Publié le 31 mars 2015 à 19h42 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 18h47
«Champagne pour tout le monde à l’entracte…» C’est ainsi que l’on sait vivre au Festival de Pâques d’Aix-en-Provence. Annonce faite en début de soirée par Dominique Bluzet afin d’adoucir l’absence de Martha Argerich, souffrante, aux côtés de Gidon Kremer, pour ouvrir l’édition 2015, la troisième, au Grand Théâtre de Provence. Et le directeur exécutif du Festival de remercier le public, fidèle, mais aussi la pianiste Khatia Buniatishvili, d’avoir bouleversé son emploi du temps pour assurer le remplacement de Dame Martha. La jeune musicienne donnait en effet un important récital 24 heures plus tard à Londres. Lorsque l’on sait qu’en règle générale la concentration des interprètes débute plusieurs heures, voire plusieurs jours, avant une telle échéance, elle méritait bien quelques louanges.
C’est avec la sonate n°2 pour violon seul de Mieczyslaw Weinberg que Gidon Kremer avait choisi d’ouvrir la manifestation. Il ne nous appartient pas de porter un jugement sur ce choix mais beaucoup ont été surpris de se retrouver face à cette pièce, importante, d’un compositeur contemporain russe, juif polonais d’origine, qui est mort en 1996 et dont les œuvres sont bien moins connues que celles de ses compatriotes Prokofiev ou Chostakovitch. Après l’entracte, le violoniste allait remettre ça avec la sonate n°3 du même… A vrai dire, tout le monde attendait surtout la sonate pour violon et piano de César Franck qui allait suivre ! Rien à redire sur l’interprétation de Gidon Kremer, sur sa dextérité, sur sa musicalité au service d’une partition pas toujours accessible au plus grand nombre. Nous eussions préféré, à dire vrai, un choix différent. Et Khatia Buniatishvili entra sur scène… Ange ou démon brun, c’est selon, enveloppée d’une robe fourreau beige clair que n’aurait pas reniée Vénus, elle a brisé la chape de plomb signée Weinberg et abandonnée sur scène par Gidon Kremer, avec la Mephisto Waltz n° 1 de Liszt livrée de façon… Endiablée. Le jeu de mot est facile, mais c’est la réalité. Alors oui, Khatia Buniastishvili prend quelque liberté avec les tempi, oui, elle est puissante, mais quel bonheur d’être secoué de la sorte par une musique emplie de sensualité et de romantisme, une musique qui transpire la vie et les sentiments.
Avec La Leggierezza, la deuxième des trois études de concert de Liszt, la pianiste se transforme en dentellière, tissant la musique avec dextérité et aisance. Et pour terminer cette première partie, la Rhapsodie hongroise n°2 dans sa version revisitée par Horowitz nous installera définitivement et de façon magistrale dans cette troisième édition du festival de Pâques. Et que dire, ensuite, de la sonate pour violon et piano en la majeur de César Franck. Khatia Buniatishvili et Gidon Kremer se sont déjà souvent retrouvés autour de cette œuvre. Et leur interprétation s’en ressent. Osmose, fusion, sont les mots qui arrivent à l’esprit en premier lieu. Puis viennent la complémentarité, la complexité, la musicalité extrême, le son. Le piano sert le violon, le violon sert le piano : du grand art et beaucoup de sensibilité. Délicatesse et élégance étaient aussi au rendez-vous des «bis» avec la pièce romantique n°4 op 75 de Dvorak et le Liebeslied de Kreisler. L’occasion pour le maître Kremer de faire sonner son instrument de façon lumineuse et aérienne. Oui, ça y est, le Festival est vraiment lancé !
Michel EGEA