La boîte à polars de Jean-Rémi Barland. « Tous des animaux » de Morgan Greene. Un thriller obsédant qui se lit comme en apnée

« Tous des animaux »… Un titre qui sonne comme une annonce de férocité. Et ce sera le cas. Dans un thriller hallucinant de cruauté réaliste le Gallois Morgan Greene, qui vit aujourd’hui au Canada, nous projette au cœur de Savage Ride, une petite bourgade américaine sans histoires ou presque constituée de cinq mille âmes.

Destimed Morgan Greene
Morgan Greene : un maître du roman noir. Photo collection privée de l’auteur.

Y- a t-il ici une seule personne douce et bienveillante ? Pas sûr du tout. En tout cas nous n’en croiserons pas vraiment tant les portraits des uns et des autres brossés au vitriol font apparaître des personnalités troubles, voraces de violences ou spectatrices passives de celles-ci. On pourrait supposer qu’au regard de sa fonction de détective privée engagée par Ellison Saint John -pas moralement très clean non plus- pour coincer les assassins de son frère Sammy tué à la suite d’une querelle, par ses camarades de classe Nicholas Pips, le narrateur du roman, assisté de ses complices Emily Nailer et Peter Sachs qui l’ont aidé dix ans auparavant à enterrer son corps jamais retrouvé, Sloane Yo présenterait toutes les garanties de bon droit et d’équité. Il n’en sera rien. On découvrira en effet que cette ancienne inspectrice au sein de la police de Détroit a été virée par ses supérieurs, et qu’à la suite d’un accident de voiture avec sa gamine elle est devenue une junkie, une alcoolique « incapable d’encaisser un coup de téléphone un peu éprouvant sans se mettre à saliver dans l’attente d’un shoot. »

Il y aurait bien à placer au-dessus de tout soupçon Barry Poplar, le shérif de la ville qui a tenté de résoudre l’affaire en son temps. Là encore… Peine perdue. « Tous des animaux » vous dis-je.  Le plus cruel d’entre eux demeurant sans doute Thomas Saint John, le père de Sammy et Ellison, un chef de clan, parrain aux affaires louches qui veut la peau des meurtriers de son fils. Pourrait-on se fier en matière de vertu à Richard Beaumont, Dickie pour les intimes le flic qui arrêta Nicholas, sans lui soutirer les moindres aveux, (le suspect sera relâché faute de preuves) et dont Thomas Saint John s’est attaché les services non sans lui avoir payé de coûteux frais médicaux, faisant suite à un pontage coronarien, conséquence d’un infarctus. Là encore… chou blanc ! De toute façon ce dernier périra à la suite d’ un meurtre maquillé en suicide. Alors…

Un éblouissant coup de théâtre final

La force du récit vient de ce que la question n’est pas de savoir qui a tué, (on assiste dès le début à la scène du meurtre racontée avec un réalisme sidérant), mais de deviner comment on va coincer le tueur et ses complices. Savoir également pourquoi ils ont agi de la sorte, et découvrir enfin que le mobile de l’exécution de la victime est lié à un de ses agissements tout aussi criminel. Pas à pas, la narration se déploie au fil d’un enquête mouvementée, dense, obsédante et inoubliable, où, un animal humain et un meurtre peuvent en cacher bien d’autres. Avec en prime un épilogue inattendu, stupéfiant, politiquement très incorrect, où ressurgissent secrets enfouis, et règlements de compte en cascades.

Histoire déchirante sur la lutte des classes, la nature corrosive de la culpabilité et sur le prix que nous payons pour ce que nous faisons, et surtout sur ce que nous laissons en suspens « Tous des animaux » est un thriller obsédant qu’on lit d’une traite comme en apnée. Au titre si judicieux voilà un chef-d’oeuvre du genre, suscitant chez le lecteur une tension de tous les instants.

Jean-Rémi BARLAND

« Tous des animaux » par Morgan Greene. Traduit de l’anglais par Nathalie Peronny. – Éditions Sonatine, – 407 pages – 23 €.

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