Publié le 2 octobre 2015 à 13h26 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 20h06
Une prise de rôle est une étape importante dans la vie d’un artiste lyrique. L’intensité de ce moment étant plus ou moins dense en fonction de ce rôle; mais ce sont toujours un des instants particuliers. Il y a quelques jours, à l’Opéra de Marseille, Sébastien Guèze, l’ardéchois, a chanté le Chevalier des Grieux pour la première fois à l’occasion de l’ouverture de la saison lyrique avec «Manon», l’ouvrage de Massenet.
A 36 ans, le ténor a donc attendu d’afficher dix ans de carrière pour connaître, entre autres, toute l’émotion de cet acte si particulier qu’est celui de Saint-Sulpice. Un peu moins de 48 heures après cette première, il nous a accordé une interview.
A la veille de chanter Le Chevalier des Grieux pour la deuxième fois, comment vous sentez-vous ?
Très bien ! (sourires). J’essaye de profiter du soleil de Marseille
Alors, ça y est, vous avez accroché ce rôle à votre répertoire. Parlez-nous de vos premières sensations…
Dans ma carrière, c’est une étape importante; j’ai pris beaucoup de plaisir mardi soir à l’Opéra et j’en suis très heureux. Certes, c’est un soulagement car ce rôle est difficile et très intense mais ce n’est pas le rôle le plus endurant que j’ai eu à chanter. Hoffmann ou Roméo, c’est autre chose; on est beaucoup plus sollicité. Pour Le Chevalier, c’est la technique qui importe. Vocalement il faut travailler les nuances.
Puis scéniquement il faut être très présent car ce rôle permet de montrer beaucoup de choses.
Pour votre voix, par rapport à votre tempérament, c’était le bon moment pour prendre ce rôle ?
J’ai du mal à répondre à cette question. Ce n’est jamais le bon moment, ce n’est jamais parfait. Si on veut la perfection on écoute le CD de Pavarotti en boucle. Je pense cependant qu’il faut commencer un jour et que le rôle va évoluer au fur et à mesure de la carrière. Dans six mois je chanterai différemment Le Chevalier des Grieux. Et c’est normal, et c’est tant mieux. Ce qui compte c’est que je me sente bien sur scène et que je prenne du plaisir et en offre au public. Quant à mon tempérament, si j’estime que c’est un rôle qui va m’épanouir, je le fais, j’y amène toute ma personnalité, comme tous les chanteurs.
Avez-vous analysé votre première prestation dans ce rôle ?
Je ne suis pas dans l’analyse; ce n’est pas ça que je cherche. Une première, c’est beaucoup de tension, ça a un charme particulier, ce n’est pas la représentation où l’on est le plus décontracté. Il y a une énergie toujours particulière. Alors, oui, je note des petits détails, mais l’objectif c’est que les gens aient des émotions fortes, frissonnent.
Prendre un rôle en étant le partenaire de Patrizia Ciofi, cela augmente la
pression, non ?
C’est certain, le moment est particulier. Patrizia c’est l’un des plus gros CV de soprano actuellement en activité; elle fait partie des plus grandes. C’est donc à la fois une forme de pression, une grande chance et beaucoup de fierté. C’était la première fois que nous nous trouvions tous les deux face à face dans les deux rôles principaux. Pour moi, ce sont des instants magiques face à une chanteuse tragédienne que je considère comme notre «Callas» actuelle. Si on m’avait dit, il y a dix ans, que nous serions réunis pour l’acte de Saint-Sulpice j’aurais ri, pour le moins. Mais là, cela a été le grand frisson, ce quatrième acte. J’ai tout fait pour élever mon niveau de jeu, pour m’investir totalement; on s’est alimenté l’un, l’autre. Je me voyais sortir de mon corps les larmes aux yeux tellement elle était poignante. Si j’ai de telles partenaires à tous les coups, je n’arrêterai jamais de chanter…
L’Opéra de Marseille est un lieu que vous affectionnez particulièrement, semble-t-il…
C’est vrai que j’ai plaisir d’être ici. J’y ai vécu de beaux moments de ma carrière et je suis content d’y revenir, de retrouver des gens qui suivent ma carrière avec bienveillance. Et, je ne suis pas loin de la famille…
Puis, cette production ce sont des retrouvailles avec Renée Auphan…
Oui, bien sûr. Je n’oublie pas que c’est elle qui m’a fait signer mon premier engagement professionnel, il y a douze ans, alors que j’étais encore au conservatoire. Par la suite elle m’a fait confiance. C’est une femme que j’apprécie beaucoup, quelqu’un qui a de l’élégance et de la classe. Dans son activité de mise en scène elle a l’intelligence de laisser les artistes être eux-mêmes afin qu’ils puissent totalement
s’exprimer dans leur rôle, être crédibles.
Vous affichez un peu plus de dix ans d’une carrière internationale. Quel regard portez-vous sur ces dix années, quel est votre état d’esprit présent et comment envisagez-vous l’avenir ?
J’ai la chance d’être dans une tessiture où il n’y a pas trop de concurrence. Il y a beaucoup plus de barytons sur le marché que de ténors. C’est vrai que ces dix dernières années ont été denses; j’en suis à 35 rôles au répertoire dont 22 de premier plan. Peut-être un peu trop dense. Mais, il ne fait pas oublier que j’ai eu une vie universitaire importante avant de choisir le chant. Chaque prise de rôle me nourrit, et ça aussi, c’est important. Avec le recul je me dis que je ne regrette rien. Quant à mon évolution à l’heure actuelle elle est plus psychologique. Avant je voulais tout faire très, très bien ; c’était une hantise. C’était aussi beaucoup de stress et j’étais très sensible aux regards portés sur moi et aux critiques qui m’étonnaient parfois. Comment pouvait-on me demander, à 30 ans, de chanter comme à 50 ? Petit à petit
j’ai évolué. Je me suis dit que la difficulté n’était pas de se faire remarquer, mais de durer. J’ai pris des distances par rapport à certaines choses, j’ai modifié mon regard sur le métier et j’ai décidé avant tout de prendre du plaisir sur scène. Quant à l’avenir, il me reste trois ou quatre rôles à embrasser pour la première fois… Et tous les autres à chanter à nouveau avec ma personnalité et ma voix qui évoluent. Mais une chose est certaine, le jour où je ne prends plus de plaisir, j’arrête.
Nous retrouverons Sébastien Guèze à l’Opéra de Toulon en décembre pour «Les Mousquetaires au Couvent» ; début 2016 il sera Gaston, vicomte de Béarn, dans «Jérusalem» de Verdi au Theater Bonn puis Mylio dans «Le Roi d’Ys» à l’Opéra de Saint-Étienne. Cette liste n’étant, bien entendu, pas exhaustive… Pour l’heure il est encore Le Chevalier Des Grieux pour trois représentations à Marseille.
Propos recueillis par Michel EGEA
Pratique
« Manon » de Massenet à l’Opéra de Marseille ; les 02/10 et 07/10 à 20
heures, le 04/10 à 14h30. « Le Portrait de Manon », le samedi 3 octobre
à 20 heures à l’Opéra. Réservations : opera-marseille.fr – Tél. : 04 91 55 11 10 ou 04 91 55 20 43.