Publié le 1 juin 2021 à 21h39 - Dernière mise à jour le 31 octobre 2022 à 18h01
Hallucinant ! Stupéfiant ! Gigantesque ! Inouï ! Inoubliable ! Les superlatifs viennent à manquer pour exprimer son ressenti une fois le nouveau roman de Nicolas Feuz refermé.
«Heresix» est un non seulement un thriller puissant à l’intrigue diabolique, mais c’est un texte incandescent qui dénonce la violence faite aux femmes. Incandescent est bien le mot puisqu’au début du livre on découvre la ville de Béziers en proie aux flammes. Un incendie criminel ayant pris à la Pairola, un établissement nocturne à la réputation sulfureuse connu pour ses soirées échangistes, le feu ravage le centre-ville, menace d’effondrer des grands immeubles du centre de la cité, et aurait fait plusieurs victimes.
La police est sur les dents, et à sa tête Dominique Roustan, le capitaine du SRPJ de Montpellier dépêché sur les lieux. Assisté de Solange Darrieussecq, et d’Amélie Gasquet, deux gendarmes de la brigade de recherches de Béziers, il va de surprises en stupéfactions multiples. Comprenant très vite que c’est le Toulousain, un des parrains de la région qui se trouve visé, (quelqu’un s’emploie dans l’ombre à éliminer ses lieutenants du crime), nos trois limiers plongent dans le Béziers interlope où drogue, prostitution, et actes pédophiles semblent régner en maître.
Le lecteur qui se trouve d’emblée malmené, se verra par le biais d’une narration éclatée témoin d’autres actes violents et tout à fait extra-ordinaires. Au sens étymologique du terme. Il y a d’abord l’intrusion dans l’église de Saint-Thibéry, village calme situé au confluent de l’Hérault et de la Thongu, de six pauvres hères, entièrement nus, aux yeux crevés, au nez tranché au ras du visage, et portant sur la poitrine les lettres HERESIX gravées au couteau dans la chair à vif. Autre fait-divers Sandy, (c’est un pseudo), prostituée à qui il est difficile de donner un âge s’emploie dans une péniche à satisfaire physiquement son souteneur Serge Valadié très lié au Toulousain. Au fond du hublot, apercevant l’épaisse colonne de fumée s’élevant dans Béziers elle déclare à son prédateur sexuel s’interrogeant sur ce qui se passe, qu’il s’agit «d’un bûcher de l’inquisition, le bûcher des vanités, le sien comme celui de son associé.» L’électrocutant d’un coup de taser la jeune fille l’expédie alors dans un trou noir, mais n’en aura pas fini avec lui.
Puis direction le Cap-d’Agde, où sur la plage la petite Maeva Tolzan disparaît, ses parents Raymond et Anne-Maude Tolzan, la retrouvant, pour la perdre ensuite après l’avoir laissée seule dans son lit alors qu’ils prennent du bon temps dans un club échangiste. Là encore elle ressurgira mais assez mutilée. Enfin troisième piste romanesque…..on assiste aux ébats sexuels au départ consentis par Alexia qui fête ses dix-huit ans en compagnie d’Arnaud son « chéri » qui a sensiblement le même âge. Des ébats qui tourneront au viol, Arnaud pour des raisons qu’il expliquera au final à sa fiancée, ayant convié quelques complices savamment cachés dans ce train fantôme que les jeunes amants ont pris à Béziers et qui file vers Narbonne.
Différentes époques pour une même histoire
Tout ceci que l’on nous raconte dans les premiers chapitres n’est qu’un aperçu très succinct des différents épisodes du roman. L’auteur qui prend son temps, feint de nous présenter plusieurs histoires qui de fait n’en forment qu’une seule. Déstabilisé pour son plus grand bonheur, le lecteur s’apercevra aussi que l’on passe au fil des pages d’une époque à l’autre. Jouant sur la chronologie, avec retours en arrière et gros plans sur des victimes qui s’accumulent, Nicolas Feuz intrigue en permanence et conclut bon nombre des chapitres de «Heresix», par une confidence murmurée par chaque bourreau (et il y en a une pelletée…) à l’oreille de sa victime. Chaque scène spectaculaire tient lieu de passeport vers l’horreur et c’est rempli de secrets de famille absolument effroyables. C’est d’autant plus crédible que l’auteur, procureur du canton de Neuchâtel, connaît admirablement les rouages de la justice, la manière dont l’identité des individus peut tenir lieu de bombes à retardement.
Récit de l’épopée cathare
Mais « Heresix » ne se contente pas d’être un polar à étages. C’est par le biais d’une certaine Bernadette Lafargue, professeure d’histoire à l’université de Montpellier très présente d’un bout à l’autre du roman, un récit passionnant et très précis de l’épopée cathare. On nous raconte ici tout des aventures des Croisés, des implications des hérétiques, des routes empruntées, et c’est assez bluffant de voir combien l’aspect pédagogique de « Heresix » ne ralentit pas lecture et n’alourdit pas l’ensemble.
Un parfum de «L’été meurtrier» de Sébastien Japrisot
Inclassable le roman de Nicolas Feuz est également un plaidoyer contre les violences faites aux femmes. Sans dévoiler quoi que ce soit de l’épilogue halluciné qui nous sonnera comme un uppercut, il y a dans « Heresix » un parfum de «L’été meurtrier» de Sébastien Japrisot. C’est dire que le roman est aussi une histoire de vengeance, avec retardateurs et passage du temps. Un thriller en forme de poupées russe qui pouvant s’intituler « Et on tuera tous les affreux » lorgne du côté de « La pitié dangereuse » et de «Les bourreaux meurent aussi.» Prodigieux !
Jean-Rémi BARLAND
« Heresix » par Nicolas Feuz paru aux Éditions Slatkine – 285 pages – 19 €