La boîte à Polars de Jean-Rémi Barland. ‘Tonton avait une ferme en Ukraine’ de Manu Gros : les aventures rocambolesques d’un ‘attachiant’ baroudeur de l’improbable

Publié le 1 juillet 2022 à  10h53 - Dernière mise à  jour le 7 novembre 2022 à  8h30

A propos du polar de Manu Gros «Tonton avait une ferme en Ukraine» Alexandre Jardin qui a lu le texte avant sa parution écrit : « Un roman en pétard contre les « il faudrait » ! Une fricassée de personnages succulents ! Une explosion verbale ! Un écrivain éclaboussé de vie ! Interdit de vieillir en lisant ces pages ! Jubilez» Ces quelques mots de l’auteur du « Zèbre » que l’on ne peut soupçonner de mauvais goût littéraire on les retrouve sur la couverture de ce thriller déjanté et résument parfaitement l’ambiance autant que le style de ce récit explosif par lequel Manu Gros fait une entrée fracassante dans la vie littéraire française.

Manu Gros un romancier dynamiteur du réel conventionnel. (Photo Mary-Hélène Desfour).
Manu Gros un romancier dynamiteur du réel conventionnel. (Photo Mary-Hélène Desfour).

Pour un premier essai c’est un coup de maître. D’emblée on est happés, on se marre, on jubile, oui, on jubile… Alexandre Jardin nous avait convié à le faire, et on suit son conseil. On voyage, on apprend, on croise des personnages ubuesques genre le Général Tapioca dans «Tintin et les Picaros», on songe aux «Barbouzes» et aux «Tontons Flingueurs», de Lautner et on finit par trouver étonnant ce personnage de Tonton un «attachiant» baroudeur de l’improbable.

Il s’appelle dans la vraie vie Daniel Baylet. C’est cet homme réel de chair et de sang qui a inspiré le Tonton du roman. Un homme disparu aujourd’hui, proche de l’auteur, et de sa famille, qui vécut à cent à l’heure, tour à tour berger, logisticien, cuistot sur le Paris-Dakar en 1980, intendant sur la Calypso, piroguier chez les Indiens, éleveur en Guyane, exploitant de terres en Ukraine, et d’un club de plongée au Brésil, amoureux du rhum, des jolies femmes et de l’ivresse de vivre à plein goulot.

Personnage excentrique soi-disant espion, «pirate revenu de ses croisades exotiques avec un pécule assez dodu pour payer des coups à boire dans des lieux en vogue». Fanfaron bavard, «qui promettait de s’enrichir avec d’utopiques plans agricoles dans d’improbables pays, trublion « has been », qui crachait son mépris du système en traitant tous les boursicoteurs de vampires, tous les patrons d’esclavagistes et tous les salariés de moutons». Voici un Tonton flingueur transformé en tonton flingué… par des infarctus successifs . Tombant et se relevant sans cesse, finalement le plus honnête possible, bravant le mauvais sort et la camarde à grands renforts d’espérance dans des lendemains qu’il espère chantant. Tonton, «homme de l’entreprise de longue haleine, patient et conscient de tous les obstacles que l’univers, en éternel mouvement, pouvait semer sur sa route», est ici raconté en partie par son neveu un certain Yann journaliste au chômage qui ressemble par bien des aspects à Manu Gros en personne.

Tonton raconté par son neveu Yan, journaliste au chômage

A la différence près que Manu Gros travaille bel et bien quant à lui au quotidien «La Provence» où il est en responsabilité de la Culture dans l’édition d’Aix-en-Provence. Drôle et inventif comme son personnage de Yan, précis dans l’écriture, et se méfiant des longues phrases serpentines perdant le lecteur, Manu Gros compose ses textes, sans gras, et uniquement avec du muscle. Son roman «Tonton avait une ferme en Ukraine» l’atteste. Sens de la formule et des images qui font mouche, avec une compassion pour ses personnages et des plans cinématographiques, plongée précise en France, en Ukraine, au Panama, au Brésil, là où Tonton est vraiment allé, vision fantasmée d’événements inventés succédant à d’autres très réels, Manu Gros se déchaîne à chaque chapitre. Et se montre lucide par l’intermédiaire de son Tonton berger sur l’état à venir de l’Ukraine (l’action se déroule dans ce pays aux alentours de 2005), qu’il pressent problématique, dramatique, en ébullition et sanglant. Précisons que le vrai Tonton, Daniel Baylet, a réellement senti venir le drame de la guerre, à la suite de l’invasion par Poutine, et l’a exprimé en termes très explicites.

Mêlant personnages concrets de chair et de sang à qui il prête des aventures parfois tout à fait fictives dont Roberto Duran, icône de la boxe au Panama, ou le ministre de la Défense ukrainienne en 2007, Manu Gros sait exposer un monde, en inventer un autre, et le colorer d’une langue très appropriée. Pour se faire une idée voici un extrait parlant de Kiev.

Extrait du roman : description d’un début de journée à Kiev (en 2007)

« Depuis 8 heures 30 du matin, Tonton le baladait en ville en citant le nom de la moindre ruelle empruntée pour montrer qu’il était autant chez lui ici qu’au Boulou. L’effort de cet assommant exposé de géographie urbaine était absolument inutile, car avec les plaques en cyrillique, Yan ne pouvait vérifier s’ils descendaient bien l’avenue Volodymyrska, la rue Lysenka, le boulevard Machin Chose ou les Champs-Élysées. Comme la moitié de capacité cardiaque du vieux lui imposait des arrêts réguliers, le plus fatigant était encore de l’attendre. Le souffle court, il s’asseyait en radotant le nombre de kilomètres qu’il parcourait jadis dans les Alpes avec ses brebis ou ses chèvres près d’Aix, à Trets, dans le Bois de la Sorcière. Yan n’en avait pas moins trouvé charmante cette longue balade tronçonnée. Un petit marché aux puces où il avait dégoté un tee-shirt manches longues collector sur la Perestroïka et la découverte de la cathédrale Sainte- Sophie, dont la blancheur tranchait avec ses rutilantes coupoles vertes et dorées, lui avaient fait oublier les pauses médicales. Le nombre de voitures de luxe qui circulaient sur les avenues était impressionnant. Itou le hérissement d’échafaudages sur les façades patrimoniales que l’on ravalait partout. Pour compléter le tableau, la prophétie féminine de Tonton se vérifiait. En sortant de leur hôtel à un horaire qu’il n’avait pas choisi par hasard, le trottoir fourmillait de filles partant au travail où à leurs études comme on part en soirée, en minijupes et talons malgré les frisquettes températures de mars qui imposaient gants et collants de laine, voire de ravissantes chapkas affinant leur minois. Kiev empestait la ville émergente qui se dessine un futur et il y avait pire puanteur. »

Une couverture au dessin signé Jidus, pseudonyme de Julien Danielides

Notons que la couverture du roman est habillée d’un dessin absolument suggestif et magistral signé Julien Danielides également à La Provence -Aix qui est un véritable artiste de bandes dessinées au talent égal à celui des plus grands. On y voit en arrière-plan trois personnages présentés de manière burlesque (un burlesque correspondant à la loufoquerie du récit) à savoir un gradé, un diplomate, une femme que l’on sent aventurière, et qui apparaît très bien sapée, et en premier plan le Tonton chauve à moustaches. Pour ceux qui liront le roman livre ils constateront qu’il incarne à merveille ce baroudeur géant de la débrouille, qui s’enrichira et sera ruiné avant de se refaire. Pour ceux qui connaissent Manu Gros ils verront des ressemblances avec son crâne chauve notamment et avec son allure. Manu Gros qui fut la doublure silhouette de François Berléand sur le film «Le transporteur ». Signalons enfin que l’auteur dédicacera son roman le samedi 2 juillet à la librairie aixoise Le Blason de 10 h à 13 h. Et redisons que son roman «Tonton avait une ferme en Ukraine», préfacé par Jean-Paul Delfino. Et redisons que son roman «Tonton avait une ferme en Ukraine », préfacé par Jean-Paul Delfino, c’est, pour parodier Audiard dans les Tontons Flingueurs… du brutal ! Et nous on adore qu’« il y ait pas que de la pomme.. qu’il y ait autre chose.» En fait, on adore tout court !
Jean-Rémi BARLAND

«Tonton avait une ferme en Ukraine» par Manu Gros paru aux Éditions Red’Active – 344 pages, 9,90 € – Dédicace le samedi 2 juillet de 10h à 13h – Librairie Le blason d’Aix -11, rue Jacques de la Roque – 13100 Aix en Provence – tél 04 42 63 12 07

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