La chronique cinéma de Jean-Rémi Barland. Le phénomène italien « Il reste encore demain » de Paola Cortellesi arrive en France : ralentir chef-d’oeuvre poignant et drôle.

Publié le 11 mars 2024 à  20h46 - Dernière mise à  jour le 14 mars 2024 à  8h34

Ce fut un choc en Italie où le film, collectionnant plus de cinq millions d’entrées, continue de faire un carton. Et voilà que « Il reste encore demain » de Paola Cortellesi arrive en France projeté  le 8 mars en avant-première dans plusieurs villes et ce, avant sa sortie nationale le 13 mars.  A Aix-en Provence  ce fut au cinéma Mazarin, où il ne restait plus une place de libre que l’on a pu applaudir  ce chef d’oeuvre .

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« Il reste encore demain » film réalisé par Paola Cortellesi sortira en salles le 13 mars. Photo Tobis Film GmbH & Luisa Carcavale

« Il reste encore demain » bien dans l’esprit des films néo-réalistes de la Péninsule, mélange drame et comédie en faisant, d’une image à l’autre, passer le spectateur du rire aux larmes. Puissant récit prenant racine dans tous les actes de violence dont sont victimes les femmes, ce long métrage est une pépite autant sur le fond que dans la forme.

« T’as qu’à partir…. »… « Pour aller où ? »

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« Il reste encore demain» de Paola Cortellesi (Photo Luisa Carcavale)

Le synopsis du film en est simple. Mariée à Ivano, Delia, mère de trois enfants, vit à Rome dans la seconde moitié des années 40. La ville est alors partagée entre l’espoir né de la Libération et les difficultés matérielles engendrées par la guerre qui vient à peine de s’achever. Face à son mari autoritaire et violent, Delia ne trouve du réconfort qu’auprès de son amie Marisa avec qui elle partage des moments de légèreté et des confidences intimes. Leur routine morose prend fin au printemps, lorsque toute la famille en émoi s’apprête à célébrer les fiançailles imminentes de leur fille aînée, Marcella. Mais l’arrivée d’une lettre mystérieuse va tout bouleverser et pousser Delia à trouver le courage d’imaginer un avenir meilleur, et pas seulement pour elle-même.

Ce qui aurait pu être un film vériste lourd et signifiant devient au fil des images assez poétiques un moment de grâce. La manière dont la réalisatrice Paola Cortellesi qui incarne Delia brosse les portraits des uns et des autres tient d’un miracle d’équilibre entre la description d’un monde pauvre. La cinéaste insiste sur l’intérieur peu cossu de la famille, sur les gestes répétitifs de cette mère transformée en épouse besogneuse au service d’un patriarcat violent, sur tous les petits boulots payés une misère que Delia accepte pour que les siens vivent un peu moins mal, sur l’omniprésence de la religion, et la présentation parfois burlesque de certains événements. Car si l’on est émus de bout en bout, on rit également énormément de la mort du grand-père (la manière dont elle est traitée est hilarante), ou comme lors de la scène burlesque et cruelle à la fois où Delia et Ivano reçoivent les parents du promis de leur fille, qui sont en tout état de cause d’une caste sociale supérieure.

« T’as qu’à partir… », dit la fille à sa mère battue. « Pour aller où », répond-elle…. et c’est tout l’enjeu de ce film politique très romanesque aux mille rebondissements dont la fin, que l’on ne dévoilera pas, demeure un chant de liberté républicaine. Qui parle des blessures de la guerre, de l’occupation du pays par les troupes américaines (un irrésistible personnage de GI sera ici décisif) le tout avec une grande subtilité. Un film qui est servi par une bande musicale reprenant des grandes chansons italiennes et des créations contemporaines plus rock nourrissant souvent les images au ralenti d’instants très chorégraphiés.

Mais où courent toutes ces femmes ?

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« Il reste encore demain » de Paola Cortellesi  en salles le 13 mars. Photo Tobis Film GmbH & Luisa Carcavale

Admirablement joué, vif et intelligent, ce film est aussi une leçon de mise en scène et interprétation. Tous les comédiens et comédiennes donnent de leur personne avec un véritable esprit de troupe. Le mérite en revient à leur talent, bien entendu, mais aussi, surtout même, au génie de cheffe d’orchestre des sentiments de Paola Cortellesi qui s’est glissée dans la peau de Delia avec un élan confondant de réalisme. Paola, exceptionnelle de bout en bout, rappelle ici, par son jeu et son charisme, les actrices mythiques que furent Gina Lollobrigida, Sophia Loren, Claudia Cardinale, inoubliable dans « La ragazza di Bubbe » film tiré du roman de Carlo Cassola et auquel « Il reste encore demain » fait penser , Alida Valli, Silvano Mangano, ou Monica Vitti.

Les gros plans sur son visage, sa manière de se déplacer,  et d’exécuter comme une prisonnière les gestes du quotidien qui définissent sa solitude et sa charge mentale, sont une leçon de cinéma. Et puis il y a le message «constitutionnel» essentiellement féministe délivré dans les derniers instants. Où vont toutes ces femmes que l’on voit courir ? Rejoindre un autre homme que leur mari, comme l’a un instant songé Paola empêchée de le faire par un événement extérieur inattendu ? Certainement pas… Et c’est là que Paola Cortellesi nous emmène dans un récit tout simplement historique. Où l’on verra comment Paola, la femme humiliée, effacée, niée, aura la possibilité, avec ses sœurs de galère, de réaliser un acte pacifiste non violent, voulu par le pouvoir en place (on vous laisse découvrir  lequel) qui va changer l’histoire de son pays. A plusieurs niveaux de lecture, « Il  reste encore demain » s’impose comme un film qui va s’inscrire dans la liste des grands chefs d’oeuvre du cinéma italien voire mondial.

Jean-Rémi BARLAND

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