Publié le 20 novembre 2015 à 13h30 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 20h45
Coincé dans la production « verdienne » entre « Ernani » et « Jeanne d’Arc », « I Due Foscari », c’est une histoire de vengeance à Venise, celle d’un membre du conseil des dix, Loredano qui, par son attitude implacable, va envoyer ad patres le vieux doge Foscari et son fils dans la même journée, ou presque. Cette œuvre de Verdi très peu jouée, le maestro Paolo Arrivabeni nous confiait qu’il la dirigeait pour la deuxième fois de sa carrière, ne manque pourtant pas d’intérêt. La trame dramatique est solide, la partition, dense, possède une belle architecture et les parties chorales rappellent que Verdi a déjà vécu le triomphe de « Nabucco » et des « Lombard » auparavant. Les atouts de cette partition sont indéniables et Paolo Arrivabeni en est plus que persuadé, en livrant une lecture puissante, toute de souffle épique et de sentiments à la tête d’un excellent orchestre de Marseille qui, quelques jours après avoir brillé par ses vents pour « Sémiramide », voyait ses cordes illuminer les représentations, dimanche et mercredi, des « Due Foscari ». Précision, couleurs, volume : autant d’atouts et de qualités exprimés à ces occasions. Idem pour le chœur « transfiguré » depuis quelques sorties, dont les pupitres masculins, très sollicités par Verdi dans cette composition, ont eu l’occasion de se mettre en évidence. Du beau travail sur scène, mais aussi en amont sous la direction d’Emmanuel Trenque. Mais, qu’on ne s’y trompe pas, la découverte de cette partition, c’est grâce à Léo Nucci qu’elle est intervenue. Si le baryton n’avait pas été là, il y a fort à parier que les deux Foscari seraient restés au royaume des ombres.
Léo Nucci : un phénomène. A plus de 70 printemps il trimballe la carcasse du vieux Doge écrasé par le poids de sa charge, écartelé entre sa fonction de juge et l’amour paternel. Il entre sur scène, visage grave, épaules basses, regard perdu sur la lagune et il chante « O vecchio cor que batti ». Tout y est, et tout restera jusqu’à son dernier souffle : l’émotion, la puissance, une ligne de chant d’une fraîcheur extraordinaire au sens propre du terme, le velours de la voix, les sentiments qui se lisent sur le visage et cette grande technique vocale qui lui permet de bisser « Questa dunque é l’iniqua mercede » au troisième acte… Que dire, qu’écrire après avoir vu et entendu cet artiste hors du commun ? Chapeau bas et respect, ovation debout, tutti et quanti : mille fois mérité.
Énorme performance, aussi pour Sofia Soloviy qui chante Lucrezia. En voulait-il aux soprani, Verdi, lorsqu’il compose la partie de l’épouse du jeune Foscari ? Toujours est-il que c’est une montagne de difficultés qui se dresse devant l’interprète. Et Sofia Soloviy le sait. Elle a du charme mais on la devine tendue à son entrée sur scène. Elle se libère très vite pour laisser la palette de ses qualités vocales s’exprimer ; sa ligne de chant est belle, franche et précise, les vocalises sont bien menées et la voix est dense, charnue. Sa prestation sera saluée comme il se doit par un triomphe.
Jacopo Foscari, le fils du doge, est incarné par Giuseppe Gipali. Lui aussi tutoie les étoiles à cette occasion. La voix est puissante, précise et souple. Il fait preuve d’une grande personnalité et se joue de petits problèmes de santé en ce mercredi soir. Le ténor nous a totalement conquis, tout comme l’ensemble du public qui lui a réservé un accueil chaleureux.
Wojtek Smilek, lui, incarne Loredano. Belle basse sombre, on connaît ici ses qualités vocales qu’il met en avant, une fois de plus.
Aux côtés de ce quatuor, Sandrine Eyglier (Pisana) et Marc Larcher (Barbarigo/Fante/Servo) assurent parfaitement leurs parties respective avec d’indéniables qualités vocales, chez l’une comme chez l’autre. A oui, on oubliait de vous dire que ces deux représentations étaient données en version concertante ; mais qu’importe, le bonheur était au rendez-vous en smoking et robes longues. Et par les temps qui courent, nous l’avons savouré pleinement.
Michel EGEA