et la première porte d’export des produits et des dérivés des phosphates.
Enfin, la ville, située à 270 km de Tunis, jouit également d’une situation géographique privilégiée. Porte d’accès de sept gouvernorats, soit 50% de la Tunisie, Sfax est pour une PME-PMI « le point de dispatching incontournable et plus que jamais la porte des exportations sur le marché libyen », explique Naâmen Bouhamed. Ce Français d’origine tunisienne, conseiller du commerce extérieur de la France (des volontaires, responsables d’entreprises, disposant d’une expérience internationale, qui mettent à disposition leur réseau à titre bénévole), croit tellement au développement de la ville qu’il vient d’y ouvrir un centre d’affaires « Mediterranean Business Consulting International » (MBCI). « En France, on croise les bras en attendant de voir où va la Tunisie. Alors moi, j’ai décidé d’inverser le processus et j’ai mis en place une stratégie de promotion de la métropole de Sfax. En mars dernier, lors de la convention France Maghreb, c’est ainsi la première fois qu’une région assurait sa propre promotion internationale via une initiative privée », souligne celui qui sera également présent à « Planète PME » ce mardi 18 juin.
« Si les autorités ne remettent pas Sfax à niveau, il y aura une nouvelle révolution »
Et d’expliquer le se-ns de sa démarché : « Si le privé le fait, c’est que les entreprises ont compris l’intérêt que cette région prenne sa place en Méditerranée. Pourquoi ? Parce que Sfax est la 2e capitale économique de la Tunisie, l’équivalent de Lyon en France. C’est principalement un tissu de TPE-PME, de 10 à 20 personnes, qui couvre tous les secteurs, électronique, électrique, biotechnologie, pêche ou agroalimentaire. Si les Français doivent s’implanter directement en Libye (NDLR : qui a connu une croissance de 5,4% en 2011) pour y prendre pied, Sfax est l’endroit idéal pour y implanter le service après-vente et l’ingénierie back-office : on y trouve des ingénieurs de haute qualité et des personnels multilingues. Sfax est aussi l’endroit rêvé pour la co-industrialisation car le tissu industriel de PME-PMI est à Sfax. »
Mais la médaille a aussi son revers comme ne manque pas de le souligner Naâmen Bouhamed. « Sfax a été laissée de côté pendant plus de 30 ans par la République tunisienne : aucun investissement de qualité n’y a été réalisé. Les Sfaxiens sont allés investir à Tunis. Les routes sont défoncées, la ville est polluée, et elle garde malgré ça la tête hors de l’eau grâce à un système d’auto-entrepreneuriat unique en Afrique du Nord », témoigne-t-il. Or, la ville continue à être délaissée depuis la Révolution. Ce qui amène le président du MBCI à lancer un avertissement aux autorités tunisiennes. « Si on ne construit pas d’autoroutes, de voies express, si les autorités ne remettent pas la ville à niveau, personne ne va investir là-bas car il n’y aura pas les moyens de communication adéquats, et il y aura une nouvelle révolution dans les 2-3 ans. D’autant que Sfax est connectée à Sidi-Bouzid et Kasserine, les villes où la Révolution a commencé », martèle-t-il.
En attendant Sfax a séduit cette semaine à Marseille. « Le Pôle Mer est intéressé car on est en train de construire Sfax Med Cluster qui sera le porte-drapeau des clusters de biotechnologie de toute la Tunisie », se félicite le conseiller au commerce extérieur de la France.
« Culturellement, les gens se font une montagne de l’exportation »
Un exemple qui démontre à quel point Marseille et la Région PACA ont une vraie carte à jouer en se tournant vers les pays de la Méditerranée. Mais cela impose de dépasser certains freins qui existent encore au sein des entreprises régionales, comme l’explique Olivier Guilluy, lui aussi conseiller au commerce extérieur de la France. « Globalement, culturellement, les gens se font une montagne de l’exportation. La France est un pays qui reçoit beaucoup de touristes, mais au niveau des langues, des ouvertures sur le monde, c’est insuffisant, avec un niveau d’anglais catastrophique, même si le programme Erasmus a permis quelques progrès. C’est le premier frein : du coup, on n’y va pas », souligne-t-il.
Olivier Guilluy pointe aussi « une méconnaissance de ce qui est fait par les pouvoirs publics ». « Le fléchage de qui fait quoi n’est pas forcément clair. Pour moi, la bonne porte d’entrée c’est Ubifrance ou la Coface. Il faut que les produits répondent aux normes du pays où on les exporte. Or, il existe des aides pour ça. Il ne faut pas hésiter à pousser les portes : si ce n’est pas la bonne, il faut frapper à une autre », encourage-t-il.
Autre atout dans la manche des entreprises françaises candidates à l’internationalisation, les pôles de compétitivité qui « commencent à mieux structurer à l’export ». « Ils organisent des missions locales dans des pays ciblés. Par exemple, le pôle Pégase dans l’aéronautique est un très bon support à l’export », poursuit le conseiller au commerce extérieur de la France.
Mais pour transformer l’essai, reste désormais selon Olivier Guilluy à résoudre « le problème numéro 1 en région PACA : la fiabilité du port de Marseille ». Et celui qui dirige l’entreprise Siniat (ex-Lafarge plâtres) sait de quoi il en retourne. « J’ai une entreprise qui réalise un chiffre d’affaires de 10 M€ à l’export et je ne recommence à travailler que depuis un an avec le port de Marseille car les choses se sont stabilisées, ça s’améliore. Avant, on ne savait pas quand nos marchandises allaient arriver », témoigne-t-il.
« Si le port fonctionne, Marseille est une vraie base arrière solide »
Une situation qui l’avait amené à se rapatrier vers les ports de Barcelone et de Gênes alors que Marseille, avec un coût du transport moins cher, était le point d’acheminement naturel de ses produits à bases de plâtre vers le Moyen-Orient, le Maghreb et le bassin méditerranéen, une zone en plein développement. « Afin de limiter le coût, on avait transféré la production en Espagne et en Italie. En retravaillant avec le port de Marseille, on a rapatrié la production à Carpentras », poursuit Olivier Guilluy. Siniat dispose désormais de trois sites de production dans le Vaucluse à Avignon, Carpentras et Visan.
Le conseiller au commerce extérieur de la France juge ainsi que « si le port fonctionne, Marseille est une vraie base arrière solide ». « Il faut que la région se tourne vers la Méditerranée. Il ne faut pas avoir peur : il faut développer les pays autour. Si on veut limiter l’immigration, soit on s’appauvrit, soit on développe les pays autour. Et pour ça on a un port au bout de la vallée du Rhône qui peut drainer l’axe Lyon-Marseille sur tout le bassin méditerranéen, avec des pôles de compétitivité, comme dans l’aéronautique ou la cosmétique, avec « l’Occitane » à Grasse qui dispose de savoir-faire en huiles essentielles et agroalimentaire. La logistique existe, il y a de quoi drainer du développement », analyse-t-il.
Outre la Méditerranée, Olivier Guilluy, qui a travaillé 15 ans en Asie, souligne également que ce continent « n’est plus qu’une base de production, mais aussi une base de consommation ». « Les gens veulent de vrais produits. La France, c’est Monnet, l’art de vivre : ce n’est pas que le tourisme. Il y a une palette à développer au départ de la Provence qui est synonyme de qualité de vie : faisons-en un vrai atout ! », plaide-t-il.
Et le Lillois d’origine de conclure par un parallèle avec la Capitale européenne de la Culture 2004. « Lille s’est alors transformée. A Marseille, c’est vraiment engagé avec de nouveaux musées, des immeubles. Il faut que le port continue ce qu’il a commencé et que Marseille devienne une ville propre, fière de sa façade maritime : Aix est une ville propre, il n’y a donc pas de fatalité dans le Sud. Enfin, il y a énormément d’atouts dans cette région et il ne faut pas avoir peur de l’exportation : il faut se servir de l’immigration pour vendre au Maroc, en Algérie et en Tunisie, et faire venir les gens sur le plan touristique. Plus on vendra, mieux on se portera. »
Serge PAYRAU