Publié le 24 juin 2020 à 10h24 - Dernière mise à jour le 31 octobre 2022 à 11h51
A l’occasion de la remise, le 7 mai, du Rapport parlementaire sur les alliances dans les territoires à Gabriel Attal, secrétaire, Catherine Gineste, déléguée régionale Admical en Provence-Alpes-Côte d’Azur, a recueilli le témoignage de la députée des Bouches-du-Rhône Cathy-Racon Bouzon, co-auteure du Rapport. Entretien.
Vous venez de rendre votre rapport parlementaire sur les alliances dans les territoires. Quelles en sont les principaux enseignements ?
La mission conjointe confiée par Gabriel Attal à la fois à Charles-Benoît Heidsieck Président-Fondateur du Rameau et moi, s’est inscrite dans une démarche complémentaire associant une vision académique et méthodique, et l’idée d’observer à-travers des visites de terrain les bonnes pratiques menées sur l’ensemble du territoire. L’objectif était de comprendre comment les acteurs publics et privés font alliance au service du bien commun, et comment envisager une modélisation pour essaimer ce phénomène d’alliance qui se développait. La mission s’est achevée dans le contexte particulier du Covid-19. Nous avons été frappés de constater que nos intuitions et conclusions décrites dans le rapport s’exprimaient pleinement avec la crise que l’on vivait. Au moment où nous avons rendu notre rapport, nous avons eu la confirmation que ce qui nous apparaissait être une évidence et devait se transformer en réflexe, se concrétisait sous nos yeux. La crise a non seulement éveillé des consciences sur la nécessité de repenser la société mais à surtout révélé que l’entraide et la collaboration se développent spontanément quand il faut surmonter des épreuves. Les différents acteurs de la société ont compris qu’en mobilisant des forces unies et collaboratives, cela va plus vite.
Vous êtes députée des Bouches-du-Rhône, où en est-on des partenariats associations-entreprises dans votre département ? Quelles illustrations d’alliances pouvez-vous nous donner ?
Tout au long de la crise on a pu observer de très belles initiatives spontanées d’acteurs publics et privés en réponse à une mobilisation d’urgence. Je pense notamment aux actions de l’association Fask (association des couturiers solidaires) qui a réussi à fédérer plus de 800 bénévoles pour coudre blouses et masques en partenariat avec les Hôpitaux de Marseille, la CCIMP et les entreprises locales. Par ailleurs, grâce à la mobilisation de plusieurs acteurs dont Nouvelle aube, Médecins du Monde, Yes we camp et Just, Marseille solution, des hôpitaux de Marseille et du Club de l’immobilier Marseille-Provence notamment, une mission d’urgence à destination des sans-abri s’est montée en quelques jours au Village Club du Soleil de la Belle-de-Mai à Marseille (Bouches-du-Rhône). Sous le contrôle sanitaire de l’ARS et le financement de la Direction départementale de la cohésion sociale s’est créé de toute pièce un dispositif complet d’accompagnement alliant l’identification des besoins, l’accompagnement médico-social, la fourniture de repas. Au final, cette innovation sociale a permis d’accueillir plus de 120 personnes de la rue.
Dans les conclusions de votre rapport quelles recommandations proposez-vous au gouvernement ?
Nous avons invité le gouvernement à fixer un cap sur les 10 prochaines années pour faire de l’alliance la norme du modèle de société durable de demain. Les Objectifs de développement durable (ODD), signés en 2015, donnent aux États signataires la marche à suivre pour répondre à tous les défis sociétaux. Plus particulièrement l’ODD17 définit la méthode pour encourager et mettre en place les partenariats entre acteurs publics, privés et la société civile, en s’inspirant de l’expérience acquise et les stratégies de financement appliquées en la matière. Partant du constat qu’aucun problème social ne peut être résolu par un acteur isolé, seul un travail coordonné et uni dans la durée de diverses parties prenantes, est gage d’efficacité. Nous avons donc encouragé un plan de relance par l’ODD17 en développant le « Collective impact » sur les territoires.
Concrètement comment faciliter la rencontre entre ces différents mondes ?
Co-construire un projet commun passe en premier lieu par éviter les rapports de force, ôter les freins politiques, culturels, les préjugés, afin de rendre pérenne toute action dans le temps. Les asymétries entre les différents acteurs doivent s’harmoniser en définissant leur rôle et leur place dans l’alliance. Ainsi, le tissu associatif est l’opérateur agile, en grande proximité avec le terrain, l’acteur économique est source de compétences, de financement, de soutien logistique, les collectivités doivent se réinventer et dépasser leur mission de contributeur de subvention. On attend d’elles qu’elles facilitent, coordonnent et forment aux bonnes conditions de cette démarche.
Nos recommandations portent sur 4 chantiers qui se déclinent en 21 propositions d’actions
1. Développer une plateforme grand public du «Collective Impact» à la française pour mettre en résonance tous les acteurs
La plateforme numérique «Jeveuxaider.gouv.fr» pourrait servir de lieu central digital pour agréger à la fois les actions d’intérêt général et mettre en lien les porteurs de projets et bénévoles mais également fournir tous les outils pédagogiques et méthodes pour favoriser les partenariats. Il faut également lancer une grande campagne de communication nationale. Parallèlement, la promotion de l’engagement collectif doit s’organiser sur le territoire avec une équipe de référents publics, la «Brigade du Collective Impact», qui anime la plateforme besoins, aide à évaluer les besoins en bénévoles et en financement, favorise l’émergence d’alliance à travers des rencontres.
2. Programme national d’investissement sur les territoires pour la transition ODD17
Afin de créer et catalyser l’émergence de nouvelles alliances, les actions collectives doivent se recentrer sur des petits secteurs. Une fois identifié un besoin sociétal, un plan d’action en faveur d’un projet très local pourra être bâti à plusieurs. Il conviendra en outre de prévoir le financement du développement de l’animation et de l’ingénierie de l’alliance dans la durée qui doit être piloté par des professionnels experts en gestion de projets collaboratifs.
3. Plan d’Éducation et de formation à l’engagement
Pour construire le «Monde d’après», il faut apprendre à penser autrement. Il me paraît fondamental d’intégrer la culture de l’engagement collaboratif dans les programmes de l’école à l’enseignement supérieur. De même, dans l’entreprise et l’administration, toute pratique favorisant l’envie d’agir en collaboration devra être encouragée (place de la RSE, mécénat ou bénévolat de compétences)
4. Élaboration d’un Droit de l’alliance
L’objectif est de faciliter au maximum toute démarche partenariale tout en permettant d’innover pour sécuriser le modèle. En ce sens, je travaille sur une proposition de loi à l’automne 2020 prévoyant notamment un droit d’expérimentation partenariale (dérogations au droit commun), une charte de l’alliance pour la faire perdurer, un contrat type, un protocole national pour promouvoir les alliances et diffuser les bonnes pratiques à destination des professionnels du droit et du chiffre.
Gabriel Attal a été sensible au travail apporté et réfléchit aux mesures concrètes qu’il conviendra d’apporter rapidement.
Une nouvelle Fondation vient d’ailleurs d’être lancée à Marseille : quelle est son ambition ?
Fondée en février 2020 par 4 entrepreneurs, cette initiative territoriale a vu son activité accélérée avec la crise. En lançant un appel aux dons avec #MarseilleSolidaire, plus de 200 donateurs (particuliers ou entreprises) ont répondu pour 230K€ levés en faveur de 13 projets reposant sur des actions menées auprès des acteurs de terrain recensés par la Fondation de France qui les abrite. Leur originalité réside également dans la pluralité de leurs sources de collecte avec une course solidaire «la course solidaire « Corniche des filles »», ou un concert avec le rappeur Alonzo. La Fondation de Marseille inscrit son action en complément des actions et dispositifs publics même s’ils réfléchissent à long terme à agréger acteurs économiques et dialogues avec les pouvoirs publics afin de coller aux besoins précis du territoire. Cette co-construction permettrait, pourquoi pas, de créer tous ensemble de nouveaux dispositifs d’innovation sociale.
Selon vous quels sont les prochains défis à relever pour que le mécénat se développe encore davantage dans le secteur ?
Malheureusement le secteur associatif a subi un ralentissement voire un arrêt de ses activités avec le confinement, et de nombreuses structures souffrent d’une baisse des dons. Afin de stimuler les dons, je souhaite envoyer un signal en proposant un amendement à la 3e loi de finance rectificative pour 2020 visant à aligner le régime classique des dons sur celui de Notre-Dame portant à 75% la réduction d’impôt pour les dons allant jusqu’à 1000 € et verser d’ici la fin de l’année. La générosité à toute sa part dans le contrat social de notre pays, il est nécessaire aujourd’hui d’être à la hauteur de cet enjeu de solidarité.
Propos recueillis par Catherine GINESTE