Publié le 23 août 2013 à 21h20 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 16h12
Ce 23 août, la plénière du matin est consacré à « prospérité sans croissances, villes en transition », où il est question de divers possibles écologiques et, surtout de l’humain, de son énergie, « la seule qui soit infinie », comme devait l’affirmer Philippe Meirieu, le président de la commission jeunesse de l’Association des Régions de France. Il est l’un des intervenants de cette matinale, animée par Sandrine Rousseau, avec John Laitner, économiste américain, spécialiste des questions d’énergie et de leur évolution liées aux révolutions technologiques et à l’environnement ; Jean-François Caron, le maire de Loos-en-Gohelle, Dominique Voynet, maire de Montreuil et Agnès Sinaï, co-fondatrice de l’Institut Momentum.
« Nous gaspillons actuellement 86% de l’énergie que nous utilisons »
John Laitner vient des États-Unis, pour faire l’éloge des actions menées en matière d’énergie par la Région Nord-Pas de Calais. L’économiste plaide en premier lieu pour une utilisation plus intelligente de l’énergie. « Nous gaspillons actuellement 86% de l’énergie que nous utilisons aux États-Unis. L’Europe fait un peu mieux, elle n’en gaspille que 78 à 80% ». Nous polluons aussi : « Depuis 1750 c’est plus de 1 400 milliards de tonnes de dioxyde que nous avons rejetés dans l’atmosphère ». Et ce gaspillage à un coût: « L’économie est au ralenti. Cela pourrait signifier une empreinte environnementale plus faible… sauf que ce ralentissement ne permet pas de générer les emplois et les ressources nécessaires pour régler nos problèmes ».
Pour John Laitner, il faut donc penser à une autre échelle, penser, mettre en œuvre la troisième révolution industrielle. Il donne une série d’exemples : la possibilité de réaliser des voitures roulant 100 km avec 2,4 litres d’essence ; la mise en place d’un système intelligent de signaux routiers aux États-Unis permettrait de réduire de 5 à 10% la dépense énergétique…
Puis il en vient aux travaux en cours dans le Nord-Pas-de-Calais « pour parvenir à une réduction de 50% d’ici 2050 des besoins énergétiques ». Une ambition partagée par la Région et la Chambre Régionale de Commerce et d’Industrie.
« Est-il nécessaire d’avoir chacun des frigos ? »
Agnès Sinaï ne s’inscrit pas dans la même logique que le précédent intervenant, pour elle, nous sommes au début d’un phénomène de décroissance. « On ne peut pas recycler à l’infini l’énergie que nous consommons, de plus, l’énergie se dégrade. Alors est-il nécessaire d’avoir chacun des frigos alors que nous pourrions les mutualiser ? A-t-on besoin de voiture aux cylindrés énormes ? Il faut produire de manière à pouvoir entretenir localement ce que l’on produit, de spécialiser les métiers, et intensifier le maraîchage dans et à proximité des villes ».
« Comment faire apparaître un nouvel imaginaire ?»
Jean-François Caron évoque sa commune, sa région qui a perdu plus de 200 000 emplois de mineurs en peu de temps. « Mon problème, dans ce contexte, est de voir comment faire apparaître un nouvel imaginaire avec des gens habitués à descendre au fond, à mourir, afin de pouvoir nourrir leurs gosses ». Il avoue: « chez nous c’est la crise, dans tous les cantons le FN fait au minimum 40% des voix. Nous pouvons donc devenir le lieu où s’invente le fascisme du XXIe siècle ». Il ajoute: « En même temps nous sommes aussi le lieu de tous les possibles. Et c’est dans ce sens que nous travaillons. La révision du POS (Plan d’occupation des sols) a conduit à un travail avec les habitants, des regards extérieurs, avant de prendre des décisions politiques. Ainsi, nous avons co-construit un projet de ville en travaillant sur la durabilité. Et chez nous ce dernier mot n’est pas un mot en l’air. Il faut en effet savoir que, du fait des affaissements miniers, la ville s’est abaissée de 15 mètres en quelques années, avec tout ce que cela implique comme casse en matière de réseau d’eau ». Il poursuit: « Et nous prenons les gens là où ils sont. Nous sommes à l’initiative ainsi de l’inscription de notre histoire minière au patrimoine de l’Unesco. Et vous ne pouvez pas mesurer l’importance que cela peut avoir. Vous savez en matière de mutation énergétique on peut écouter plein d’experts, au bout du compte, il faudra bien constater qu’il ne s’agit pas de questions technologiques mais du désir de l’Autre, de prise de conscience partagée que le développement ce n’est pas plus mais mieux. Nous travaillons avec la population, cela donne de l’intelligence au projet, en plus cela fait que les gens se parlent, s’écoutent, que s’instaure un climat de confiance en soi, son voisin et dans l’action publique ».
Tout un ensemble d’actions s’est mis en place, cela s’est su « et nous sommes maintenant perçus comme un terreau d’innovations ce qui entraîne un changement radical d’image». Et de conclure : « Il faut montrer qu’il est possible de faire autrement, et que cela crée de l’économie, des emplois, des gains en matière de chauffage, de transport. Deuxièmement il faut impliquer la population sinon elle ne change pas. Troisièmement il faut créer du désir alors que nous sommes trop souvent dans la tristesse, la morale ».
« C’est un endroit où, si l’écologie n’est pas populaire, elle n’a pas le droit d’exister »
Dominique Voynet, raconte à son tour son expérience à la tête de la mairie de Montreuil depuis 5 ans. « Nous avons gagné par défaut cette ville gérée depuis 75 ans par le PCF et où la population a exprimé ainsi sa lassitude de l’ancienne équipe. C’est une ville où la gauche est très divisée, une commune fortement endettée où la gestion a pu être opaque, une ville monde dans laquelle cohabite un électorat très populaire et un autre bobo. A Montreuil, il est impossible de plaider le temps long . C’est un endroit où l’on ne peut pas parler de ce qui connaît un grand succès chez EELV : la frugalité heureuse, car une bonne partie de la population est dans la survie. On ne peut pas non plus parler des méfaits de la voiture à des gens qui n’en ont pas et qui se trouvent dans des secteurs délaissés par les transports en commun. C’est un endroit où, si l’écologie n’est pas populaire, elle n’a pas le droit d’exister ». Elle précise : « Cela ne veut pas dire que nous soyons moins exigeants, nous aussi nous isolons afin de réduire la facture énergétique, nous aussi nous construisons écolo. En revanche, nous n’avons pas choisi le bio pour les cantines, nous avons préféré accueillir tous les enfants, y compris ceux dont les parents sont chômeurs qui en étaient exclus précédemment. De même, nous avons rétabli les finances de la ville car, sans marge financière impossible d’agir ». Elle avoue: « Ce travail est très dur, oppressant, bouleversant parfois, mais nous entendons bien poursuivre notre action ».
« La formation est le lieu de production de l’inépuisable »
Philippe Meirieu lance : « Nous ne parviendrons à gérer les ressources matérielles que si nous misons sur une ressource inépuisable : l’humain ». Selon lui : « Nous devons faire le lien entre les énergies épuisables et la question de la formation qui est le lieu de production de l’inépuisable autrement nous resterons dans l’écologie punitive ». Il enchaîne : « Les villes en transition doivent donc être des espaces de culture. Des lieux du faire-ensemble car on peut vivre ensemble comme des zombis, ce qu’il faut, c’est faire ensemble. C’est aussi créer des lieux de décélération dans un monde de pulsions permanentes, de passage à l’acte. La ville doit être là dans tous ses rôles, celui du partage du singulier et de l’universel, un espace éducatif. Il faut tout un village pour l’éducation d’un enfant car la pédagogie de la boulangère qui rend la monnaie est aussi importante que celle de l’expert ».
Michel CAIRE