Publié le 11 mars 2016 à 19h27 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 22h05
«C’est fou ce que j’aime cette ville… » Secoué par un violent mistral qui balaie les quais du Vieux Port, ciel bleu métal, luminosité maximale, Nader Abbassi lâche cette affirmation définitive. Lui, l’Égyptien, est aussi très heureux de ce côté de la mare nostrum et retrouve avec bonheur l’Opéra, quatre saisons après «Carmen», pour diriger «Madama Butterfly». Il faut dire que les souvenirs ne manquent pas, ici, au maestro. Comme ce moment où il fut abordé dans la rue de Rome par un quidam à moto qui lui dit : «Tu ne te souviens pas de moi ?» Lui ne s’en souvenait pas. L’homme était un ancien détenu des Baumettes qui avait assisté à un concert de l’orchestre de l’Opéra dans le gymnase de la prison, concert dirigé par Nader Abbassi et à l’issue duquel un échange avait eu lieu. «Tu vois, je suis sorti et je suis allé à l’opéra aux places à 5 euros, comme tu l’avais dit, lui a confié son interlocuteur. Et mes enfants jouent de la musique aujourd’hui…» Lorsqu’il évoque ce souvenir, Nader Abbassi a les yeux qui brillent. «C’est la plus belle des choses… », souffle-t-il.
Le parcours professionnel de ce directeur musical est à l’image de sa personnalité : ouvert aux autres et généreux. En 2002, il dirige «Aïda » au pied des pyramides de Gizeh; en 2008 c’est lui qui est à la tête de l’orchestre pour l’ouverture des J.O. de Pékin et, il est reconnu comme l’un des meilleurs interprètes de Verdi. Pendant des années, il dirigera l’orchestre du Caire. «Direction à tous les niveaux, se souvient-il. Un travail énorme car je m’occupais aussi de l’administration; je voulais que cette structure fonctionne à l’européenne; vaste challenge. J’ai fait du mieux que je pouvais et j’ai passé le flambeau mais je suis toujours premier chef invité au Caire.» Il faut dire qu’en Égypte, depuis qu’il a fait taper une foule entière dans les mains en cadence et avec des nuances, il est un peu un «héros». Et se plaît à souligner que ses concerts sont souvent suivis par les jeunes auxquels il fait découvrir la musique classique européenne. Au grand dam des intégristes.
«C’est difficile de travailler sereinement aujourd’hui. Les intégristes, on le sait, veulent détruire l’Art. C’est pour ça que les artistes sont descendus nombreux dans la rue pour demander le départ des Frères musulmans. Ces situations ont créé des états de crise mais, je le dis haut et fort, le peuple égyptien n’est pas extrémiste. Aujourd’hui le monde et l’Europe ont une vision faussée de notre Région. Nous sommes mal vus et même moi je suis touché dans mon activité. Je devais diriger dans un festival à New-York après avoir eu un grand succès dans ma direction de quinze représentations d’Aïda. On m’a fait comprendre que le contrat ne serait pas signé parce que j’étais arabe. Ce n’est malheureusement pas le seul cas. Mais c’est vraiment difficile, même pour nous les artistes, de ne pas être touchés par les amalgames…» Alors Nader Abbassi milite, sans relâche, pour que la musique devienne le plus grand dénominateur commun entre les peuples. Et depuis quelques années, il est le directeur musical de l’orchestre pour la Paix Salam Shalom fondé, par le pianiste argentin Miguel-Angel Estrella. Orchestre qui rassemble, à parité et à tous les pupitres, musiciens arabes et israéliens le tout sous l’égide de l’Unesco ; «Tous parlent la même langue, celle de la musique». Parmi ses projets, la création d’un «Opéra pour la Paix» à Genève, autre ville de cœur où il a étudié le basson, appris à chanter et débuté sa carrière en tant que bassoniste.
C’est sa deuxième «Butterfly»
Reconnu pour ses interprétations des grands ouvrages de Verdi, Nader Abbassi avoue aussi un penchant pour Puccini. «C’est l’un des mes compositeurs préférés et lorsque Maurice Xiberras m’a appelé, il y a quelques semaines, pour savoir si j’étais disponible pour diriger Butterfly à Marseille, mon sang n’a fait qu’un tour. Car je savais qu’il y avait des concerts signés pour moi fin mars mais je ne me souvenais pas des dates précises. Je me suis précipité sur mon agenda; le concert était programmé 48 heures après la dernière de Butterfly. J’ai accepté tout de suite. Pour revoir Marseille, l’Opéra mais aussi pour l’œuvre. Si j’ai souvent dirigé Tosca ou Bohème, ce sera ma deuxième Butterfly.» «Musicalement, poursuit-il, Butterfly ça peut être très vulgaire, mais aussi très fin. C’est l’histoire dramatique d’une jeune fille de 15 ans, ne l’oublions pas, et il faut une soprano hors du commun pour l’incarner. Et nous avons la chance de l’avoir sur scène avec Svetla Vassileva. D’ailleurs, je trouve que toutes les voix sont délicates et me permettent de travailler en finesse avec ce superbe orchestre que j’ai plaisir à retrouver quatre ans après. Et comme je crois que le plaisir est partagé, la qualité du travail s’en trouve augmentée. Puis j’aime beaucoup le travail de mise en scène de Numa Sadoul, qui permet dans un environnement sobre mais expressif, de laisser se développer l’action avec beaucoup d’intimité.» Hâte d’y être…
Michel EGEA
Pratique – «Madama Butterfly» les 16, 18, 22 et 24 mars à 20 heures, le
20 mars à 14h30. Places de 13 à 80 euros – Réservations à l’Opéra, du mardi au samedi de 10 heures à 17h30, angle Place Ernest Reyer et Rue Molière. Par téléphone : 04 91 55 11 10 – 04 91 55 20 43 du mardi au samedi de 10 heures à 17h30 – opera.marseille.fr