Publié le 8 avril 2021 à 11h00 - Dernière mise à jour le 31 octobre 2022 à 15h47
Dans les romans d’Yves Ravey, on croise des gens ordinaires, gris socialement, et coincés dans des décors aussi ternes que leur existence. Si l’on devait établir une comparaison avec une série télé on parlerait pour définir les enquêtes policières qui s’y déploient, de celles de l’inspecteur Derrick. Du terne et du lent, du pâlichon, du tristounet, donc, comme dans «Bambi bar» que cet écrivain bizontain publia en 2008. Un roman en trompe l’oeil où l’on voit des gendarmes frapper à l’aube chez un certain Léon. Ils prétendent enquêter sur la voiture qui a renversé une jeune fille à la sortie d’un dancing, (celle de Léon justement), mais, très vite, leurs questions s’orientent sur les activités du Bambi Bar qui emploie cette jeune fille dans des conditions pour le moins louches et qui vient d’engager Léon pour réparer la chaudière. Du tristounet donc, et du pas très romanesque, sauf qu’ici si ça commence comme l’Inspecteur Derrick, ça se termine en explosion façon «Taxi driver».
Du gris qui tourne en rouge sang… c’est également ce que l’on note dans « Adultère» son nouveau roman, où là encore ça va dessouder sévère. La station service en faillite, tenue par Jean Seghers partant en lambeaux, après que son propriétaire y ait mis le feu afin d’y tuer Ousmane, son veilleur de nuit-mécanicien, qu’il sait être devenu l’amant de sa femme Remedios. Un crime apparemment parfait, si bien que les gendarmes (chez Yves Ravey ils supplantent les policiers), veulent en la personne de l’adjudant Bozonnet, clore l’enquête au plus vite. C’est sans compter sur le flair et la détermination de Brigitte Hunter, experte en assurance qui ne croit guère en la thèse de l’accident. Et qui va dévoiler le pot aux roses de façon elle aussi très retorse.
Yves Ravey est le roi de l’épure
Peu d’indications spatio-temporelles, pas vraiment de longs développements psychologiques Yves Ravey est le roi de l’épure, et chose inouïe vous installe dans une histoire et, au bout de quelques pages vous en raconte une autre. Déjà dans «Dieu est un steward de bonne composition» sa pièce de théâtre mise en scène de manière très sanguinolente par Jean-Michel Ribes, créée au Rond-Point et vue au Gymnase de Marseille du 31 mai au 15 juin 2005 avec Claude Brasseur, Judith Magre et Michel Aumont, l’auteur nous parlait d’exil, et d’une histoire de famille passablement compliquée. Mêmes intentions de prendre le lecteur à contre-pied dans «L’épave » sublime roman où l’on assistait, à la suite d’un accident n’ayant fait aucun survivant au dépeçage de la voiture incriminée par le garagiste chargé de son remorquage. Qui voyait ensuite débarquer le père du conducteur décédé prêt à payer à chaque fois qu’on lui ramènerai un objet retrouvé. Le garagiste faisant mine de les chercher sur place rapportant au compte-gouttes le précieux recel, nous nous retrouvions dans un autre polar avec vue sur la mère du garagiste très impliquée dans la suite du récit.
La mère, cette hantise
On en croise encore une de mère dans «Adultère ». Celle de Jean Seghers, le narrateur-meurtrier. Celle-ci se prénomme Dolorès et a un amant répondant à l’étrange patronyme de Salazare. Comment en est-elle arrivée là ? Nous n’en saurons rien, et Yves Ravey une fois encore brouille les pistes, nous présentant la manière dont son fils la vole, et nous mène en bateau avec le récit des relations supposées torrides entre Remedios, l’épouse de Jean et un certain Xavier Walden qui occupe les fonctions de président du tribunal de commerce. Comme dans ses autres livres, les personnages d’Yves Ravey sont saisis par deux, et s’affrontent par couples interposés. La précision chirurgicale avec laquelle l’auteur met tout cela en scène tient du miracle narratif. Pas de surcharges, de gras, de phrases pompeuses. Que du sec et des dialogues réalistes pour la plupart rapportés par les soins de Jean Seghers dont le lecteur découvre au fil des pages le parcours criminel, ne percevant de la réalité que ce qu’il veut bien nous en dire.
Une France en crise
Avec en toile de fond une plongée presque entomologiste au sein d’une France en crise qui a vu le tissu industriel se déchirer. On sent combien là encore Yves Ravey est le romancier de la colère sociale. Mais l’homme est trop subtil et élégant pour hurler avec les loups. Et d’inscrire « Adultère » dans une geste autant théâtrale que retenue. Montrer sans démontrer… et ce en moins de 150 pages. Chapeau l’artiste ! Un grand roman en fait. Un auteur majeur surtout.
Jean-Rémi BARLAND
«Adultère» de Yves Ravey. Les Éditions de Minuit – 143 pages – 14,50 €