Publié le 19 juin 2019 à 9h43 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h47
Jean-Luc Chauvin, le Président de la CCI Marseille-Provence, revient sur les grands enjeux du territoire, affiche son ambition de créer la CCI du XXIe siècle, agile, de services, connectée «toujours plus utile aux entreprises». Dans ce but, et afin de contribuer au dynamisme du centre-ville de Marseille toutes les formalités aux entreprises sont désormais délivrées au Palais de la Bourse de Marseille . Bien ancrée dans son territoire, la Chambre n’en appelle pas moins les entreprises à regarder aussi vers l’international et notamment l’Afrique pour assurer leur développement. Il insistera d’ailleurs lors du Sommet des deux rives de la Méditerranée les 23 et 24 juin et du B7 qui se déroulera en juillet à thecamp, pour que Marseille développe toutes les potentialités que lui offrent son emplacement, son histoire et sa population et devienne le Hub de la France et l’Europe sur la Méditerranée et l’Afrique. Jean-Luc Chauvin préconise également une « Maison de l’Afrique » à Marseille à l’instar de l’IMA à Paris. Entretien.
Destimed: Jean-Luc Chauvin quel regard portez-vous sur les résultats des élections européennes qui viennent de se dérouler?
Jean-Luc Chauvin: Plus que des résultats, qui relèvent des commentateurs politiques, je parlerai des enjeux. Je considère qu’aujourd’hui, grâce aux nouvelles technologies le monde s’est raccourci. Aucun pays du vieux monde, l’Europe, est en capacité de peser sur les plans économique, scientifique, industriel… dans la compétition qui oppose les États-Unis et une partie de l’Amérique à la Chine. L’Inde, tout comme l’Afrique ne sont pas encore des acteurs de ce match mais le seront demain. Alors l’Europe est une nécessité, non seulement si nous voulons peser en matières de recherche, de progrès technologique, mais aussi pour apporter un modèle de développement plus respectueux des hommes et des femmes et de la nature. Si nous voulons peser pour que se développe une économie circulaire, il va falloir créer quelque chose de puissant entre l’Amérique et la Chine et contribuer à un développement harmonieux de l’Inde et de l’Afrique. Au niveau national, le monde que nous avons connu, bâti sur le triptyque Commune, Département, État n’est plus. On va aller selon moi vers des métropoles/région avec, à l’horizon 2050, un ensemble qui regroupera Marseille, Toulon, Avignon, Nîmes et Manosque et qui ira quelques décennies plus tard s’étendre de Lyon à Toulon. Et, en ce qui concerne l’Europe, des consensus majeurs s’imposent: il faut aller vers un Président élu au suffrage universel et un droit social harmonisé. On ne peut pas vouloir une Europe forte et ne rien partager. Alors que cette Europe est une nécessité si nous voulons la paix, la prospérité et une répartition des richesses. Et j’ajoute qu’elle ne pourra se construire que dans une relation forte avec l’Afrique. Si tel n’est pas le cas alors le scénario est écrit, nous serons coincés entre la route de la soie d’une part et un protectorat américain de l’autre. Mais force est de constater qu’aujourd’hui nous n’avons pas un projet européen mais des projets des pays dans l’Europe. C’est ce qui impose à mes yeux l’élection d’un Président au suffrage universel, une élection qui permettra enfin un débat européen.
Nous parlons d’international, il y a un sujet sur lequel vous êtes particulièrement sensible, c’est l’Afrique. Où en êtes-vous de votre réflexion?
Je ne cesse de dire que nous avons une position géographique, une histoire, une diversité de population, des enjeux climatologiques qui, la France et l’Europe doivent en prendre conscience, fait de nous un Hub naturel, à conforter, entre l’Europe, la Méditerranée et l’Afrique. Nous sommes dans le même bateau, confrontés aux mêmes problématiques environnementales. Nous nous sommes toujours construits sur des échanges. Nous sommes plus proches du Maghreb que des pays de l’Est européens. Je crois en plus que le réveil de l’Afrique sera en premier lieu économique car la démocratie n’a pas encore amené le meilleur sur ce continent où il faut créer du développement économique et développer l’instruction. Nous avons là, France et Europe, une grande bataille à mener car les grandes entreprises américaines sont en train «d’évangéliser» le territoire pendant que les Chinois extraient les matières premières et notamment les terres rares. Nous assistons là, à de nouvelles formes de colonialisme. L’Europe a des liens et une responsabilité historiques: nous avons colonisé ces pays, créé des frontières. Nous n’avons pas suffisamment aidé les peuples pour leur permettre de prendre en main leur destin avant de jouer avec leur personnel politique. Il faut leur permettre de prendre le chemin du développement durable qui n’est la préoccupation ni des Chinois ni des Américains. Je pense que l’Europe et le monde économique ont un rôle à jouer tant en direction de l’Afrique francophone -attention en ce domaine au rôle de cheval de Troie que pourrait jouer le Canada- et aussi de l’Afrique anglophone. Il faut recoudre l’Afrique, c’est un vrai sujet de militantisme. L’économie et l’éducation peuvent rendre les hommes et les femmes libres. La France doit arrêter d’être donneuse de leçons et devenir partageuse.
C’est dans ce cadre que vous avez créé en 2017 AfricaLink?
Effectivement et la logique de réciprocité économique dans laquelle nous nous inscrivons fonctionne puisque, aujourd’hui, ce réseau fait du Nord/Sud mais aussi du Sud/Sud et de l’Est/Ouest. Nous nous battons pour l’internationalisation de notre aéroport. Et nous nous réjouissons que, Ethiopian Airlines nous ai choisis pour une liaison 5 jours sur 7 avec Addis-Abeba véritable hub vers l’Afrique anglophone. Il nous faut maintenant avoir une ligne vers la Chine, probablement Shanghai et une vers les États-Unis. Il faut également que le territoire soit raccordé aux grands corridors européens. Nous avons un grand port qui bénéficie d’un emplacement unique et d’espace pour poursuivre son développement, deux faits qui le distinguent de Gênes et de Barcelone, il faut le désenclaver afin qu’il développe toutes ses potentialités.
La France va accueillir le G7, un sommet préparé par le B7 qui se déroulera à thecamp. Y-participerez-vous?
La France va en effet accueillir le sommet du G7 en août à Biarritz. Il regroupe, comme son nom l’indique, 7 pays : Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon et Royaume-Uni. L’Union européenne est également associée à leurs travaux depuis 1977. Ensemble, ils représentent 40% du PIB mondial et 10% de la population mondiale. Ce sommet est préparé par le Business 7, plateforme officielle du monde des affaires en lien avec le G7. Rassemblant les principales fédérations d’entreprises des pays du G7, il formule des recommandations sur des thématiques globales qui affectent l’activité des entreprises et le commerce international. Il présente notamment sa contribution à l’occasion de son sommet, qui se tiendra cette année les 4 et 5 Juillet à Aix-en-Provence, à thecamp. C’est le Medef national qui assume en 2019 la présidence du B7. Les travaux de ce groupe d’engagement porteront sur quatre thématiques : la lutte contre les inégalités et le besoin d’une nouvelle gouvernance mondiale, l’urgence de la transition écologique et d’une croissance économique responsable, la cyber-sécurité et la protection des données personnelles, enfin la réforme du multilatéralisme pour un commerce plus libre et plus équitable. J’ai été invité par le président du Medef à participer et je compte bien défendre l’idée que nous sommes le hub naturel entre l’Europe et l’Afrique. Et qu’il serait bon pour tous de nous permettre d’en tirer toutes les potentialités. Et il serait bon, à l’heure où les enjeux écologiques n’ont jamais été aussi importants, de reposer la question du canal Rhin-Rhône avec tous les camions que cela enlèverait des routes.
Marseille va également accueillir le sommet des deux rives de la Méditerranée les 23 et 24 juin. Qu’en pensez-vous?
C’est une remarquable initiative du Président de la République, une reconnaissance de l’importance de Marseille. Il importe donc que cette reconnaissance aille au-delà de ce sommet. Nous ferons passer nos messages sur le Hub, nos réflexions sur les enjeux économiques à court, moyen et long termes. Et pourquoi ne pas nous reconnaître comme territoire d’expérimentation en matière d’échanges de marchandises et de personnes. Pourquoi ne pas également créer à Marseille « la Maison de l’Afrique » sur la Canebière comme il existe à Paris l’Institut du Monde Arabe? Nous avons ici des communautés importantes. On pourrait avoir un lieu d’échanges, de débats, de découvertes des cultures africaines dans des domaines aussi divers que l’économie, la culture, le sport, la santé… Pour une Méditerranée zone de stabilité, de paix, de confiance et de liens il faut développer des intérêts en Afrique, contribuer à la création de richesses, de savoir. Kedge est déjà installé à Dakar, il faut aller plus loin. C’est un des deux grands enjeux de cette mandature.
Quel est l’autre enjeu?
Il faut créer la CCI du XXIe siècle, être toujours plus utile à nos entreprises dans un contexte de baisse sans précédent du produit de la taxe pour frais de chambre (TFC), dont, faut-il le préciser, s’acquittent essentiellement les grandes entreprises et qui devrait servir à financer les CCI et que l’État ponctionne. Nous percevions 52M€ en 2010 pour aujourd’hui en arriver seulement à 17,5M€. Or, lorsque nous sommes arrivés dans cette maison elle était dépendante à plus de 75% de cette taxe j’avais pris l’engagement que nous passerions à 50% en 2021 et nous en sommes déjà aujourd’hui à 55%. Cela nous a obligés à nous réorganiser, à diversifier nos activités tout en remettant au cœur de notre activité le client, à savoir l’entreprise. Être à leurs côtés de la naissance à la transmission en les accompagnant dans leurs difficultés comme dans leur croissance. Nous devons aussi venir en appui des collectivités et de l’État. Nous devons ainsi créer de nouvelles offres de service. Conscients des nouveaux enjeux et des opportunités de la transition écologique, nous travaillons aussi avec le Grand Port et l’AMU pour contribuer à en faire un port plus propre , plus intelligent. De même, nous développons l’économie circulaire et expérimentons avec Alteo la récupération de matières, jusqu’ici non utilisées. En fait ce que nous cherchons s’énonce simplement, nous voulons faciliter la vie de nos entreprises, porter leur voix. Dans ce cadre le Metropolitain Business Act, qui vise à favoriser les échanges entre donneurs d’ordre et PME-TPE, est un bon exemple. Ce dispositif qui est le volet achat de la démarche Pacte PME que nous venons de lancer avec la Métropole, regroupe 1 000 entreprises issues du territoire dont 550 PME-TPE et 150 donneurs d’ordre dont l’État. L’idée n’est pas de fausser les règles de la concurrence simplement de mettre en lumière les savoir-faire existants ici, tout au long de l’année. Il permet aux entreprises d’intégrer une communauté business, en ligne, et en réel ce que nous appelons « phygitale ». Nous voulons également faire bénéficier nos PME-TPE de notre data. Par exemple, leur proposer les mêmes outils d’aide à la décision et à l’implantation que les grands groupes. C’est pourquoi nous lancerons un site internet pour les entreprises qui vont ou viennent de se créer pour leur permettra de faire une étude de marché et de connaître leur zone de chalandise, leurs principaux concurrents. Les premiers éléments seront en utilisation libre et, si l’entreprise souhaite des données plus fines ce sera payant. Nous sommes en phase de tests. Nous mettons de même un autre service en place pour les entreprises et les jeunes: «Je trouve mon apprenti». Nous créons une plateforme sur laquelle l’entreprise pourra renseigner ces offres. L’apprenti s’inscrit en indiquant son secteur d’activité et « la machine » les rapproche. Cela doit permettre d’augmenter le nombre de stages et offrir la possibilité à des jeunes, qui n’ont pas de réseau, de trouver un débouché. Nous allons également renforcer notre offre d’aide à la création d’entreprise. Nous souhaitons aussi diversifier nos services aux collectivités et au territoire, comme par exemple, dans le domaine de la plaisance, où nous gérons en Délégation de service public le port de l’Anse de la Réserve. Nous pourrions aussi aider les communes dans la gestion ou la commercialisation de zones d’activités. Il y a des opérations que nous menons sans le faire-savoir et bien nous allons faire-savoir et rentabiliser nos expertises.
Vous allez également restructurer le Palais de la Bourse?
Le Palais de la Bourse est un lieu emblématique du cœur historique de Marseille. Ma volonté est qu’il devienne le véritable parlement de l’économie, la maison des 105 000 entreprises du territoire. Un lieu qui facilite la vie des entrepreneurs et où ils trouvent l’ensemble des solutions pour assurer leur croissance. C’est ici que le business s’accélère. L’ensemble de nos collaborateurs sont réunis depuis le 11 juin dans un lieu unique. Cela nous permet d’être encore plus efficace, de travailler en transversalité et de gagner en performance au bénéfice des entreprises du territoire. J’ai souhaité, en début de mandature, un plan de transformation du Palais de la Bourse. Il est en cours de mise en œuvre et permettra de le rendre plus moderne, plus vivant, mieux adapté aux besoins des entreprises.
Propos recueillis par Michel CAIRE