Publié le 14 mai 2019 à 8h21 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 11h45
Qui était vraiment Edmonde Charles-Roux ? Adulée par les uns, jugée bien trop autoritaire par d’autres, son parcours qui absorbe à lui seul plusieurs vies est tout à fait étonnant. C’est un livre très réussi que lui a consacré Dominique de Saint Pern. Il a demandé trois années de recherches, de rencontres. L’auteur sera l’invitée de la «Bibliothèque des Arcenaulx», 25 Cours d’Estienne d’Orves à Marseille (1er) ce jeudi 16 mai. Dominique de Saint Pern signera son ouvrage à partir de 18 heures.
Edmonde Charles-Roux, engagée volontaire puis résistante, journaliste, rédactrice en chef de Vogue, prix Goncourt pour « Oublier Palerme » en 1966, épouse de Gaston Defferre, membre de l’Académie Goncourt dès 1983, nous a quittés le 20 Janvier 2016.
Peu de temps avant Dominique de Saint Pern l’avait rencontrée – auteur chez Grasset de « L’extravagante Dorothy Parkeur » (1994) suivi de nombreux romans dont celui de « Baronne Blixen » en 2015- elle s’était enfin décidée à faire un livre sur cette femme exceptionnelle dont la vie trépidante est à elle seule un roman.
Un caractère bien trempé
Autoritaire et séductrice, d’une incroyable énergie, Edmonde Charles-Roux était une femme qui ne lâchait jamais prise. Elle avait depuis toute jeune un caractère bien trempé. Et pouvait être dure comme un roc, à commencer pour elle-même. Du jour au lendemain, elle était passé de l’adolescence dorée et cosmopolite de fille de Diplomate, ce qui lui avait permis de parler plusieurs langues de cette «vieille Europe, légère et valseuse» aux affres de la guerre. Et en l’espace de deux ans, tout va aller très vite.
Alors qu’elle est fiancée à Camillo Caetani -dont le mariage aurait fait d’elle une duchesse s’il n’était pas mort au combat -, le monde bascule. En Italie, l’ambiance devient irrespirable, le 20 mai 1939 son père «homme prudent et bien informé comme peut l’être un diplomate» comprend qu’il est temps de partir, de les expédier, elle et sa mère, à Marseille, chez leur amie Lily Pastré. Jean, le frère, qui deviendra plus tard Prêtre, devant les rejoindre plus tard. Pour sa sœur, la belle Cyprienne, qui en a toujours fait qu’à sa tête, la situation est compliquée. Elle a épousé un prince italien, Marcello Del Drago, tout en gardant une liaison avec Galeazzo Ciano, gendre de Mussolini… Elle restera donc en Italie, mais pour les deux sœurs la séparation est un déchirement. Très différentes l’une de l’autre, chacune aura une vie étonnante. C’est ce que fait revivre ce livre très documenté sur «ce personnage inouï», comme le soulignait Manuel Carcassonne, qui avant d’être patron des Éditions Stock travaillait chez Grasset, l’éditeur d’Edmonde Charles-Roux.
« La guerre a fait de moi ce que je suis »
La guerre ! Edmonde a tout juste 20 ans lorsque le ministère de la Défense Nationale et de la Guerre décide, faute de moyen, de laisser des femmes conduire les ambulances chirurgicales. Des femmes infirmières dont le pays manque. La décision d’Edmonde sera immédiate. Elle s’inscrit à l’école de la Croix Rouge Française à Marseille et cinq mois plus tard, se retrouve à Verdun à proximité du front. Elle part avec son amie Nadia Pastré, elle aussi élève infirmière. 40 ans plus tard, elle semblait encore surprise d’avoir eu ce culot, affronter la guerre, elle la jeune fille élevée à Prague, à Rome : «On savait à peine conduire, on aurait été incapable de changer une roue de notre petite voiture, de jour comme de nuit, on s’est relayées pour arriver le plus vite possible à Verdun» . Edmonde adorait raconter cette épopée, si marquante dans la trajectoire de sa vie, la période ou la chrysalide s’est métamorphosée. Elle-même le disait : «C’est la guerre qui a fait de moi ce que je suis» .
Un roman biographique captivant
La vie d’Edmonde Charles-Roux est à elle seule un incroyable roman, où Marseille donne à voir les ressources qui ont été les siennes en temps de guerre. Une ville où se sont réfugiés de nombreux artistes, écrivains, peintres dont André Breton, Max Ernst, Chagall, Claude Lévi-Strauss, André Masson, le pianiste Samson François encore tout jeune mais déjà remarquable, des chanteurs aussi. On y joue des pièces de Théâtre, des concerts sont donnés, toutes les formes d’art se croisent ici, il faut en profiter. Mais on est aussi capable de planquer dans son jardin des résistants, d’organiser des départs vers les États-Unis pour les artistes, les intellectuels pourchassés par la Gestapo. De mettre à l’abri des familles juives. On part aussi skier à Megève sachant ou pas que cette petite ville, à deux pas de la frontière suisse, abrite divers réseaux de passeurs réputés pour prendre en charge les familles en fuite. L’intérêt de ce livre est qu’il n’est pas fixé uniquement sur Edmonde, mais sur toute sa famille. Et le monde qui l’entoure. Edmonde Charles-Roux a toujours été une femme très indépendante, qui vivra la vie qu’elle s’est fixée. Mais, toujours prête à aider sa famille. Et dans ce cas, elle va droit au but comme en témoigne Alexander von Falkenhaussen, gouverneur militaire de la Belgique à qui elle demande de protéger sa sœur retenue par les soldats de la Wehrmacht. Choqué par sa détermination, Edmonde lui apparaît comme «une femme obstinée, née avec le sentiment d’avoir le monde à sa disposition…» Malgré ce, il va l’aider, protéger sa sœur mais, la démarche est loin d’être facile dans cette Belgique où l’année précédente 25 000 juifs avaient été déportés vers les camps d’extermination… La fin du livre est dédiée à Marseille libérée le 28 Août 1944. On attend volontiers la suite -un deuxième livre est déjà prévu- la vie d’Edmonde Charles-Roux n’ayant jamais été un long fleuve tranquille !
Christine LETELLIER
«Edmonde» de Dominique de Saint Pern, chez Stock – 410 Pages – 21,50 €