Publié le 24 décembre 2020 à 7h49 - Dernière mise à jour le 31 octobre 2022 à 12h21
Mgr Aveline, archevêque de Marseille, dans un entretien, revient sur le contexte de crise, d’incertitude dans lequel se déroule cette fête de la Nativité. Il insiste sur son importance en rappelant que, pour les chrétiens, se faisant enfant, Dieu a sollicité notre confiance. Une confiance qui ne doit pas être facteur de fatalisme mais de résistance face «à ceux qui créent de la défiance sur la véracité des discours, des pratiques et d’autres qui jettent le germe de la division».
«Les martyrs nous apprennent à ne pas plier le genou devant n’importe quoi ou n’importe qui»
Covid, changement climatique, attentats… En quoi la naissance d’un enfant peut- elle être une réponse aux questions angoissantes qui se posent à l’humanité?
Nous sommes dans un contexte difficile, l’incertitude est totale quant à l’évolution de la crise sanitaire. Si on a vécu le premier confinement comme une parenthèse, il n’en est pas allé de même avec le second. Nous avons en revanche la certitude des dégâts colossaux que cette crise produit pour l’économie, l’emploi et surtout pour les familles les plus précaires. Et, je suis particulièrement attentif à la situation de Marseille, ville déjà pauvre. C’est avec ces questions, aussi vertigineuses que déstabilisantes que nous allons fêter la Nativité dans des conditions presque normales, ce qui est une chance que ne connaîtrons pas certains de nos voisins européens. Mais pourquoi une naissance peut-elle avoir du sens dans la nuit d’incertitude et de défiance qui semble de plus en plus recouvrir notre Terre? L’importance de cette naissance, qui n’eut pour écho que la rumeur des bergers et la clameur des anges, réside dans le fait qu’en nous faisant confiance Dieu a sollicité la nôtre. Nouveau né, sans défense, il s’est abandonné entre nos mains. À notre tour de lui faire confiance. Alors, le message des chrétiens, à Noël, est peut-être là, dans une sérénité, un calme intérieur, une paix, dans une société qui ne sait plus où elle en est. Notre Foi n’est pas une invitation au fatalisme, à l’acceptation. Elle est tout le contraire, elle est message d’espoir, de résistance. Les martyrs nous apprennent à ne pas plier le genou devant n’importe quoi ou n’importe qui.
«Le Sauveur a-t-il besoin de sauveteurs?»
De nombreuses voix se sont élevées pour insister sur l’importance de sauver Noël. Quel est votre sentiment ?
Ce Noël est vraiment étrange. De toute part, il en est, en effet, pour dire l’importance de sauver Noël. Pourquoi? Le Sauveur a-t-il besoin de sauveteurs? La sauvegarde du commerce le sauvera-t-il ? Même si, attention, je comprends très bien l’importance de protéger notre économie, nos emplois. Je note aussi que d’autres veulent sauver Noël, non pour sa dimension commerciale mais parce qu’il est important dans ce temps de crise, de se retrouver, d’être ensemble. Je comprends là encore les discours qui nous invitent à faire attention. C’est très important de les entendre, les appliquer. Mais il en est qui voudraient contenir tous les risques et, alors, on risque d’oublier de vivre. Je pense notamment à ce message: «Si on aime ses proches on ne s’approche pas.» Il est compréhensible pour des adultes mais, mesure-t-on l’effet qu’il peut avoir sur des enfants ?
La notion d’aimer son prochain comme soi-même, dans cette période, ne devient-elle pas plus nécessaire que jamais pour le vivre-ensemble et, dans le même temps, plus que jamais complexe à comprendre, à mettre en œuvre?
Il faut en premier lieu rappeler que, dans l’Évangile, le prochain est celui dont on se fait proche. C’est celui qu’on écoute, celui auquel on ne se dérobe pas. La première chose à faire c’est d’écouter mais cela ne suffit plus. Dans la crise actuelle on voit bien que les associations doivent répondre aux besoins élémentaires d’un nombre croissant de personnes, que les files ne cessent de s’allonger devant leur porte. Mais, il en est encore qui n’osent pas exprimer leurs besoins. Face à cela, j’ai lancé l’idée aux paroissiens, avant le deuxième confinement, de faire des petits-déjeuners pour ceux qui ont passé la nuit dehors. Un plus par rapport aux dispositifs déjà existants et je vois que cela a pris. J’ai par ailleurs nommé l’Amiral Garié responsable de la solidarité pour l’Église de Marseille et il a réalisé un énorme travail. En fait, nous faisons en sorte que les habitudes changent. Avant ces crises, lorsque quelqu’un venait faire part de problèmes dans une paroisse on l’envoyait au Secours Catholique, maintenant on agit, directement. Et la solidarité devient plus que jamais un pilier de notre église.
Qu’en est-il pour les étudiants?
Certains souffrent beaucoup, sont isolés, ont décroché dans leurs études. Ils ne peuvent parfois pas bien se nourrir, se soigner. Nous avons été sollicités par le Rectorat. Au-delà d’une aide pour répondre à leurs besoins, un travail est mené en partenariat entre l’enseignement catholique et le Rectorat pour mettre en place un plan d’urgence pour soutenir les étudiants qui décrochent. Et, en septembre prochain, pour éviter ce décrochage, nous devrions mettre en place, pour ces jeunes bacheliers, un centre préparatoire pour les études supérieures, afin de leur permettre de mieux se préparer, s’orienter.
«Nous avons là un grand nombre d’ingrédients pour lesquels l’Histoire nous rappelle que, lorsqu’ils sont rassemblés, il importe de se méfier»
Ne craignez-vous pas que ces crises ne débouchent sur diverses formes de conflits ?
Il faut être très attentif. Pendant que nous avons les yeux rivés sur le nombre de patients hospitalisés d’autres, en profitent, pour réaliser des affaires ou pour véhiculer des messages politiques en distillant la peur de l’Autre. Peur, qui nous rend chacun plus vulnérables. Il y a, encore une fois, des situations qui imposent de se protéger et il faut le faire mais attention au venin de la division, de la peur de l’Autre. Attention aussi à l’immobilisme. Un troupeau à l’arrêt est un troupeau en danger. Quand il marche, il est composite, certains peuvent aller sur les côtés mais tous avancent dans la même direction. A l’arrêt personne ne sait où il va et les loups ne sont jamais très loin. Or, nous sommes dans une période de grande souffrance populaire, de décrédibilisation de la parole officielle, politique ou médicale, un phénomène amplifié par les réseaux sociaux. Nous avons là un grand nombre d’ingrédients pour lesquels l’Histoire nous rappelle que, lorsqu’ils sont rassemblés, il importe de se méfier. Et c’est de résistance dont il est question face à ceux qui créent de la défiance sur la véracité des discours, des pratiques; ceux qui jettent le germe de la division tandis que certains véhiculent des discours moralisateurs sur ce qu’il faut faire ou pas. Discours qui seraient imbuvables s’ils étaient tenus par des religieux. A ceux qui jouent sur l’identité, je rappelle que le christianisme est une religion seconde, greffée sur la religion juive. La majeure partie des écritures sont juives et pourtant il s’agit de la Bible des chrétiens. L’identité du chrétien ne peut donc exister sans l’altérité juive, altérité qu’il a été difficile de reconnaître positivement. Et je dois dire que le discours qui se développe actuellement sur l’autosuffisance m’inquiète fortement car je trouve qu’il conduit à l’atrophie. Il ne faut jamais oublier que toute identité est le fruit de métissage.
«Enfant, en Algérie, les fêtes musulmanes, juives et chrétiennes étaient l’occasion de partage de gâteaux entre enfants»
Vous avez parlé de la religion juive, et l’islam ?
Là encore il y a le Livre. Et, au-delà, je pense que le pressentiment d’une fraternité est un socle qui existe dans toutes les traditions religieuses. Ainsi, au lendemain de l’attentat de Nice, j’ai reçu, à leur demande, 21 imams de notre territoire qui sont arrivés avec une grande gerbe de fleurs en signe de condoléances. J’en ai vu qui étaient décontenancés, perdus face à une violence qui murît sur le socle d’une religion et la défigure en même temps. Nous avons eu 1h30 de réunion. Je leur ai fait une proposition: ils vont distribuer de la nourriture, nous aussi et si, de temps en temps, nous le faisions ensemble? Cela vaudrait plus que tous les discours. Nous aurions des gestes d’humanité organisés par des personnes de confessions différentes. Une idée qui fait son chemin. J’en ai par la suite reçu une dizaine d’autres et ce fut tout aussi enrichissant. Je dois dire que je me souviens encore qu’enfant, en Algérie, les fêtes musulmanes, juives et chrétiennes étaient l’occasion de partage de gâteaux entre enfants, une véritable éducation à la gourmandise et au partage. Je m’en suis souvenu lorsque, voilà peu, un prêtre a invité ses paroissiens à faire des pâtisseries et à aller en proposer à ses voisins. Moyen d’aller voir son voisin simplement, par fraternité.
La laïcité revient sur le devant de la scène, qu’est-ce que cela vous inspire?
La laïcité est une option politique de la vie sociale qui respecte chaque opinion, les inclut dans l’espace public, offrant ainsi un espace de réflexion, de critiques. C’est une excellente chose puis il y a le laïcisme, une idéologie qui veut exclure de l’espace public le religieux, ce qui, entre nous soit dit, le rend plus dangereux puisqu’il n’est plus soumis à l’Agora.
«Nous avons pris le label Église verte, un label œcuménique parce que la vie sur terre est une bénédiction»
La question du changement climatique occupe une part de plus en plus importante. Comment vous positionnez-vous sur cette question?
C’est bien l’une des preuves que nous ne réussirons que si nous sommes unis. Le Pape François dans l’encyclique «Laudate Si» a d’ailleurs adressé une invitation urgente à un nouveau dialogue sur la façon dont nous construisons l’avenir de la planète. Il rappelle notamment que le défi environnemental que nous vivons, et ses racines humaines, nous concernent et nous touchent tous. Dans ce contexte nous entendons prendre notre part. Nous aurons ainsi un stand au Salon de l’UICN (congrès mondial de l’Union Internationale pour la conservation de la nature) et nous avons créé un conseil diocésain «Laudate Si» en janvier 2020 pour préparer ce congrès et avancer sur le respect de la nature. Nous avons pris le label Église verte, un label œcuménique parce que la vie sur terre est une bénédiction, parce que la crise écologique nous engage. Ce conseil a une moyenne d’âge de 30 ans et effectue un travail remarquable. Là encore il faut lutter contre le fatalisme.
«Le Pape pourrait donc faire étape à Marseille avant de se rendre à Lourdes»
On évoque la venue du Pape à Marseille en 2021, qu’en est-il ?
C’est une possibilité. Il faut savoir que la famille ignatienne francophone qui regroupe les différentes congrégations, communautés, mouvements ou associations -tant religieuses que laïques- de spiritualité ignatienne mais relevant de statuts canoniques différents va se réunir à Marseille fin octobre et début novembre 2021. 8 000 personnes sont attendues. J’ai reçu le Provincial des Jésuites qui m’a demandé d’inviter le Général des Jésuites ce que j’ai accepté et j’ai évoqué le nom d’un autre Jésuite qui se trouve à Rome. Or, il se trouve que le 3 novembre se tiendra à Lourdes l’Assemblée des Évêques de France. Le Pape pourrait donc faire étape à Marseille avant de se rendre à Lourdes. J’en ai parlé au Président de la Conférence des Évêques de France qui a retenu l’idée et l’a évoqué au Pape auquel j’ai écrit pour l’inviter. Il semblerait que cela ait des chances de se faire. Nous le saurons en mars ou avril sachant que Marseille l’intéresse car elle comporte nombre de défis qui comptent aux yeux du Pape: pauvreté, flux migratoires, défi méditerranéen, dimension populaire de la religion. Sa venue serait un très beau message d’espoir pour la Méditerranée. Et nous accueillerons en 2022 l’Office international de l’enseignement catholique pour une réunion qui portera sur les défis de l’enseignement en Méditerranée.
Propos recueillis par Michel CAIRE