Publié le 2 mai 2021 à 8h00 - Dernière mise à jour le 31 octobre 2022 à 17h56
Surtout ne pas réveiller un flic qui dort ! Même involontairement ! Sous peine de grands remous et gros orages au-dessus de votre tête. Pour ne pas l’avoir compris, ou ne pas y être parvenu les hommes de la Crim’ en poste à Paris ce jour-là en feront l’expérience. Non sans une certaine satisfaction au demeurant.
Le flic endormi… c’est un certain Philippe Valmy, commandant de son état, qui à la suite de l’arrestation d’un tueur en série, et de la disparition de sa femme s’est mis en retrait de la police, devenant l’adjoint de l’attaché de sécurité intérieure à l’ambassade de France au Nigeria. Tout aurait pu continuer ainsi oui mais voilà…
A Paris, on découvre le corps mutilé d’un homme dont on a étalé les intestins en charpie autour des hanches. Dans le ventre de la victime on avait enfoncé une espèce de poupée couturée de cicatrices de fil noir. Pas le genre de poupée «que l’on dispose sous le sapin pour les enfants, mais plutôt de celles que l’esprit associerait à des pratiques occultes».
Un crime vaudou en quelque sorte. Et le plus terrible pour les enquêteurs est de découvrir que la victime n’est autre que Louis Lefort, commandant de police au groupe Cabarets, et ancien coéquipier de Philippe Valmy. Un homme de fidélité à ses amis, qui, «croyant aux forces de la nature, aux messages qu’elle nous envoie, à son indomptable toute puissance», accueille la nouvelle comme un signe du destin dont on peut résumer l’esprit ainsi : «Le flic qui sommeillait en Valmy, déjà réveillé depuis plusieurs minutes, était en train de s’étirer et se préparait à sauter du lit. Si elle éveillait en lui la litanie sourde de ses angoisses, la douleur de la mort savait aussi réveiller chez Valmy les instincts du chasseur, aussi destructeurs soient-ils.» Direction la capitale française, où à la descente d’avion il est accueilli par Jean Parudon, de la Crim’ qui le trouve hyper-bronzé, et briffé par le commissaire Michel Graziani, qui le trouve lui… très utile à l’enquête.
Un flic fait de tous les flics qui les vaut tous et que vaut n’importe qui
A la fin des «Mots» Jean-Paul Sartre se définit à certaines conditions qu’il expose comme « un homme fait de tous les hommes et qui les vaut tous, et que vaut n’importe qui ». On peut rapprocher cette magnifique définition de la façon dont Alexandre Galien met en scène le personnage central de son roman « Le souffle de la nuit» qui paru chez Michel Lafon, lui valut le Prix du Quai des Orfèvres 2020. Absence de transformer Philippe Valmy en super héros, ou héros solitaire, volonté d’inscrire son action au sein de toute une équipe soudée, désir de développer l’intrigue au-travers de portraits croisés d’enquêteurs sur-motivés et empreints de résilience, avec zooms sur les visages, les gestes, les intentions, l’auteur privilégie le groupe qui n’est pas associé ici à une addition d’ego.
A ce titre, Philippe Valmy pour parodier Sartre « c’est un flic fait de tous les flics, qui les vaut tous et que vaut n’importe qui». Et cela confère au roman un supplément d’humanité, qui nous touche à chaque page. Hakim par exemple nous émeut plus qu’un autre, lui qui, «pour d’obscures raisons se refusait à consommer de l’alcool avant vingt heures», et dont nous dirons qu’il «était un type bourré de tocs, qui rendaient sa vie impossible et son travail impeccable». Touchés aussi par la manière dont le capitaine Antoine Belfond avait intégré dans son groupe le plus solide et le moins conventionnel qui se puisse concevoir un certain Queffelec. Le capitaine Victor Queffelec, qui après sept ans passé en tant que chef d’unité judiciaire au commissariat du XIIIe arrondissement (sept longues années à rêver de la brigade criminelle, de meurtres complexes, d’intrigues à couper le souffle qui balaieraient d’un revers de manche les vendeurs de Subutex, et les pickpockets de Montmartre qui défilaient dans les geôles de son service ») avait rejoint la PJ. «La vraie, celle qui lui avaient contée les romans de Simenon, quand il était encore enfant ». Il y a d’ailleurs du Simenon dans le choix qu’Alexandre Galien fait des adjectifs, tous employés avec précision, parcimonie, justesse comme le faisait l’auteur des Maigret.
Humour à la Audiard
Terrible, sanglant, avec des meurtres qui se succèdent (six cadavres dont deux flics), des scènes hallucinantes de violence, comme on en trouve non chez Simenon cette fois mais chez Grangé, avec son lot de mutilations et de sociétés secrètes «Le souffle de la nuit » semble aussi nourri d’un humour décalé à la Audiard. Rappelons que Galien, le nom de plume de l’auteur est celui de Lino Ventura incarnant l’inspecteur Antoine Gallien (avec 2 L), dans «Garde à vue», le chef-d’œuvre de Claude Miller dialogué justement par Michel Audiard. Un film qu’adore Alexandre Galien qui aime savourer ses répliques cultes comme « Tango…ça s’écrit comme un tango ? – Mais oui. Comment voulez-vous que ça s’écrive ? Comme paso-doble ?». Et qui possède un art du portrait aussi dramatique qu’ironique. Ce que maîtrise très bien aussi l’auteur du «Souffle de la nuit» qui brosse page 149 le portrait ironique du major Patrick Chamfrein dit Dicton lançant à ses collègues : «Bon, au travail, on n’est pas là pour enfiler des merles».
« Il faut écrire avec le sérieux d’un enfant en train de jouer »
On le voit, Alexandre Galien s’en donne aussi à cœur joie. Il stupéfie certes le lecteur à grands coups de scènes sanguinaires, mais il ne se départit jamais d’un second degré conférant à son roman une légèreté formelle très anglo-saxonne. Il montre sans démontrer. Il s’amuse aussi avec une grande rigueur, fidèle en cela à la pensée de Ian McEwan qu’il s’est approprié : «Il faut écrire avec le sérieux d’un enfant en train de jouer». Au théâtre des passions, Alexandre Galien demeure un maître du genre…..
Hymne aux femmes africaines de Paris
Et puis, il y a les femmes à qui Alexandre Galien rend un hommage d’une grande générosité de plume. Le lieutenant Edwige Lechat, par exemple, qui va travailler avec Philippe Valmy et toutes ces « promeneuses » africaines de Paris du XVIIIe arrondissement. Des femmes à la démarche chaloupée. Alexandre Galien signe à leur sujet des pages exceptionnelles de densité faisant basculer son roman dans la tragédie antique. Victimes ces Nigérianes abîmées par la violence des hommes impriment à la fin du récit son caractère dénonciation de la criminalité en col blanc où «monsieur pognon peut bien s’offrir mademoiselle machin» comme il est chanté dans «Des fleurs pour Gabrielle». Et de répondre avec empathie à la question centrale développée en filigrane du récit : «Y-a-t-il un salut pour les destins maudits? »
« Paris je t’aime »
Dans «La ville de joie», chanson écrite par Stephan Reggiani pour son père Serge qu’il enregistra en 1977, il est dit : «Paris je t’aime, même si tu n’aimes pas que moi. Paris la ville de joie ». C’est exactement le credo du roman d’Alexandre Galien. Paris, qui est le cœur du sujet du livre «Le souffle de la nuit» tel que son auteur l’a composé, apparaît coloré, et multiple. Il y a un vrai travail d’écriture quasi mystique dans ces multiples présentations d’une capitale gorgée de différences, de multiculturalismes, de combats pour la dignité. Si bien que ce polar s’impose comme un grand texte politique où il est montré que les cicatrices du passé quand elles sont mises à vif, engendrent victimes et bourreaux. Remarquable façon de rappeler que «nul ne guérit de son enfance ».
Jean-Rémi BARLAND
«Le souffle de la nuit» de Alexandre Galien paru aux Éditions Michel Lafon