Jean-Benoît Vion grand reporter à RTL a posé son micro et sa plume

C’est avec une immense tristesse que nous avons appris le décès de notre confrère Jean-Benoît Vion, mercredi à Marseille, des suites d’une longue maladie. Grand reporter, il fut pendant de nombreuses années responsable des bureaux de RTL de la Région Paca, Corse, Maghreb. Il est aussi à l’origine de la création, en 2008 la page 2 du Figaro quotidien pour Marseille, Nice et ses alentours. Jean-Benoît était une voix, c’était aussi une générosité, une humanité profonde qui nourrissaient ses reportages. A Marseille il nouera de nombreuses amitiés dont une avec Michel Montana, le président du Mondial la Marseillaise à pétanque dont il deviendra un fidèle. Un Michel Montana qui pleure «un grand professionnel, un garçon d’amitié et de fidélité». La rédaction de Destimed présente ses condoléances les plus attristées à Houria, son épouse, à sa famille, à ses proches. En hommage à Jean-Benoît nous publions une tribune du 5 décembre 2013 où il revenait sur les émotions qui avaient été les siennes lors de la libération de Nelson Mandela.

Madiba

Dans toute vie professionnelle, nous avons tous des périodes de haut et de bas, chacun ressent des joies, des peines et également des émotions plus ou moins fortes. « Avec le temps va tout s’en va… « , chantait Léo Ferré, c’est vrai, on oublie les tristesses, les chagrins, les humiliations mais certaines émotions restent toujours enfouies au fond de notre mémoire. En 33 ans de journalisme de nombreux souvenirs sont restés gravés dans un petit coin de ma tête. Je n’oublierai jamais ce mois de février 1990 en Afrique du Sud. « Prépare ton sac, m’ont annoncé les patrons de RTL, tu vas couvrir la libération de Mandela. » Quelques jours auparavant le président de Klerk avait annoncé la nouvelle au Parlement de Pretoria, ce qui avait provoqué un énorme soupir de soulagement dans le monde et des scènes hallucinantes de joie dans les pays africains et surtout dans tous les quartiers noirs d’Afrique du Sud. Avec de nombreux journalistes nous arrivions dans le pays de l’apartheid avec ses bus hyper bondés réservés aux noirs ; des toilettes superbes, ultra propres interdites aux noirs et des WC en torchis à peine fermés devant lesquels des dizaines et des dizaines de femmes, d’hommes et d’enfants patientaient, tête basse, de très longues minutes dans des files à perte de vue. L’apartheid, avec des blancs qui circulaient dans d’énormes limousines sans s’arrêter aux passages piétons devant des noirs qui attendaient sans oser traverser ou longeaient les murs en regardant le sol sous peine de recevoir des coups de matraques de la part des policiers blancs aux crânes rasés. Des hommes qui n’inspiraient pas la farce et la franche rigolade. Nelson Mandela avait été condamné à perpétuité le 12 juin 1964. Avant le verdict, il avait déclaré : « Toute ma vie, je me suis consacré à la lutte contre la domination blanche et également la domination noire. J’ai chéri l’idéal d’une société libre et démocratique dans laquelle toute les personnes vivraient en harmonie avec les mêmes droits. C’est un idéal pour lequel j’espère vivre et agir, un idéal pour lequel je suis prêt à mourir…  » Madiba (le surnom de Mandela pour les sud-africains), prit le chemin de la prison de l’île de Robben Island. Il y a passé 18 ans sur ses 27 années de détention. Dans cette île, appelée « l’Enfer » par les détenus, Mandela a effectué des travaux forcés dans des carrières de chaux en plein soleil et le soir, on l’obligé à casser des cailloux dans les cours de la prison. Les cadences étaient infernales, les maladies nombreuses et les plus fragiles meurent en grand nombre. Malgré tout, Mandela n’a jamais baissé les bras, il a multiplié les actes de résistance… Un exemple entre dix, il a toujours refusé d’appeler les gardes « Patron » comme l’exigeait le règlement. Cela lui a valu de très rudes brimades physiques. Mais lorsqu’il avait quelques minutes, il parlait à ses codétenus de politique bien sûr et il leur lisait du Shakespeare ou des poèmes… Robben Island n’était plus « l’Enfer » mais était baptisée « l’université Mandela »… Ce qui exaspérait beaucoup les autorités blanches du pays. En mars 1982, Mandela est transféré à la prison de Pollsman dans la banlieue du Cap, Il y est enfermé jusqu’au 10 février 1990…
Mais revenons à cette libération tant attendue depuis 27 ans par des millions de personnes. Pour cette libération qui va rentrer dans l’Histoire, plus de trois mille journalistes venus du monde entier sont sur le pied de guerre au Cap. Un monstrueux « « Barnum » se met en place entre la porte du pénitencier et l’Hôtel de Ville d’où Madiba doit prononcer une courte allocution. La veille, avec mon regretté ami François Luizet du Figaro, nous décidons de nous rendre à Soweto, le plus grand township d’Afrique du Sud. Quatre millions d’habitants, à l’époque, sont entassés dans cette gigantesque cité. Ici, les 4/5e des bâtiments sont des bidonvilles sans eau, sans électricité, les autres sont des petites maisons alignées construites dans les années 50. A l’époque, Mandela en avait acheté une avec ses maigres cachets d’avocat.

A Soweto, tout le monde connaît la maison de Madiba, des centaines de gamins tout sourire accompagne en courant notre taxi. C’est une petite maison de briques rouges entourée d’un petit jardinet. Nous sonnons à la porte, un jeune homme bien bâti nous ouvre après de longues minutes d’hésitation. Ils sont une bonne dizaine dans le jardin. Nous leur expliquons que nous sommes deux journalistes français et que nous aimerions voir la télévision avec eux le lendemain pour assister à la libération du leader noir de leur pays. A notre grande surprise, ils nous répondent qu’ils sont d’accord à condition que nous ne faisions ni films, ni photos.

Nous apprenons qu’ils sont les neveux et nièces de Winnie, l’épouse de Mandela, la famille la plus proche étant déjà au Cap pour accueillir le héros. Luizet et moi sommes enchantés, nous serons très loin de nos 3 000 confrères et de la bousculade au milieu des millions des gens en joie tout au long du trajet emprunté dans les rues du Cap par le couple Winnie et Nelson.

Le jour J nous arrivons devant la maison de Soweto, les mains chargées de victuailles et boissons, le tout en grande quantité.Nous nous installons dans un petit coin de la pièce télé et nous avons pu voir et enregistrer les réactions des neveux et nièces qui n’avaient jamais vu leur oncle. Certains pleurent à chaudes larmes, d’autres crient leur joie à plein poumons. Tout autour, nous entendons l’enthousiasme, les chants de tous les habitants du township. Un moment d’intense émotion…Le silence de plomb est revenu lorsque Mandela a prononcé ses premiers mots d’homme libre sur le balcon de l’Hôtel de Ville du Cap . Il a dit tout simplement : «Je ne suis pas un prophète mais un humble serviteur du peuple.»

Nelson Mandela retourne pour la première fois à Soweto le 23 février, il se rend dans l’immense stade de foot du Township. Habituellement 100 000 places sont disponibles mais en ce jour 200 000 personnes sont entassées contre toutes mesures de sécurité. « J’ai eu la peur de ma vie, dira le responsable de la sécurité de l’ANC ( le parti de Mandela), c’est un miracle s’il n’y a pas eu de morts. Lorsque Madiba a effectué le tour d’honneur, j’ai redouté l’envahissement du terrain, cela aurait été fatal pour notre leader bien aimé.»

Le soir, nous sommes retournés à la maison, les neveux nous ont une fois de plus ouvert leur porte. Nous sommes restés quelques secondes, Mandela était assis sur un banc dans le petit jardin, il mangeait un plat de pâtes à la tomate. J’ai cru, un instant, qu’il m’avait souri au milieu de tout son entourage… Je ne saurais jamais si ce sourire si doux m’était destiné. Mais je n’ai jamais oublié une formule qu’il aime tant : «Sans haine, sans rancune et surtout la justice pour tous.»
Jean-Benoît VION

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