Il sera comme chaque année l’un des grands oubliés des principaux prix littéraires de l’automne. Et comme l’a fait remarquer par constat et anticipation Jérôme Garcin dans son « bloc-notes» du Nouvel Obs en date du 29 août 2024 c’est « un mystère doublé d’une injustice. »
Comment se fait-il en effet qu’Yves Ravey n’ait jamais été récompensé lui qui construit patiemment une œuvre forte cohérente où l’on aborde les thèmes de l’adultère, de l’exil, des filiations compliquées en prenant le lecteur à contre-pied, l’embarquant dans un récit pour lui en proposer un autre ? Vrais faux polars, chacun de ses livres réunit tous les ingrédients du thriller, à la sauce plutôt anglo-saxonne puisqu’on y aborde la question du hasard dans des récits en trompe l’œil où nous avouerons, comme le dirait Stendhal, que le narrateur est fort peu héros au moment où on en fait la rencontre. Il est même carrément déprimé et en quête d’ailleurs tentant de faire coïncider sa Nature avec sa Liberté.
Toutes les existences des narrateurs d’Yves Ravey sont traversées d’accidents
Avec une constante, à savoir les accidents de la route ou de la vie que subissent les personnages centraux de ses romans. Dans « L’épave » notamment (un chef d’oeuvre) où l’on voit un garagiste venir dépouiller le véhicule qu’il est chargé d’embarquer après que tous ses occupants ont péri à la suite d’une embardée. Et peu après recevoir le père du conducteur décédé lui réclamant les objets qui devaient se trouver dans la voiture.
Dans « Bambi bar » aussi quand les gendarmes frappent chez Léon, à l’aube, prétendant enquêter sur la voiture (la sienne) qui a renversé une jeune fille à la sortie d’un dancing. Mais, très vite, leurs questions s’orientent sur les activités du Bambi Bar qui emploie cette jeune fille dans des conditions pour le moins louches et qui vient d’engager Léon pour réparer la chaudière. Cela commence gris et terne manière « Inspecteur Derrick » et finit dans le style explosif du film « Taxi driver ».
Dans « Pas dupe » l’inspecteur Costa enquête sur la mort de Tippi, la femme de monsieur Meyer, retrouvée parmi les débris de sa voiture au fond d’un ravin. Est-ce un accident ou un acte criminel ? On s’interroge : « Monsieur Meyer se plie aux interrogatoires de l’inspecteur, ce qui n’est pas de tout repos, d’autant que ce dernier n’est pas dupe. »
Dans « Taormine » également où un couple au bord de la séparation s’offre un séjour en Sicile pour se réconcilier. « A quelques kilomètres de l’aéroport, sur un chemin de terre, leur voiture de location percute un objet non identifié. Le lendemain, ils décident de chercher un garage à Taormine pour réparer discrètement les dégâts. Une très mauvaise idée», nous dit-on. Là encore le lecteur va assister à une noria de fausses évidences, et comme souvent chez Ravey la migration des populations fuyant un pays où il ne fait pas bon vivre tiendra lieu de passeport fictionnel.
Ce qui était le cas également dans « Dieu est un steeward de bonne composition » pièce de théâtre assez exceptionnelle jouée par Judith Magre, Claude Brasseur et Michel Aumont mais qui n’eut pas le succès qu’elle méritait peut-être en raison de la mise en scène sanguinolente et assez outrancière de Jean-Michel Ribes qu’on connut mieux inspiré.
Le casse improbable d’un ancien membre des sections spéciales en Irak devenu alcoolique et criblé de dettes
« Que du vent » nouveau roman de cet écrivain bisontin qui écrit court, (pas plus de 150 pages par opus) précis, sans gras avec que du muscle, porte sa griffe et marque de son empreinte celui qui s’embarque avec lui. Nous sommes aux Etats-Unis et ça ne va pas fort pour Barnett Trapp, narrateur désabusé et personnage central du récit. Lui qui fut membre des sections spéciales en Irak, ex-alcoolique, père fantôme de David, un fils qui l’est tout autant, criblé de dettes, en instance de divorce d’avec Josefa, ayant mis en liquidation son entreprise d’ambulances (tiens encore des voitures pour le pire du pire) stockant chez lui des produits d’entretien ménagers qu’il voudrait bien solder au plus vite, le voilà décidant après moult hésitations de vider le coffre-fort de Miko, le mari de sa voisine Sally qui lui en a fait la demande.
Au bout du hold-up des milliers de dollars et la promesse de celle-ci de partir en sa compagnie pour Véracruz. Le rêve d’une vie meilleure… la certitude d’une romance brut de décoffrage, la quiétude financière, le fait que ce qui le rapproche de Sally, sa maîtresse, c’est la fuite et l’argent, la fin des accidents de la vie, tout cela agite l’esprit de cet homme sans relief et d’habitude peu chanceux. Et si cela n’était au final « Que du vent ». Ne divulguons pas, ne gâchons pas la fin, mais on l’aura deviné rien ne se passera comme l’avaient prévu les deux amants maudits.
L’importance donnée aux détails, à la présentation des décors et des objets, les portraits en creux des autres protagonistes qui ne sont pas que des silhouettes, demeurent les autres clefs des récits d’Yves Ravey. Chaque mot dans son écriture, avait-on signalé: « Doit être le révélateur de ce qu’il y a dans le contexte, et où des événements clairs et évidents peuvent parfois produire des choses mystérieuses. » Au lecteur donc là encore comme dans « Taormine » de combler les trous laissés par la fin ouverte du récit. Et de prendre en compassion ces attachants losers qui ne sont pas sans rappeler ceux que l’on croise dans les romans de Jean-Paul Dubois autre grand maître de ce genre de thrillers à multiples entrées où ce ne sont pas les voitures le nœud gordien de l’intrigue mais… les tondeuses à gazon.
Jean-Rémi BARLAND
« Que du vent » par Yves Ravey. aux Éditions de Minuit – 123 pages – 17 €