Publié le 27 avril 2014 à 12h42 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 17h49
Accord solide ou éphémère ? L’accord signé entre le Fatah et le Hamas prévoit que, dans les prochains six mois, des élections présidentielles et législatives seront organisées. Cette hypothèse est valable à condition cependant que les deux se mettent d’accord sur un certain nombre de points de friction, au nombre de cinq, et dont l’importance pour les deux parties a, jusqu’à présent, empêché les accords préalablement signés, de concrètement être mis en œuvre.
En premier, le Hamas se dit prêt à intégrer l’OLP, ce qu’il avait jusqu’à présent refusé de faire, aussi la question se pose dans cette hypothèse de savoir quel sera son poids relatif dans les instances de décision. Le parti de Mahmoud Abbas, le Fatah, détient actuellement la majorité des sièges de l’OLP, aussi un accord avec le Hamas l’obligera à perdre une partie de son influence. Ce parti souhaitera sans doute ne pas perdre le contrôle de cet organe et conserver la majorité.
Deuxièmement, les deux partis devront se mettre d’accord sur les modalités des élections législatives. Le diable étant dans les détails, le choix du mode de scrutin peut influencer le résultat final des élections. Par exemple, Gaza et Cisjordanie formeront ils ou non une seule circonscription. Le choix ne sera sans doute pas neutre sur l’issue du scrutin. [[ 1 L’Autorité palestinienne avait adopté le mode de scrutin à la proportionnelle sur les listes nationales pour endiguer une victoire du Hamas, redoutée dans le cadre d’un mode de scrutin à la majorité simple. Ce choix n’avait pas empêché le Hamas d’obtenir 56% des suffrages, ce qui lui a donné une majorité de 74 sièges sur 132, alors que le Fatah n’en avait obtenu que 45.]] Troisièmement, l’accord devra prévoir l’échange de prisonniers. Le Hamas a d’ores et déjà, procédé à la libération de cadres du Fatah. Il sera intéressant de savoir le l’Autorité palestinienne en Cisjordanie fera de même, et quelle sera alors la réaction des Israéliens. Quatrièmement, les deux parties devront se mettre d’accord sur, probablement la question la plus sensible, la poursuite des relations sécuritaires entre Israéliens et l’AP en Cisjordanie. Dans l’hypothèse où un accord est trouvé, le Hamas devra probablement accepter la fusion des forces de sécurité, ce qui supposera la disparition des Brigades Ezzedine-al-Qassam (Adhésion à la religion), et leur intégration dans les forces de sécurité sous la direction unique de l’Autorité palestinienne.
Enfin, et cinquièmement, le Hamas devra accepter les trois conditions émises par le Quartet (États-Unis, Union européenne, Nations-unies et Fédération de Russie) depuis la prise du pouvoir du Hamas à Gaza, en 2006, à savoir, la reconnaissance d’Israël, la reconnaissance des traités signés antérieurement par l’OLP et enfin le renoncement à la violence.
Le Hamas n’acceptera probablement pas la première des conditions qui est de reconnaître de jure Israël. Pour ce mouvement, Israël est «un fait accompli», sa reconnaissance formelle reviendrait, pour lui, à nier sa propre raison d’être. Cependant, en intégrant l’OLP, le Hamas reconnaît, par voie de conséquence, les accords passés de celui-ci avec Israël.
Menace ou opportunité pour Israël ? Il est légitime de se demander si l’accord qui vient d’être signé entre le Hamas et le Fatah, dont beaucoup, particulièrement en Israël, pensent, comme les fois précédentes, qu’il ne sera pas suivi d’effet, constitue une menace ou une opportunité pour le processus de paix. La réaction, à chaud, des israéliens est furieuse. C’est la seconde fois en quelques semaines que les Israéliens, pourtant généralement bien renseignés, sont pris de court par Abbas. La première fois, c’est lorsque le Président de l’AP a décidé de poser la candidature de la Palestine à quinze organisations internationales. La seconde concerne cette annonce d’une réconciliation, éventuellement définitive, entre le Hamas et le Fatah. Les américains ont été également pris de court. Kerry l’a appris alors qu’il avait invité au Département d’État des hommes d’affaires palestiniens afin de discuter du développement économique futur de la Palestine. La tenue de cette réunion, qui a tout de même eu lieu, perdait du coup de son importance, voire de sa signification.
La réaction première des israéliens a été assez violente. Pour Liberman, ministre des affaires étrangères, la décision de l’AP met fin à la poursuite des négociations. Pour le Premier ministre israélien, Abbas doit choisir entre soit la réconciliation avec le Hamas soit les négociations avec Israël, car le Hamas ne reconnaît pas Israël, n’a pas renoncé à la violence et ne cache pas son souhait de voir « l’entité sioniste » disparaître. La réaction négative des Israéliens irrite Barak David, journaliste au Haaretz, journal considéré de gauche en Israël. Selon lui, il s’agit d’une réaction pavlovienne face aux bouleversements qui affectent la région. Comme pour le départ de Moubarak en Égypte, la victoire de Rouhani en Iran, ou l’accord de Genève sur le programme nucléaire, la réponse des Israéliens a toujours été négative.
Toute modification du status quo est perçue comme une menace plus que comme une opportunité. L’application stricte du principe de précaution incite les officiels Israéliens, forts de leur expérience passée, à considérer systématiquement que le verre est à moitié vide. Barak David porte à cet égard un jugement sévère. Il considère que Netanyahu fait preuve d’hypocrisie car à plusieurs reprises il a signé des accords avec le Hamas, soit lors de la libération de Gilad Shalit, soit pour confirmer le cessez-le-feu. On peut cependant rétorquer à David qu’il ne s’agissait, dans les deux cas, que d’accords portant sur des points spécifiques et non d’un accord général comme celui qui consisterait à accepter la réconciliation Hamas-Fatah.
Pourtant en définitive, la réaction officielle des Israéliens, adoptée après de longues discussions du Cabinet restreint est plutôt modérée, dans le sens où elle ne ferme pas définitivement la porte à la reprise éventuelle des négociations. C’est l’avis de Tsipi Livni, plus mesuré, qui l’a emporté contre celui de Nafatali Bennett.
L’accord entre le Fatah et le Hamas peut être considérée comme une opportunité. Il n’est pas exclu de considérer que le Hamas, affaibli par la chute des Frères musulmans en Égypte, l’attitude plus qu’agressive à leur égard de l’homme fort actuellement en Égypte, Sissi, par sa prise de position contre Assad en Syrie, ce qui lui a valu la méfiance de l’Iran, allié jusqu’alors indéfectible, se soit trouvé dans l’obligation de réévaluer sa position dans un sens plus réaliste, et donc plus enclin à la modération. Il faut ajouter que l’élimination physique de plusieurs de leurs leaders par les Israéliens a dû favoriser cette tendance. Enfin, la responsabilité d’avoir, à partir de 2006, à prendre en charge les besoins essentiels de la population de Gaza, les a obligé de passer d’une éthique de conviction à une éthique de responsabilité.[[ Max Weber, « Le savant et le politique », Plon, 10/18, Paris 1995. Pour Weber, « il y a une opposition abyssale entre l’attitude de celui qui agit selon les maximes de l’éthique de conviction – dans un langage religieux nous dirions : « Le chrétien fait son devoir et en ce qui concerne le résultat de l’action il s’en remet à Dieu » -, et l’attitude de celui qui agit selon l’éthique de responsabilité qui dit : « Nous devons répondre des conséquences prévisibles de nos actes. »]]
La situation économique catastrophique de la Bande de Gaza, la difficulté d’assurer les salaires des fonctionnaires et des services de sécurité, lui font perdre une grande partie de son soutien par la population, ce qui pourrait se traduire dans les urnes lors des prochaines élections par une défaite de leurs candidats. L’accord, s’il est suivi d’effet, renforcera la popularité de Mahmoud Abbas. Un sondage effectué par le Palestinian Center for Policy and Survey donne Abbas gagnant (53%) contre Haniyeh (41%) à l’occasion d’élection présidentielle. Et, si des élections législatives étaient organisées, le Fatah obtiendrait 43% des voix, et le Hamas seulement 28%. [[Sondage effectué entre le 20 et le 22 mars 2014 auprès de 1200 adultes. ]]
On peut valablement faire l’hypothèse que le futur Président de l’Autorité palestinienne issu des élections, si comme prévu, celles-ci étaient organisées dans les six mois qui viennent, verra sa légitimité renforcée, ce qui, pour les Israéliens, sera une garantie du sérieux des négociations, et de la crédibilité de l’engagement formel à ne pas formuler après-coup de nouvelles revendications.
De plus, le retour éventuel de l’AP à Gaza obligera Israël à reconsidérer sa politique de blocus, négativement considérée par la communauté internationale. La poursuite du blocus hermétique préjudiciable à la population serait contre-productive, car elle risque de profiter aux organisations extrémistes. Israël devra l’alléger sans pour autant sacrifier ses nécessités sécuritaires.
*Le groupe d’Aix, présidé par Gilbert Benhayoun comprend des économistes palestiniens, israéliens et internationaux, des universitaires, des experts et des politiques. Son premier document, en 2004, proposait une feuille de route économique, depuis de nombreux documents ont été réalisés, sur toutes les grandes questions, notamment le statut de Jérusalem ou le dossier des réfugiés, chaque fois des réponses sont apportées.