C’était attendu et de surprise il n’y en a pas eu. Kamel Daoud, grand favori du Prix Goncourt 2024 l’a obtenu ce lundi pour «Houris». Et pas de suspense non plus, puisque tout s’est décidé au premier tour. Kamel Daoud obtenant directement 6 voix sur 10, Hélène Gaudy, deux voix, Sandrine Collette, une voix, et Gaël Faye, une voix. « C’est votre rêve, payé par vos années de vie. A mon père décédé. À ma mère encore vivante, mais qui ne se souvient plus de rien. Aucun mot n’existe pour dire le vrai merci », a écrit Kamel Daoud dans un message.
Ce roman dont on a parlé dans nos colonnes s’inscrit dans la volonté du Jury Goncourt de s’ouvrir à la francophonie en saluant des auteurs de langue française pas forcément nés en métropole, puisque Kamel Daoud a vu le jour en 1970 à Mesra, commune de la wilaya de Mostaganem. On se souvient qu’Andreï Makine, Amin Maalouf, Patrick Chamoiseau, Antonine Maillet, Jonathan Littell, Tahar Ben Jelloun, Atik Rahimi, Mohamed Mbougar Sarr, autrefois primés, pour ne citer qu’eux, ont vu le jour loin d’ici et qu’ils enrichissent par leur talent et leurs œuvres notre patrimoine culturel.
Les Goncourt aiment aussi demeurer en phase avec les interrogations politiques de leur époque, et les « couronnés » sont souvent des écrivains dont le roman sonne comme un texte dit « engagé », avec bien entendu une qualité littéraire indéniable. Ainsi «Houris » perpétue cette logique, et de manière plus que brûlante puisqu’il ne peut être édité en Algérie, où il tombe sous le coup de la loi qui interdit tout ouvrage évoquant la guerre civile de 1992-2002. Dans un contexte diplomatique déjà tendu entre la France et l’Algérie, Gallimard, éditeur du livre, a été prié expressément de ne pas se rendre au Salon international du livre d’Alger, du 6 au 16 novembre. « Ce roman montre combien la littérature, dans sa haute liberté d’auscultation du réel, sa densité émotionnelle, trace, aux côtés du récit historique d’un peuple, un autre chemin de mémoire », a salué Philippe Claudel, le président du jury. On le voit les Goncourt ont non seulement du goût, mais du courage.
« Houris » par Kamel Daoud -Gallimard -412 pages – 23 €
Gaël Faye, gagnant du Renaudot avec « Jacaranda »
Quant au Renaudot, il est allé à Gaël Faye. Né en 1982 à Bujumbura, d’une mère rwandaise réfugiée au Burundi après les premières vagues de persécutions menées contre les Tutsis, à la suite de la révolution de 1959, il est binational. Salué pour « Petit pays », Goncourt des lycéens et du premier roman, il signe avec « Jacaranda » publié chez Grasset, un texte lui aussi très politique inspiré de l’histoire du Rwanda et du génocide qui a secoué le pays, il y a exactement trente ans. Se défendant de l’autobiographie, il admet avoir intégré des éléments de sa propre vie et brosse de bouleversants portraits humains, parfois drôle et comme lui toujours remplis de compassion pour autrui.
Deux grands livres couronnés donc même si nous aimons particulièrement « Le rêve du jaguar » de Miguel Bonnefoy, « Les guerriers de l’hiver » d’Olivier Norek, (deux chefs d’oeuvre absolus) « Mythologie du.12. » de Célestin de Meeûs, « Le bruit du Guéliz » de Ruben Mabrouk, « Le bastion des larmes » d’Adellah Taïa, « Coeur » de Thibault de Montaigu, « Amiante » de Sébastien Dulude, « Jour de ressac » de Maylis de Kerangal », « Malville » d’Emmanuel Ruben, « L’île du là-haut » d’Adrien Borne ou encore, « Capital rose » de Tom Connan, qui demeurent mes romans français préférés de cette rentrée littéraire.
Jean-Rémi BARLAND