La Région a accueilli Eloi Laurent qui vient de diriger la rédaction d’un rapport « vers l’égalité des territoires », remis à Cécile Duflot. Il est économiste senior et conseiller scientifique à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) (Centre de recherche en économie de Sciences Po). Macro-économiste de formation, ses travaux portent actuellement sur la soutenabilité environnementale et le bien-être individuel et social.
Il explique : « La mission confiée par Cécile Duflot consistait à définir ce qu’il était de l’égalité des territoires. Il y avait débat sur cela, pour tenter d’y répondre j’ai réuni 60 contributeurs, 37 chercheurs, 23 politiques et nous avons travaillé pendant 4 mois afin de rendre un rapport de 600 pages. Je me dois de dire que certains chercheurs ont refusé de participer à ce travail car, pour eux, cette problématique n’a pas de sens. Notre premier labeur a donc consister à élaborer une théorie de l’égalité des territoires car celle-ci n’est ni innée ni spontanée. Les territoires sont par nature inégaux et le jeu du marché, combiné à celui des politiques publiques, tend à, les rendre plus inégaux encore ». Si l’égalité des territoires a bien un sens en France : en langage administratif elle s’apparente à une continuité territoriale de la République, à commencer par celle du service public, promise à chaque citoyen par la Constitution, cela n’empêche pas les inégalités.
Le revenu, l’éducation et la santé
« Il nous fallait une théorie robuste de la justice, nous l’avons trouvé chez l’économiste indien Amartya Sen et son travail sur les capacités, la liberté réelle de l’être et de faire. Selon lui, si on donne un euro à chacun, chacun l’utilisera différemment car cela dépend de ce que chacun peut faire. Prenons un chômeur en zone sensible urbaine. La zone va limiter sa recherche d’emploi à cause de transports publics défectueux. Donc, la notion d’égalité des territoires doit être une recherche de l’égalité des capacités entre les personnes. Sachant que les inégalités en France doivent être considérées de manière plurielle. Il faut en prendre compte à partir de 3 points : le revenu, l’éducation et la santé. Il faut donc réfléchir en terme de développement humain et considérer les inégalités de manière dynamique ».
Et d’insister : « Les inégalités sont très fortes, et cela fait peser des entraves sur le développement économique comme le montre de récentes études. Arrivées à un certain point les inégalités conduisent à nombre de maux sociaux et sociétaux, y compris sur le plan mental ».
« Derrière la crise écologique il y a une crise des inégalités »
Puis d’en venir à la région Provence-Alpes-Côte d’Azur : « Les inégalités y sont fortes. Si on prend le PIB par habitant, elle se classe troisième région de France, mais si on prend en compte les indicateurs humain, elle chute fortement ». Puis d’en venir à la dimension écologique : « Il est difficile d’avoir une transition écologique si elle n’est pas également sociale car, derrière la crise écologique il y a une crise des inégalités qui se renforcent. Dans nombre de cas, on voit que les personnes les plus touchées par les pollutions sont les plus pauvres. Or, si une mère est exposée, l’enfant va développer des maladies respiratoires, ce qui va influer sur sa scolarité et donc sur les revenus à venir ».
Fort de tous ces éléments, le rapport recommande donc d’investir dans l’intelligence des territoires, susceptible d’informer les stratégies locales de développement ; la valorisation des territoires doit quant à elle permettre de redéfinir les critères de la valeur collective pour donner à chaque territoire sa place dans le projet national et lui permettre de mieux assurer sa trajectoire de développement.
Le rapport plaide également pour que les capacités territoriales soient cultivées : « Les seules ambitions d’attractivité et de compétitivité économiques ne suffisent pas à définir des stratégies de développement territorial soutenables et justes. Il importe de repenser ces stratégies en partant du développement humain et des capacités des personnes ; il convient également de projeter de manière dynamique le bien-être des habitants sur des trajectoires de soutenabilité écologique, climatique et énergétique ».
Il préconise enfin de consolider la solidarité des territoires. « Il convient de réformer en profondeur l’architecture des pouvoirs territoriaux en s’inspirant d’une nouvelle philosophie territoriale ; la mobilité n’est pas un substitut à l’aménagement du territoire : il faut aménager la mobilité pendulaire au sein des espaces urbains français ; la solidarité entre territoires par zonage et péréquation ne peut se réduire à une géographie prioritaire et une redistribution statique, elle doit être refondée à partir d’une approche dynamique et transparente de la justice territoriale ».
Michel CAIRE