Publié le 29 mai 2014 à 19h32 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 17h51
Lors d’une interview accordée à la chaîne américaine Bloomberg, la semaine dernière, le Premier ministre israélien, Netanyahu, considérant d’une part, que le status quo n’est pas souhaitable, qu’il n’est pas dans l’intérêt d’Israël car il pourrait conduire à terme -compte tenu des évolutions démographiques juive et arabe- à un État binational, ce que la grande majorité des Israéliens refuse catégoriquement; considérant d’autre part, que le Président palestinien Abbas aurait, selon lui, présenté des demandes maximalistes, lors des dernières négociations, refusant toute solution de compromis, a avancé l’idée qu’Israël pourrait prendre l’initiative unilatérale d’un désengagement de la plus grande partie de la Cisjordanie. Le ministre de l’Économie de son côté, Naftali Bennet, déclare approuver son Premier ministre si celui-ci prenait cette décision. Dans son esprit, celle-ci pourrait permettre à Israël d’annexer la zone C, soit 61% de la Cisjordanie.
L’idée d’un désengagement unilatéral n’est pas nouvelle. Plusieurs hauts responsables israéliens estiment qu’Israël doit sérieusement l’envisager. En avril 2013, un groupe de travail dirigé par Gilead Sher, conseiller de Ehud Barak, alors Premier ministre, et responsable des négociations avec les Palestiniens de 1999 à 2001, avait considéré qu’un accord négocié avec les Palestiniens était la meilleure solution mais qu’en l’absence d’un tel accord, il conviendrait, «avec le soutien de la communauté internationale», de définir de manière unilatérale le tracé des frontières. C’est également la position de Amos Yadlin, l’ex-responsable des services de renseignements de l’armée israélienne, qui a, à plusieurs reprises, évoqué l’idée selon laquelle, faute d’accord avec les Palestiniens, les Israéliens devraient adopter un plan B, qui consisterait essentiellement à évacuer, de manière unilatérale, la majeure partie de la Cisjordanie. Pour Yadlin, faute d’accord définitif, il conviendrait de substituer à la place d’une «solution de deux États », la «réalité de deux États».
Dans son esprit cette solution intérimaire devrait être suivie, à terme, par la recherche d’une solution définitive au conflit.
Dans cette hypothèse, l’attitude des pays occidentaux est importante, en particulier celle des pays européens. Israël a tout intérêt à présenter cette solution comme une mesure en faveur d’une solution de deux États.
L’attitude des pays européens
En décembre 2003 Ariel Sharon, alors premier ministre avait avancé l’idée d’un désengagement unilatéral de la Bande de Gaza, qui fut concrètement effectué en 2005. Face à cette décision unilatérale de Sharon, obtenue malgré l’opposition d’une partie du Likoud, l’attitude des pays européens s’est modifiée au cours du temps. Elle est passée successivement du doute au soutien, du soutien à la déception.(1)
Le doute
En mars 2004, le Conseil européen a soutenu du bout des lèvres la décision de Sharon, estimant que le désengagement devrait respecter 5 conditions :
-1. S’effectuer dans le cadre de la Feuille de Route
-2. Être une étape vers une solution de deux États
-3. Ne pas transférer les implantations en Cisjordanie
-4. Le désengagement devra être coordonné avec l’Autorité Palestinienne
-5. Israël devra participer à la réhabilitation et à la reconstruction de la Bande de Gaza.
Ces conditions ne pouvaient être acceptées telles quelles par les Israéliens. Aussi, à l’exception notable de Toni Blair, alors Premier ministre britannique, les pays européens se sont déclarés en défaveur d’une telle initiative unilatérale.
Le soutien
En août 2005, Israël quitte la Bande de Gaza et ce geste est salué par la communauté internationale. Jacques Chirac, recevant Ariel Sharon à Paris, a qualifié le désengagement de geste courageux, d’autant plus que, dans le même temps les Israéliens évacuaient quelques implantations en Cisjordanie, ce qui pouvait être alors interprété comme la volonté du gouvernement israélien de poursuivre cette politique de désengagement. Les images télévisées des militaires israéliens non armés obligeant les colons à quitter la Bande de Gaza avec fermeté mais aussi avec compassion avaient émues l’opinion internationale. En novembre de la même année fut signé l’accord « Mouvement and Access » entre Israël et l’Autorité palestinienne. Cet accord facilitait les échanges des biens et des personnes, en particulier entre l’Égypte et Gaza, sous le contrôle des Européens.
La déception
La prise du pouvoir par le Hamas de la Bande de Gaza donnait raison à ceux qui avaient critiqué les Israéliens de n’avoir pas coordonné avec l’Autorité palestinienne le désengagement. La décision du désengagement fut unilatérale, il ne fallait pas que la mise en œuvre le fut également. La situation actuelle n’est pas comparable à celle de 2005, pourtant la tentation de l’unilatéralisme retrouve de l’intérêt en Israël. Le pays sera alors confronté à deux types de problèmes liés à la sécurité et à la réaction de la communauté internationale. En premier, sur le plan sécuritaire, les Israéliens craignent la répétition du scénario qui a suivi le désengagement de la Bande de Gaza et qui s’est traduit par le lancement incessant de rockets par le Hamas ou le Jihad.
Le désengagement de la majeure partie de la Cisjordanie risquerait de mettre en danger les centres vitaux du pays. En second, la réaction de la communauté internationale est d’ores et déjà négative. Les Américains se sont déclarés fortement opposés à toute initiative unilatérale aussi bien en provenance des Israéliens que des Palestiniens. Le Département d’État considère en effet qu’aucune des deux parties ne doit adopter des décisions unilatérales, qui auraient pour effet de miner la confiance, estimant souhaitable une reprise des négociations.
Pour ces deux raisons il est dans l’intérêt d’Israël d’obtenir l’aval et le soutien des Palestiniens ainsi que des pays occidentaux. En d’autres termes la solution la plus raisonnable est de reprendre les négociations, et ce dans l’hypothèse d’un changement d’attitude du Hamas. L’entrée dans un gouvernement d’union devrait les inciter à accepter les trois conditions du Quartet : arrêt définitif du recours à la violence, reconnaissance d’Israël, reconnaissance des traités passés par l’OLP.
(1)Toby Greene, “Can Disengagement Secure Legitimacy ? The European Angle”, Strategic Assessment, vol 16, n°4, janvier 2014
*Le groupe d’Aix, présidé par Gilbert Benhayoun comprend des économistes palestiniens, israéliens et internationaux, des universitaires, des experts et des politiques. Son premier document, en 2004, proposait une feuille de route économique, depuis de nombreux documents ont été réalisés, sur toutes les grandes questions, notamment le statut de Jérusalem ou le dossier des réfugiés, chaque fois des réponses sont apportées.