La chronique littéraire de Christine Letellier : les Prix de la rentrée 2014

Publié le 6 novembre 2014 à  19h08 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  13h44

Surprise chez Drouant : le prix Goncourt attribué à Lydie Salvayre

Le Goncourt a été attribué à Lydie SalvayreLydie Salvayre pour son Roman Pas pleurer » (Seuil) (Photo Hermance Triay) » title= »Le Goncourt a été attribué à Lydie SalvayreLydie Salvayre pour son Roman « Pas pleurer » (Seuil) (Photo Hermance Triay) » class= »caption » align= »center » />
Ils étaient quatre en lice pour le plus prestigieux des prix littéraires français, c’est finalement Lydie Salvayre pour son Roman « Pas pleurer » (Seuil), un roman sur la guerre d’Espagne qui a reçu le prix Goncourt, devançant ainsi David Foenkinos pour « Charlotte » (Gallimard), Kamel Daoud pour « Meursault contre-enquête » (Actes Sud) et Pauline Dreyfus pour son livre «Ce sont des choses qui arrivent» (Grasset).
C’est au 5e tour de table que « Pas pleurer » (Seuil) l’a finalement emporté avec 5 voix contre 4 au roman de Kamel Daoud qui n’est pas passé loin d’être le premier Algérien à conquérir ce sacre littéraire.

L’insurrection libertaire de 1936 en Espagne

Sur fond de guerre d’Espagne le livre de Lydie Salvayre «Pas pleurer», repose sur un dialogue à distance de deux témoignages. Le premier, c’est le cri indigné de Bernanos, magnifique coup de gueule contre les exactions franquistes, le silence coupable de l’église catholique et des veules démocraties, livre publié en 1938.
Le second, c’est celui d’une femme âgée, témoin dans sa jeunesse de ce moment tragique, qui parle soixante-dix ans plus tard à sa fille, qui n’est autre que l’auteure du livre. Lydie Salvayre est née, en effet, en 1948 de parents républicains espagnols, père andalou et mère catalane. Ils se sont réfugiés dans le sud de la France, puis ont vécu près de Toulouse, pour fuir le franquisme.
La jeunesse contre la mort, l’utopie contre la barbarie, c’est cela « Pas pleurer », où deux voix s’entrelacent pour dire le naufrage de la République espagnole et les années noires.
«Je suis très heureuse, je suis très émue», a déclaré, les larmes aux yeux, Lydie Salvayre, trop impressionnée semble-t-il pour en dire davantage avant de se faufiler dans la cohue des journalistes rassemblés chez Drouant, le célèbre restaurant parisien dans le centre de Paris où se déroule, traditionnellement depuis 1903, la remise de ce prix.

Un parcours atypique

Lydie Salvayre a fait des études de lettres, puis de médecine, a exercé comme psychiatre avant de publier en 1990 son premier roman « La Déclaration« . Quatre autres livres ont suivi dont « La Compagnie des Spectres » en 1997 prix Novembre (devenu depuis le Prix Décembre). En 2013, elle a publié « Sept femmes« . L’ensemble de son œuvre est traduit dans une vingtaine de langues.
C’était le premier Goncourt de la présidence de Bernard Pivot, 79 ans, membre depuis 2004 qui a succédé en janvier à Edmonde Charles-Roux, 94 ans. Les autres membres du jury étant Didier Decoin, l’aixoise Paule Constant, Patrick Rambaud, Tahar Ben Jelloun, Régis Debray, Françoise Chandernagor, Philippe Claudel et Pierre Assouline.

Le Prix Renaudot pour David Foenkinos

David Foenkinos a reçu le Prix Renaudot pour son livre
David Foenkinos a reçu le Prix Renaudot pour son livre

Quant à David Foenkinos, en lice également pour le Renaudot, s’est vu couronné par ce Prix pour son livre « Charlotte« , brillant hommage, plein de sensibilité et de justesse à une artiste peintre d’une étonnante modernité, Charlotte Salomon de famille juive allemande, née en avril 1917 à Berlin, déportée à Auschwitz en 1943 alors qu’elle s’était réfugiée près de Nice. Elle y est morte gazée et enceinte, à l’âge de 26 ans. Pour évoquer ce destin brisé d’un ange, il a choisi une forme très particulière de narration, un long poème en vers libres, où chaque mot semble avoir été délicatement choisi, assemblé à d’autres comme on coud une dentelle, pour suggérer l’atrocité, sans tomber dans le pathos. Un livre sublime, tout en respirations.
Sorti fin août chez Gallimard, « Charlotte » de Foenkinos a déjà été écoulé à 180 000 exemplaires, une réimpression de 100 000 exemplaires vient d’être annoncée par l’éditeur.
A 40 ans, avec sa petite barbiche bien noire et son air d’éternel jeune-homme, l’auteur de la « Délicatesse » prouve avec « Charlotte » son immense talent.
Avant le Goncourt et le Renaudot décerné mercredi 5 novembre respectivement à Lydie Salvayre et David Foenkinos, trois prix littéraires ont été attribués à des auteurs dont la plupart ont déjà été chroniqués dans cette rubrique ou sélectionnés comme faisant partie des livres à retenir dans cette rentrée 2014.

Le Grand Prix du roman de l’Académie Française à l’Avignonnais Adrien Bosc

Adrien Bosc a reçu le Grand Prix du roman de l'Académie Française pour
Adrien Bosc a reçu le Grand Prix du roman de l’Académie Française pour

Adrien Bosc, qui par ailleurs a créé sa propre maison d’édition à Paris, a reçu Le Grand prix du roman de l’Académie Française pour son livre « Constellation » (Stock), roman-enquête sur les circonstances du crash de l’avion à bord duquel voyageaient le champion de boxe Marcel Cerdan et 47 autres passagers. Mais c’est aussi un livre qui prend des libertés en interrogeant la fatalité, les caprices du destin et c’est ce qui en fait la force et l’originalité.

Yanick Lahens , haïtienne , lauréate du Femina

Yanick Lahens lauréate du Femina pour son livre
Yanick Lahens lauréate du Femina pour son livre

Les femmes du Femina ont elles, choisi comme lauréate l’auteure haïtienne Yanick Lahens pour son livre « Bain de lune ». Une formidable saga qui donne voix aux oubliés de son pays, la masse silencieuse des paysans avec lesquels s’écrit pourtant l’histoire.
L’ample roman familial que déploie ici Yannick Lahens s’articule autour du personnage et de la voix d’une jeune fille qu’un pêcheur découvre, après trois jours de tempête, échouée sur la grève, une jeune fille qui semble avoir réchappé à une grande violence. Mais y a-t-elle vraiment réchappé ?
« Ce livre est un long cheminement vers les terres intérieures, les miennes aussi, je voulais, souligne-t-elle, raconter la vie d’une communauté paysanne sur quatre générations, montrer comment notre monde haïtien est structuré, par le religieux, par la communauté familiale, j’ai interrogé des anthropologues, des historiens, des vodouisants, oui, ce livre auquel je pensais depuis quelques années s’est imposé à moi après avoir terminé « Guillaume et Nathalie » publié en 2013 après « Failles » écrit dans l’urgence après le tremblement de terre.»
Très investie dans le développement social et culturel de son pays, Yannick Lahens brosse toujours sans complaisance le tableau de la réalité caribéenne. « Bain de lune« , roman éblouissant et d’une grande violence à la fois, dévoile sans concession un pays qui a été détruit, qui reste otage de l’opportunisme financier et politique et néanmoins une terre magique, désespérément attachante.
Yanick Lahens a publié son premier roman, « Dans la maison du père« , en 2000. « Bain de lune« , est son quatrième livre publié chez l’éditrice Sabine Wespieser. «Je suis bien sûr heureuse de recevoir ce prix, a-t-elle déclaré, mais surtout sensible au choix du jury qui a reconnu dans cette histoire se déroulant en Haïti, une histoire universelle. C’est quelque chose qui me tenait vraiment à cœur.»
Yannick Lahens a été choisie au deuxième tour par six voix contre quatre à Marie-Hélène Lafon pour son livre « Joseph » (Buchet/Chastel).

Paul Veyne, un homme de la lumière et du midi

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Le jury du Femina a décerné son prix « Essais » à l’étonnant Paul Veyne pour son livre «Et dans l’éternité, je ne m’ennuierai pas: souvenirs » (Albin Michel).
Professeur honoraire au Collège de France, Paul Veyne est considéré comme l’un des plus grands historiens français de l’Antiquité romaine. Ses nombreuses publications sur la sociologie romaine ou les mythes grecs, portées par une plume enlevée et joyeuse, font qu’il est très apprécié du grand public.
A 89 ans, Paul Veyne, et son imposante stature de savoirs, pétillant d’intelligence, s’amuse volontiers de lui-même. Pour évoquer cet ouvrage nourri de souvenirs, il explique que «ce livre n’a aucune ambition littéraire, c’est un document social et humain à l’usage des curieux; tout ce que je raconte est exact; par exemple, que je me suis marié trois fois, comme Cicéron, César et Ovide, que j’ai été membre du Parti communiste dans ma jeunesse et que j’ai écrit des livres sur des sujets divers». Voici brossé le personnage qui termine en précisant : «J’ai pour patrimoine un trois-pièces, une petite automobile et beaucoup de livres, qui tapissent tous les murs. Je vis depuis longtemps dans un village de Provence, au pied du mont Ventoux ».
On dit souvent que les passions de l’enfance nous accompagnent durant toute notre vie. C’est vrai, avec quelques bémols cependant : il y a moins de pompiers que d’enfants qui adorent faire Pin-Pon ! Mais bon…Paul Veyne est lui resté fidèle à ses premiers émois survenus lors de la découverte d’une amphore romaine à l’âge de 8 ans dans son Vaucluse natal. Ainsi est né un grand bonheur, celui de consacrer sa vie à ce qui l’a toujours intéressé.

Le Prix Femina Étranger attribué à l’Israélienne Zeruya Shalev

Le Prix Femina Étranger a été attribué à l'Israélienne Zeruya Shalev pour son livre
Le Prix Femina Étranger a été attribué à l’Israélienne Zeruya Shalev pour son livre

Déjà sélectionnée en 2002 par le jury du Fémina pour son livre «Mari et Femme», Zeruya Shalev a dû attendre douze ans avant de se voir récompensée avec son dernier ouvrage «Ce qui reste de nos vies» par le prix Femina Étranger qui fait d’elle la première femme israélienne à recevoir cette distinction.
Ce dernier roman est certainement le plus envoûtant et le plus abouti d’une lignée commencée avec «La vie amoureuse» publié déjà par Gallimard en 2000. Cette auteure qui navigue avec bonheur dans les méandres des relations touffues autour desquelles se construit ou se déchire la famille : ces mille et un bonheurs et désillusions, la colère, la joie, le ressentiment, la frustration, la sensation de ne pas assez aimer ou de ne pas aimer équitablement ses enfants, la crainte de ne pas savoir dire ou de n’en dire pas assez…. Au cœur de cette narration, portée par une écriture puissante et régulière comme un métronome, un frère et une sœur, Avner et Dina, sont au chevet de leur mère très malade. Regrets, règlements de compte, fol espoir mais aussi lucidité face à une fin annoncée.
Née en 1950 dans un kibboutz en Galilée, Zeruya Shalev a fait des études bibliques. Depuis «Vie amoureuse», ses livres sont des best-sellers en Israël où elle vit et travaille à Jérusalem. Mariée, elle est mère de trois enfants.

Le Prix Médicis à Antoine Volodine

Antoine Volodine a reçu le prix Médicis pour son ouvrage «Terminus radieux» (Seuil - Collection Fiction et Cie) (Photo C. Hermance)
Antoine Volodine a reçu le prix Médicis pour son ouvrage «Terminus radieux» (Seuil – Collection Fiction et Cie) (Photo C. Hermance)

Imaginez une région qui se nomme Terminus desservie par un train qui va et vient et ne s’arrête jamais. Il y a des siècles, on l’appelait la Sibérie. Plusieurs irradiations, à la suite d’accidents nucléaires, l’ont rendue inhabitable, seuls y vivent encore, dans un décor d’un autre monde, de noirs corbeaux, des morts-vivants qui aimeraient bien être l’un ou l’autre, des soldats fantômes et d’hallucinantes princesses, tous poursuivent obstinément le rêve soviétique tandis que le président du village, un certain Solovieï met ses pouvoirs surnaturels au service de son rêve de toute-puissance… Autour de ce « no man’s land » des paysages féeriques, une Taïga immense et sombre, des steppes infinies… Cramponnez-vous, c’est du Volodine puissance 10 !
Antoine Volodine, qui a reçu le prix Médicis pour cet ouvrage «Terminus radieux» (Seuil – Collection Fiction et Cie) l’a même emporté haut la main, au premier tour par huit voix contre une à Laurent Mauvigner, laissant loin derrière lui l’autre favori, Éric Reinhardt. Comme ses deux «adversaires» Volodine figurait dès son arrivée en librairie, parmi les potentiels lauréats à l’un des Prix littéraires de la rentrée.
Né en 1949, il a publié une quinzaine de romans qui fondent ce que l’on appelle le « post-exotisme », sorte d’univers littéraire parallèle où onirisme, politique et cette forme particulière d’humour appelée aussi l’humour du désastre, sont à la base de toute fiction. Oui, « ça dézingue grave« , comme dit mon petit cousin, mais quel souffle, un vrai bombardement de becquerels !
Il est bien entendu inutile d’y chercher un message politique, seule compte avec Volodine l’efficacité de la machinerie qu’il a construite et qu’il pilote dans un décor totalement imaginaire. « Des anges mineurs » (livre publié en 1999) lui a valu le prix Wepler et le prix du Livre Inter 2000.

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