« Lorsqu’on est policier dans le nord de la Suède, il faut bien souvent rouler plusieurs heures pour rejoindre une scène de crime. La circonscription policière de Jäamtland est particulièrement vaste : elle s’étend jusqu’à la province du Härjedalen, cent cinquante kilomètres plus au sud. » Ce périple Hanna Ahlander et l’inspecteur Daniel Lindskog vont l’entreprendre, après avoir été appelés pour rejoindre l’hôtel de luxe de Storlien, près d’Are, où un crime horrible a été perpétré.
Dans la chambre 505 du Copperhill Moutain Lodge, Charlotte Wretlind vient d’être retrouvée sauvagement poignardée. Qui a bien pu en vouloir ainsi à cette femme d’affaires au tempérament trempé appartenant à la société de promotion immobilière SEG la Swedish Establishment Group ? Est-ce Paul Lehto qui travaillant à l’hôtel depuis plusieurs années, s’est fortement accroché verbalement avec elle au prétexte qu’elle l’aurait traité comme un moins que rien ? C’est en tout cas ce que laisse entendre un certain Erik qui, employé au service conciergerie, s’en est confié aux enquêteurs. Solution un peu trop évidente pour paraître plausible dans un polar de 500 pages ? Fausse vraie bonne piste ? L’équipe, formée par les deux fins limiers que sont Hanna et Daniel, va devoir faire fi des évidences pour retrouver le ou les coupables. Leurs collègues ont pour nom Rafael Herrera, surnommé Raffe, Carina Grakvist, la technicienne chargée d’examiner les scènes de crime et Anton Lundgren, personnage fragile et fort émouvant, que l’on sait depuis « Les ombres de la vallée » -le précédent polar où ils apparaissent tous- très amoureux de Carl Willner, qu’il allait parfois rejoindre en cachette et assez culpabilisé dans un appartement à l’Est du petit centre-ville de Duved. Carl qui apparaît ici sans avoir un rôle prépondérant dans le déroulé de l’enquête sauf celui de dévoiler la vie cachée d’Anton, travaille comme chargé de développement commercial pour la commune d’Are. Notons qu’il était un des amis de Johan Andersson, l’ancien champion de ski devenu plombier sauvagement assassiné lui aussi dans « Les ombres de la vallée », deuxième volet de la série à suspense signée Viveca Sten.
La violence faite aux femmes
On le verra rapidement la commissaire de police Brigitta Grip, la patronne de Daniel, Hannah et de leur équipe a fort à faire. Surgissent dans la liste des suspects un investisseur, un conseiller municipal véreux et un concurrent direct de Charlotte dont le projet était de bâtir un hôtel de luxe à Storlien, près d’Are, nécessitant la démolition d’un grand complexe aujourd’hui désaffecté. Les choses se compliquent d’autant plus que Aada Kuus, une autre employée de l’hôtel qui a nettoyé les chambres mitoyennes de celle de Charlotte est retrouvée étranglée au grand dam du directeur de l’établissement Espen Lund qui, au regard de ce qui est une fort mauvaise publicité, craint de voir la fréquentation du palace s’effondrer.
La manière dont Viveca Sten, qui signe ici avec « Chambre 505 », (un très mauvais titre français traduction improbable de « Botgöraren » – «Pénitent») un polar étourdissant de virtuosité, consacre à chacun de ses personnages une sorte de fiche de présentation mérite toute l’attention du lecteur. Que ce soit, Stefan Forsberg, ancien ministre de l’agriculture, amant de Charlotte, Henry Sylvester, son associé, Bengt Hedin, de la mairie de Järpen, Gunilla Nymark, sa collègue qui occupe une place centrale dans le parti à l’échelon local, Leffe, le gardien, de l’hôtel de Storlien, Tiina Nelson, la femme d’Erik, sans oublier Filip Rutberg Wretlind, le fils de Charlotte né en 1997 et filleul d’Henry qui sera sur la fin du récit kidnappé, ils détiennent tous une pièce du puzzle.
Et puis, on trouve au cœur du roman la longue confession d’une certaine Monica datée de 1973 dont l’identité dévoilée à la fin éclaire la volonté de Viveca Sten de signer ici un réquisitoire sur la violence faite aux femmes, victimes d’hommes prédateurs n’hésitant pas à les violer. Ce qui est arrivé d’ailleurs dans un passé funeste à la policière Hannah Ahlander, toujours soutenue moralement par son collègue Daniel Lindskog. Un être lui-même angoissé en couple avec Ida et papa d’une petite fille nommée Alice qui en apparence mène une vie tranquille, si ce n’est qu’Ida a du mal à accepter les contraintes liées à son métier. Un flic honnête à l’empathie considérable dont les séances chez son psy Jovanka Horvat constituent des pages bouleversantes. Incroyable de virtuosité, creusant dans les rapports parfois difficiles entre les parents et leurs enfants, offrant mille rebondissements et courses-poursuites, « Chambre 505 » secoue les lignes du polar classique et le cœur du lecteur. Après « Une écharpe dans la neige», et « Les ombres de la vallée », les deux premiers volets des enquêtes de Daniel et Hanna réédités au Livre de poche que l’on peut lire séparément, Viveca Sten, la reine du polar suédois, experte aussi dans l’art de fixer aussi une intrigue dans des descriptions panthéistes des grands espaces sauvages de son pays, signe avec « Chambre 505 » un nouveau chef-d’œuvre où il est montré, si besoin était, que nul ne guérit de son enfance.
Jean-Rémi BARLAND
« Chambre 505 » par Viveca Sten. Traduit du suédois par Amanda Postel, et Anna Postel-Albin Michel – 492 pages – 21,90 €