La boîte à polars de Jean-Rémi Barland. « L’heure bleue » de Paula Hawkins. Enquête autour d’un os humain…

« L’heure bleue » de Paula Hawkins est une enquête autour d’un os humain qui fait parler dans un huis clos génialement vénéneux à l’ambiance très Patricia Highsmith.

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Dans « L’heure bleue » Paula Hawkins développe l’idée que « parfois, un acte de violence peut être une preuve de dévouement. » (Photo Kate Neil)

James Becker qui n’a jamais connu son père, et dont la mère était caissière de supermarché a fait avant l’université toute sa scolarité dans les écoles publiques de seconde zone. Grâce à son travail acharné, une dose de chance, et nous dit-on « un soupçon de sournoiserie » il est devenu conservateur à la fondation Fairburn, où, désormais, il fait partie des meubles.

Tout semble s’enchaîner pour lui au niveau professionnel de manière harmonieuse quand il reçoit un jour un appel très agacé d’un certain Will Goodwin, de la galerie Tate Modern de Londres. Ce dernier qui vient d’organiser une exposition de trois pièces d’art réalisées par Vanessa Chapman, artiste à la renommée mondiale, trois œuvres confiées au musée par la fondation Fairburn lui apprend que Benjamin Jefferies, un expert anthropologue judiciaire distingué ayant visité l’exposition le week-end précédent a remarqué que « Division II », composante phare du travail de l’artiste décédée cinq ans auparavant d’un cancer contenait… un os humain. Ce qui non seulement est tout à fait interdit mais peut faire peser sur la galerie un préjudice potentiel pour l’institution qui l’a placée en vedette avant que d’être contrainte de la retirer du circuit. « Vous vous rendez compte…il ne manquerait plus que les wokes nous tombent dessus», lance Goodwin au moment de terminer la conservation.

Pour percer le mystère de cette œuvre incandescente où l’on distinguait divers éléments suspendus par des fils qui semblent léviter dans une boîte en verre, l’os et le fragment de céramique formant une paire parfaite, Becker, interloqué par ce qu’il vient d’apprendre décide de se rendre, à la demande de son patron Sebastian Lennox, sur l’île d’Eris, une île écossaise cernée par la marée, qui, achetée par Vanessa Chapman, fut son dernier lieu de vie. Là, où, dans une immense demeure elle partageait son existence avec Grace Haswell, son amie et exécutrice testamentaire, et où Becker pense trouver la clef de l’énigme.

Un mari disparu dans des conditions étranges

Et si l’os de l’exposition appartenait à Julian Chapman le mari de Vanessa, disparu à l’été 2002 et dont, après des mois de fouilles, un pêcheur remonta dans ses filets non pas son corps, mais son portefeuille noir contenant ses cartes bancaires ? Et si c’était Vanessa qui s’était débarrassée de son époux par trop gênant ? Deux questions essentielles qui vont animer les premières découvertes de James Becker… et peut-être le conduire sur des fausses pistes.

Tout au long de ce qui est une enquête explosive jonchée, on le verra de plusieurs cadavres, et de quelques actes de violence, notre Sherlock Holmes malgré lui sera guidé sur le chemin de la vérité par Grace Haswell, qui très réticente d’abord, voire hostile à sa présence, lui ouvrira les portes de l’atelier de Vanessa et surtout de son passé. Sans lui dévoiler cependant les liens véritables qui l’unissaient à cette grande dame de l’art… Secrets de famille, rebondissements, présentation par touches successives de dizaines de personnages, -dont Stuart Cummins, un chauffeur routier qui faisait un peu de mécanique et s’était mariée à Marguerite dont on nous apprend qu’elle fut hospitalisée pour doigts cassés, ecchymoses, lèvre fendue, et tant d’autres choses- « L’heure bleue » est un thriller hallucinant d’émotion. Un texte traversé de moments spectaculaires, un huis clos poignant digne des tragédies antiques, avec un épilogue où l’on nous laisse entendre, c’est dit en quatrième de couverture, que « parfois un acte de violence peut-être une preuve de dévouement ».

L’île d’Eris, personnage à part entière du roman

Experte en l’art consommé du récit à tiroirs Paula Hawkins, déjà auteure avec « La fille du train » d’un polar chic, classe et choc, signe  ici un thriller impressionniste qui bouscule la chronologie. Passé et présent s’entremêlent dans des chapitres nourris de rythme, et où le journal intime de Vanessa constituera la matrice fondamentale d’un récit en trompe-l’œil. Et puis il y a l’île d’Eris, inventée par Paula Hawkins, mais devenue bien réelle sous sa plume lyrique qui s’impose comme un personnage à part entière. Demeurant aussi mystérieuse que vulnérable et sauvage, traversée par des vents violents, enfermant ceux qui l’habitent dans une cage de tempêtes physiques et morales on la croirait sortie d’un roman de Daphné du Maurier. Et au final on ressort de ce thriller secoués par autant de force romanesque où l’on brosse comme on le précise dans, encore, la quatrième de couverture « le portrait magnifique d’une femme consumée par un incroyable désir de liberté , qui ne semble connaître aucune limite. »

Jean-Rémi BARLAND

« L’heure bleue » par Paula Hawkins. Traduit de l’anglais par Corinne Daniellot et Pierre Szczeciner – Éditions Sonatine – 376 pages – 23 €

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