Publié le 16 mars 2016 à 10h35 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h44
Il y a quelques années, l’écrivain israélien Amos Oz proposait qu’Israéliens et Palestiniens adoptent ensemble ce qu’il nommait «un compromis viable». Le compromis implique le choix de la vie. Pour lui, l’opposé du compromis n’est pas l’idéalisme mais «le fanatisme et la mort». Certains proposent la solution d’un État. Ceci nous semble irréaliste. A la place, Oz propose la solution du divorce, et, dans la conclusion d’une conférence donnée en 2012, il évoquait, pour renforcer son point de vue, l’idée qu’il existe deux sortes de tragédies. Celle proposée par Shakespeare et celle de Tchekhov. Avec le premier, à la fin de la pièce, tous les protagonistes sont allongés, morts sur la scène. La justice a triomphé, mais hélas au prix de la mort de tous. A l’opposé, pour Tchekhov, à la fin de la pièce, les acteurs sont amers, ont perdu leurs illusions, sont mélancoliques, mais… vivants. Il ne faudrait pas que la tragédie israélo-palestinienne ressemble plus à celle de Shakespeare. Elle doit relever, quoique moins glorieuse, de celle de Tchekhov. Cela s’appelle un compromis. Et sans compromis, l’avenir d’un futur apaisé est… compromis.
La solution la plus raisonnable, si l’on admet l’hypothèse de deux États (pour deux peuples ?), est que les deux parties admettent qu’un compromis est nécessaire, qu’il doit être assujetti à un certain nombre de conditions, que les modalités ont été préalablement définies et entérinées par les deux parties, et enfin, dont le contenu ne doit exclure aucune dimension du conflit.
La nécessité d’un compromis. Compromis vient du latin, de mittere (mettre ou faire) et de pro (en avant). Ainsi promettre c’est se mettre en avant, se découvrir en quelque sorte. Le compromis est un concept ambivalent (Margalit). C’est une notion positive, dans la mesure où il évoque la coopération. C’est une notion négative car elle sous-entend la trahison de principes élevés, en quelque sorte, purs.
Un compromis peut être précis ou ambigu, tout dépendra de son interprétation et de sa mise en œuvre. Un exemple nous est donné par les Accords d’Oslo de septembre 1993. L’option choisie a été «le gradualisme». Les questions clé du conflit (réfugiés, Jérusalem, le tracé des frontières et donc l’avenir des implantations juives) n’ont pas été abordées. Ces questions («patates chaudes») ont été reportées au bout de la période transitoire de cinq ans. L’hypothèse est que, au bout de la période transitoire, ces questions pourront être mises sur la table de négociations, la confiance ayant pu se conforter durant cette période intérimaire. On aboutirait, dans le meilleur des cas à une solution gagnant-gagnant, et non à un jeu à somme nulle (tit for tat), dans l’hypothèse où les deux parties acceptent de renoncer à des enjeux, considérés par elles comme ayant peu de valeur.
Cette approche, dite pas à pas, a été suggérée par Kissinger qui a développé le concept d’ambigüité constructive. Cette approche est adoptée lors d’une négociation, lorsqu’il parait difficile, voire impossible de traiter des questions considérées comme très (trop) sensibles par les deux parties. C’est reconnaitre implicitement la difficulté de résoudre le conflit. Une autre solution possible est de choisir de gérer le conflit plutôt que de chercher à le résoudre. C’est la position actuelle de Netanyahu.
La résolution 242 du Conseil de Sécurité des Nations-Unies est un bon exemple illustrant la notion d’ambigüité constructive. La version anglaise, stipule «withdrawal of Israeli armed forces from territories occupied in recent conflict ». L’article défini (des) n’y figure pas. C’est le cas dans la version française qui l’introduit : «Retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés lors du récent conflit». Les pays arabes préfèrent la version française, les israéliens la version anglaise.
Le meilleur compromis ne vaut rien sans son exécution. Un compromis peut être le dénominateur minimum où se retrouvent les parties. Souvent, un compromis est une promesse visant l’avenir. Dans le langage courant, le compromis a une connotation plutôt péjorative, parce qu’il implique en quelque sorte une perte, voire même une renonciation. Dans les milieux politiques ou économiques, un compromis n’est pas nécessairement considéré comme négatif parce qu’il peut être une solution à un conflit. Il existe aussi des cas où un compromis est une situation de type gagnant-gagnant si les deux parties renoncent à des enjeux qui ont pour eux peu de valeur. C’est donc un arrangement au profit de toutes les parties.
Accepter un compromis c’est reconnaître la tension inévitable qui existe entre la justice et la paix. Le Talmud le reconnait : «Lorsqu’il y a une justice stricte, il n’y a pas de paix, et là où il y a la paix, il n’y a pas de justice stricte». A cet égard, le Talmud raconte l’histoire de deux chameaux en quête de la paix [[ D. Meyer, « Justice, obstacle de la Paix au Proche-Orient « . La Libre Belgique, 6 février 2007]]. Deux chameaux arrivent de concert sur un chemin étroit et escarpé. Ils ne peuvent avancer de front au risque de tomber ensemble dans le précipice. La question est de savoir qui des deux devra s’avancer en premier. Le texte talmudique répond que si l’un est plus chargé que l’autre il avancera en premier, et par ailleurs, celui qui est le plus éloigné de sa destination devra céder la place. La question demeure, car comment décider si les distances sont les mêmes et les charges également. Pour D. Meyer, ce texte enseigne que l’application de la justice stricte, les deux chameaux avançant de concert, n’aboutira qu’à leur mort. Aussi le principe du compromis doit s’imposer et prendre le relais. Il n’a rien de juste, mais il a pour objectif de maintenir l’existence des deux créatures, sans que l’une ne disparaisse, même au prix de la «Justice la plus stricte». En d’autres termes, il s’agit d’être en quête de juste une paix plutôt que d’une paix juste. La paix peut être justifiée sans être juste.
Les conditions du compromis
On attribue à Albert Einstein la mise en garde suivante : «Prenez garde aux compromis pourris». (Margalit), car celui-ci est un accord «consistant à instaurer (…) un régime d’humiliation, qui ne traite pas les êtres humains comme des êtres humains». Cinq éléments rendent un compromis bon et durable :
-Tous les participants touchés par le conflit doivent être inclus dans les négociations. La question se pose alors de la participation du Hamas, qui n’a toujours pas satisfait aux conditions qui lui sont posées par le Quartet, à savoir la reconnaissance d’Israël, la fin du recours à la violence et enfin la reconnaissance des traités passés par l’OLP. La négociation entre Israël et l’Autorité palestinienne et son gouvernement d’union pourrait reprendre sur ces bases. Elle serait rompue si le Hamas était amené à entrer dans le gouvernement, sans avoir au préalable accepté les conditions du Quartet.
-Il serait souhaitable que la négociation soit globale. Tous les aspects du conflit devront trouver une solution, en particulier les questions fondamentales telles que les réfugiés, l’avenir de Jérusalem, les frontières et le devenir des implantations israéliennes en Cisjordanie, l’eau. Un accord transitoire devrait être le dernier recours. Il est hautement souhaitable que l’accord soit définitif. Ron Pundak, initiateur israélien des accords d’Oslo faisait remarquer que la crainte des Palestiniens est qu’un accord supposé transitoire devienne définitif, et la crainte des Israéliens est que tout accord définitif ne soit considéré par la partie palestinienne que comme un accord transitoire. La négociation, dans cette dernière hypothèse, n’aurait pas de fin.
-Les résultats de la négociation devront être conformes aux intérêts des deux parties, et aucune des deux parties ne devra perdre la face. Il se trouve qu’aussi bien les Israéliens que les Palestiniens ont lancé l’idée d’un référendum, afin que les populations respectives puissent être consultées sur le résultat des négociations.
-Les concessions devront être symétriques. Au terme de la négociation les situations respectives des deux parties devront être meilleures que celles qui existaient avant tout accord, même si les Israéliens et les Palestiniens devront faire des sacrifices.
-Le compromis doit tenir compte des conditions de l’environnement politique. En particulier, la situation instable que rencontrent nombre de pays arabes géographiquement proches comme la Syrie ou l’Irak, pourrait remettre en cause les éléments d’un compromis.
Les modalités du compromis. La négociation sur la négociation.
La question est de savoir si les négociations doivent être multilatérales ou bilatérales. Les Palestiniens ont opté pour une approche multilatérale, c’est également la position de la Ligue Arabe [[Un nouveau Secrétaire Général de la Ligue Arabe vient d’être nommé. Il s’agit d’un ancien ministre égyptien des affaires étrangères à l’époque de Moubarak. Il s’agit de M. Ahmed Aboul-Gheit. Il est réputé plus conciliant envers Israël que son prédécesseur. Il s’agit, à notre sens, d’un geste du monde arabe envers Israël, afin de l’encourager à accepter de reprendre les négociations, dans un cadre multilatéral.]]. tandis que les Israéliens insistent pour que la négociation soit directe, n’impliquant qu’Israéliens et Palestiniens. La France a décidé de prendre l’initiative de réunir à Paris un ensemble de diplomates représentants du Quartet (États-Unis, Union européenne, Nations-Unies et Russie) de la Ligue Arabe, de pays arabes, l’Égypte, l’Arabie Saoudite et Jordanie. Cette réunion aurait lieu à Paris entre avril et mai, la date n’a pas encore été arrêtée. Elle serait suivie d’une conférence ministérielle d’ici le mois d’août, à laquelle les Israéliens et Palestiniens seraient conviés. Avant son départ du Quai d’Orsay, Laurent Fabius a nommé Pierre Vimont, chargé d’organiser ces conférences. Cette initiative n’a pas encore été approuvée par les Américains, dont l’accord est fondamental. En revanche, les Israéliens, par la voix du Directeur Général au Ministère des Affaires étrangères israélien, ont d’ores et déjà annoncé leur opposition à la tenue de telles conférences, insistant, à nouveau, sur leur préférence pour des négociations directes entre eux et les Palestiniens, sans intermédiaires. Pour Gold, se référant au passé (négociations avec l’Égypte et la Jordanie) «direct talks had been the most fruitful way for Israel to achieve peace with its neighbors». Il ajoute: «Alors qu’il est tentant pour certains en Occident (faisant probablement, implicitement référence à l’initiative française) d’envisager de tenir une large conférence internationale, il est plus que probable, dans ce scénario, que chaque partie (Israël, Palestine) négociera avec les autres pays et non entre elles.»
Les termes du compromis.
-Un État palestinien souverain serait déclaré et respecté. Israël devra le reconnaitre, et les Palestiniens reconnaitraient le caractère juif de l’État d’Israël.
-Jérusalem devra être la capitale de deux États.
-Les frontières devront être celles de juin 1967. Un échange de territoires devra faire l’objet de négociations. Les implantations israéliennes les plus importantes devront être annexées par Israël, en particulier Maale Adumim, Givat Zeev, Gush Etzion, Modiin Illit, et Ariel. Elles concernent plus de 70% des colons.
-Le lien territorial entre la Bande de Gaza et la Cisjordanie devra faire l’objet d’un accord, portant en particulier sur le tracé, les conditions de sécurité et les aspects juridiques.
-Les conditions de la sécurité des habitants de la région devront être parfaitement assurées. Ce qui pose la question sensible de la présence de troupes israéliennes sur la frontière du Jourdain.
-Les réfugiés palestiniens de 1948. Les paramètres de Clinton représentent un point de départ acceptable. Chaque réfugié aura à classer les cinq possibilités suivantes : rester dans le pays d’accueil, aller dans le futur État palestinien, aller dans un pays tiers, à condition que ce pays accepte, aller dans les territoires échangés entre Israéliens et Palestiniens, aller en Israël. La décision d’accepter ou de refuser un quelconque des choix relèvera de la souveraineté des États concernés.
-Les accords économiques. Le Protocole de Paris, signé en 1994 entre Israël et les Palestiniens prévoyaient la mise en place d’une Union douanière. A l’expérience le Protocole a mal fonctionné. Il serait souhaitable qu’Israéliens et Palestiniens optent pour la solution d’une zone de libre-échange.
-La coopération. Elle concernera les domaines de l’eau, de l’énergie, du tourisme, de la communication,…
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(*) Le Professeur Gilbert Benhayoun est le président du groupe d’Aix qui comprend des économistes palestiniens, israéliens et internationaux, des universitaires, des experts et des politiques. Son premier document, en 2004, proposait une feuille de route économique, depuis de nombreux documents ont été réalisés, sur toutes les grandes questions, notamment le statut de Jérusalem ou le dossier des réfugiés, chaque fois des réponses sont apportées.