Publié le 6 décembre 2022 à 13h09 - Dernière mise à jour le 9 juin 2023 à 20h27
Emmanuel Macron a effectué une longue visite de trois heures au camp des Milles à Aix-en-Provence à l’occasion des 10 ans de l’ouverture du site au public. Alain Chouraqui le président de la fondation du camp des Milles a guidé le président, du wagon de la déportation à l’ancienne briqueterie où 10 000 prisonniers ont été internés de 1939 à 1942. Artistes et intellectuels allemands et autrichiens opposés au régime nazi ont séjourné misérablement dans ce camp avant d’être rejoints par les indésirables et les juifs. 2 000 seront envoyés à Auschwitz dont des bébés.
Un travail réflexif pour éviter la reproduction du pire
Le couple Klarsfeld, Serge et Beate, «les chasseurs de nazis » étaient présents tout au long du parcours pour mettre en exergue tel ou tel point de l’histoire du camp. Au cours de cette déambulation Alain Chouraqui a, lui, expliqué au président la démarche initiée au camp des Milles, une démarche «unique au monde avec un travail réflexif pour éviter que le pire ne se reproduise. C’est une longue aventure, un combat de 30 ans où nous n’étions pas soutenus car cela remuait trop de choses et nous n’étions pas compris». Au camp des Milles on présente de façon inédite des connaissances scientifiques et inter génocidaires qui permettent au visiteur de mieux comprendre les étapes de l’engrenage vers le pire. «Les mécanismes humains, individuels, collectifs qui se sont produits dans le passé dans tous les génocides sont des mécanismes qui montrent comment l’homme fonctionne, comment l’homme peut déraper. Ce sont donc des repères et des boussoles pour aujourd’hui où monte la violence identitaire». Pour le président de la fondation, la présence d’Emmanuel Macron au camp des Milles n’est pas anodine. Elle marque « une grande reconnaissance de la part de l’État. C’est la lucidité d’un État qui veut construire le présent et l’avenir à partir d’une lucidité sur le passé. On ne construit rien de sain sur des occultations et des évitements ». <video44245|center>
« La France s’est perdue »
Le président de la République a salué l’action de tous ces passeurs qui ont permis de restaurer ce camp pour que vive la mémoire. Celle d’une France qui s’est parjurée. «Au camp des Milles, la France aux mains de Pétain et Laval s’est de nouveau perdue. Elle a raturé les principes de 1789. Si la République a été brisée à Bordeaux, en forêt de Compiègne, à Montoire, c’est au Milles qu’elle connut, comme au Vel d’Hiv, l’un de ses plus complets parjures. Ici, ce fut la trahison par le régime de Vichy du droit d’asile. Les réfugiés devinrent des otages. Ce fut l’antisémitisme d’État, incarné par des barbelés et des lois iniques. La haine pour les juifs des collaborateurs ne s’arrêta pas à la nationalité de leurs victimes. Ici se sédimente chaque renoncement, chaque faute, chaque crime des autorités française».
Ne soyons jamais dupes des habits neufs que les mêmes idéologies de division adoptent pour nous leurrer
«Ici aux Milles, poursuit le chef de l’État, la France a été telle qu’elle ne doit plus jamais être et si nous sommes ici, 80 ans après la déportation des juifs du camp des Milles c’est pour dire que notre Nation doit être la voie de l’humanisme, de l’État de droit, du refus de la haine. Le régime de la collaboration continue malgré tout de recruter des adorateurs et ils disposent toujours d’héritiers. Sachons ouvrir les yeux sur la montée de la xénophobie et de l’antisémitisme, tendons l’oreille aux résurgences du racisme. Ne soyons jamais dupes des habits neufs que les mêmes idéologies de division adoptent pour nous leurrer. Et répétons avec force contre le silence, les omissions ou les compromissions, que les victimes étaient des juifs, que leur seul crime était d’être juif, que leur assassinat n’avait d’autres mobiles que la haine des juifs»
Les leçons de la mémoire
«Pour un chercheur et écrivain comme moi, voir sa pensée répercutée par un tel lieu c’est quelque chose de très important», affirme Alain Chouraqui. «Cela donne espoir dans l’efficacité de la pensée. Notre approche est reprise dans le monde entier. Dans le plus grand musée sur l’holocauste à Washington où on nous a demandé de rédiger la partie réflexive, à Kigali au Rwanda ou via la charte de l’Unesco dans une vingtaine de pays». C’est cela votre plus belle récompense ? «Oui». 20 ans de travaux ont permis de bâtir un socle de recherche et de développement pédagogique. Au camp des Milles les leçons de la mémoire sur l’effet de groupe, sur la soumission aveugle à l’autorité, sur les stéréotypes et les préjugés dans les génocides sont patentes. <video44246|center>
Une éducation citoyenne
Depuis 10 ans, quelque 600 000 jeunes ont visité le site-mémorial et son volet réflexif. «L’objectif est de comprendre quels sont les processus, les mécanismes qui peuvent mener du racisme au crime génocidaire», indique Olivier Vincent enseignant en histoire-géo, détaché au camp des Milles. «A partir d’une démarche comparative autour de trois génocides on essaie d’être un trait d’union entre le passé et le présent. On part du principe que l’histoire alerte le présent et elle doit permettre une vigilance citoyenne. Les jeunes sont touchés par l’histoire des lieux et la force des lieux et s’intéressent aussi aux outils pédagogiques qui ont des effets très concrets». C’est un lieu vivant et un repère citoyen que le président de la république est venu saluer à l’occasion des 10 ans de l’ouverture du site-mémorial du camp des Milles, fruit d’un combat de plusieurs décennies et aujourd’hui une référence mondiale. Reportage Joël BARCY
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