Publié le 30 janvier 2022 à 23h19 - Dernière mise à jour le 4 novembre 2022 à 12h56
Comme chaque année, une cérémonie officielle a été organisée au Site-mémorial du Camp des Miles à l’invitation du Préfet de Région pour la Journée Internationale de commémoration en mémoire des victimes de la Shoah, décidée par l’ONU en 2005.
«Le souci de l’identité est légitime, l’obsession identitaire assassine»
Cette Journée du 27 janvier traduit la reconnaissance internationale de la portée universelle du génocide des juifs. L’universalité des leçons de cette histoire particulière est au cœur des connaissances transmises par le Site-mémorial du Camp des Milles sur les mécanismes humains fondamentaux qui peuvent mener au pire mais aussi sur les capacités humaines à y résister, chacun à sa manière.
La journée commence avec une rencontre émouvante : celle d’une trentaine de jeunes gens venant d’un établissement d’insertion (Epide Marseille), du Lycée Militaire d’Aix-en-Provence et du lycée Dumont d’Urville de Toulon avec Herbert Traube évadé du dernier convoi parti des Milles vers Auschwitz le 10 septembre 1942. Ce dernier témoigne de la souffrance de son internement mais aussi de ses espoirs. Des adolescents à la fois impressionnés et admiratifs de la force de son engagement, après son évasion, au sein d’un réseau de résistance puis dans la Légion Étrangère et au cours de combats qu’il mène. L’implication et l’intérêt de ces jeunes montre que, sans nul doute, ce temps d’hommage et de transmission est plus que jamais ancré dans le présent.
Cette cérémonie est d’autant plus symbolique qu’elle inaugure l’année du 80e anniversaire des déportations des juifs de la zone dite «libre», notamment du Camp des Milles, par le gouvernement de Pétain. Elle débute par le «Chant des Marais», chant des déportés, interprété par les élèves du Lycée Militaire d’Aix-en-Provence. C’est ensuite dans une grande émotion que les invités entendent la lecture des noms des enfants et adolescents juifs déportés vers Auschwitz-Birkenau où ils furent assassinés. Énumération tragique de ces parcours de vies brisées face au Wagon installé sur les lieux mêmes de la déportation à l’été 1942, de plus de 2 000 hommes, femmes et enfants juifs.
« Ce qui s’est passé au siècle dernier pourrait se reproduire »
Herbert Traube, témoigne de son internement au camp : « On sent l’angoisse, la peur, l’incompréhension, la stupeur de voir les autorités que nous pensions être en droit de considérer comme nos protecteurs se conduire en auxiliaires de nos bourreaux ». Témoigne encore «de son combat, après son évasion, pour la liberté, pour la restauration des valeurs qui sont les nôtres» comme soldat de la Légion Étrangère pour la libération de la France. Il alerte alors : « Par cette victoire nous pensions avoir éradiqué définitivement l’idéologie nazie, les totalitarismes, avoir rétabli l’idéal démocratique républicain ! Or que voyons nous aujourd’hui ? Les relents nauséabonds de l’antisémitisme, de la xénophobie, de l’intolérance resurgissent ! A nouveau on attise la haine de l’autre, on réinvente des boucs émissaires, le mépris et l’intolérance deviennent monnaie courante ! En somme, la bête immonde n’est pas morte, l’extrémisme identitaire fait ses ravages. (…) Ce qui s’est passé au siècle dernier pourrait se reproduire.»
En écho à l’alerte d’Herbert Traube, Alain Chouraqui, Président de la Fondation du Camp des Milles-Mémoire et Education, souligne : « A partir de la mémoire douloureuse des hommes, femmes et enfants juifs déportés et devant la montée des actes de violence antisémites et des risques pour notre démocratie, cette commémoration est un appel (…). Un appel à trouver en nous -mêmes la lucidité et la force des courages aujourd’hui nécessaires. (…) Nous avons besoin désormais d’un véritable « courage de mémoire » pour mettre en œuvre les leçons vitales du passé, pour agir aujourd’hui contre la récurrence du mal». Et d’ajouter : « C’est aussi un appel à la volonté, à la sensibilité, à la culture, à l’engagement. Contre l’ébranlement des repères, des vérités et de la raison nécessaires à la démocratie. […] Contre l’extrémisme identitaire qui a toujours jeté les hommes les uns contre les autres. Le souci de l’identité est légitime, l’obsession identitaire assassine […] Un appel à refuser ainsi la passivité qui laisse avancer le danger, et à se saisir des clés de compréhension essentielles qu’apporte le recul du passé et des sciences de l’homme.» Il conclut en indiquant : « La démocratie est aujourd’hui sur une ligne de crête où le vertige identitaire ne doit pas la faire trébucher. Plus que jamais, chaque acte, mais aussi chaque passivité, chaque acteur, chaque institution, peut contribuer à faire la différence pour apaiser ou, au contraire, pour mettre en danger la paix civile.»
Bruno Benjamin, Président du Crif Marseille Provence rappelle ensuite ce que fut la Shoah, une « catastrophe unique par son ampleur, 6 millions d’hommes, de femmes et d’enfants exterminés parce que juifs», «un crime organisé, conçu à grande échelle, unique par sa méthode, bureaucratique et industrielle». Il souligne que le «racisme a été l’élément majeur de tous les génocides». Il rappelle que cette barbarie, «perpétrée au cœur de l’Europe par un régime abominable, trouva des complices en France, sous le gouvernement de Pétain» Et s’adressant aux jeunes gens présents à la cérémonie : « Jeunesse éprise de paix, donnez-vous la main, formez une grande chaine pour vaincre l’intolérance et le fanatisme ! ». Une interpellation qui résonne avec la lecture des noms des Justes ayant œuvré au Camp des Milles, montrant qu’il est possible d’agir au nom du vivre ensemble et des valeurs de justice, de tolérance et d’humanité.
Enfin, Bruno Cassette, Sous-préfet d’Aix-en Provence et représentant le Préfet de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, empêché, affirme fermement : « Se réunir ici chaque année doit nous assurer du fait que nous ne laisserons plus jamais une telle ignominie se reproduire. Se réunir ici chaque année est un devoir moral à l’égard des victimes, remémoration que nous forgeons par notre présence, nos paroles, nos actes. Se réunir ici chaque année répond enfin à une responsabilité, individuelle et collective : celle de la transmission. Ne laissons pas les jeunes générations oublier ce que fut la guerre, apprenons-leur toujours le prix du rejet de l’autre, du repli sur soi.». Et évoquant la mémoire de cette tragédie que fut la Shoah : « Cette mémoire doit être constamment réactivée, car les esprits du mal apparaissent aujourd’hui sous de nouvelles formes. Les mots ne sont pas les mêmes, les auteurs non plus, mais c’est le même mal.»
La rédaction
[(Autour des représentants de l’État, étaient présents de très nombreux élus, parmi lesquels la Maire d’Aix-en-Provence Sophie Joissains, plusieurs députés et sénateurs et des représentants des collectivités territoriales, des autorités civiles et militaires, de nombreux Consuls généraux, de grandes associations, pour rendre hommage aux victimes du Camp des Milles et de la Shoah. Pas moins de 27 porte-drapeaux traduisaient la mobilisation des associations patriotiques autour de cette mémoire. Ce temps d’hommage s’est clôturé par la cérémonie de dépôt de gerbes des personnalités présentes et des associations mémorielles.)]