Publié le 25 novembre 2014 à 18h22 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 18h29
Le salon du livre-enfant-jeunesse de Montreuil est avec la Foire « per ragazzi » de Bologne (Italie) l’une des plus importantes manifestations de ce type en Europe. Il fête cette année ses 30 ans, les « trente glorieuses » d’une édition consacrée au monde de l’enfance et de l’adolescence qui a vu exploser une mine de talents dont de remarquables illustrateurs.
Chaque année, des auteurs y sont récompensés et c’est sans surprise que les « Pépites » attribuées vont à des albums inventifs, souvent audacieux mais toujours artistiquement conçus. Le conte, la BD, mais aussi des sujets plus arides comme l’architecture expliquée aux enfants se conjuguent aussi en livres d’art.
C’est Didier Cornille qui remporte la palme de cette catégorie cette année pour son livre «Tous les ponts sont dans la nature», ponts d’acier ou de béton dont il décortique la conception pour ouvrir ce monde de la technologie et de la beauté du geste architectural à l’esprit curieux de l’enfant.
Pour ce professeur de design aux Beaux-Arts du Mans «l’architecture est un terrain joyeux de découvertes pour les enfants». Il explique: «Il me semble important d’aiguiser leur curiosité, de développer leur exigence de qualité dès lors que nous vivons dans un monde d’architecture»
Son tout dernier ouvrage sorti cet automne est consacré au sublime «Vaisseau de verre de Franck Gehry» posé à la lisière du Jardin d’Acclimatation, dans le bois de Boulogne. Inauguré à l’automne 2014, il est le siège de la Fondation Louis Vuitton. Lorsqu’on le visite, on est littéralement bluffé par l’audace et l’ingéniosité des structures qui le composent. Le spectacle, le génie sont ici dans la conception même de ce Vaisseau avec ses toits transparents semblables à d’immenses voilures gonflées par le vent. Pour en communiquer la beauté aux enfants, Didier Cornille a imaginé un album animé appelé aussi «livre en pop-up» (anglicisme très courant) qui fait appel à des mécanismes pour mettre en volume ou en mouvement certains de ses éléments. Dans cet album, c’est tout le vaisseau de Frank Gerhy qui est représenté en pop-up assurant une vision en 3D de la maquette numérisée. On y découvre également au travers de planches dessinées les différentes étapes de sa création ainsi que d’autres réalisations de cet architecte américano-canadien âgé de 85 ans et néanmoins toujours très innovant !
Franck Gerry est entre autres le «géniteur» du somptueux Musée Guggenheim de Bilbao, de l’étonnante tour inclinée comme un pas de danse dédiée à «Ginger et Fred» dans la ville de Prague et de bien d’autres réalisations.
Les trois livres de Didier Cornille sur l’architecture racontée aux enfants sont édités par la maison d’édition Helium/ Actes Sud. Et en partenariat avec la Fondation Louis Vuitton pour ce dernier. Prix de cet album : 19,95€.
Le monde comme il va
Des manifestations comme ces deux grands salons du livre-jeunesse permettent de constater combien la littérature destinée aux enfants et aux adolescents s’est débridée ces 15 dernières années, a su évoluer, se renouveler en profondeur pour devenir un langage quasiment universel. La mondialisation n’est pas étrangère à ce phénomène. Le multi-culturel, la diversité des modes de vie, des traditions ont ouvert de nouveaux horizons à l’imaginaire, à la réflexion, à l’explication d’un monde qui galope souvent trop vite pour les petites jambes d’un enfant.
Et si l’on raconte toujours des histoires douces-douces comme des Doudous aux tout-petits – la moindre des choses lorsqu’ils sont encore dans leur berceau ! – très vite les voilà surfant dans le tourbillon de la vie. Apprendre, comprendre, découvrir, dès l’âge de 18 mois, le rayon Eveil les plonge dans l’univers des grands.
Mais le grand virage se situe surtout dans la tranche des 8-10 ans, puis naturellement chez l’adolescent. Sans être une tendance forte, de nouvelles thématiques s’y installent. Y sont abordés désormais tous les sujets considérés il y a quelques années encore comme « trop délicats » comme le divorce, la mort des parents, les familles (bien ou mal) recomposées, l’adoption, le harcèlement, les sans-papiers ou plus récemment le mariage pour tous.
Nous reviendrons, dans une prochaine chronique, en compagnie d’une pédopsychiatre sur «les mots pour le dire», pour évoquer aussi les conséquences heureuses ou malheureuses que peut avoir ce type d’ouvrage mis, sans accompagnement, dans les mains d’un enfant.
A l’écoute du monde comme il va, les livres enfants-jeunesse abordent ainsi tous les genres, la mondialisation des héros décuplant la force de frappe d’une édition dont le volume financier est passé de 200 millions d’euros il y a douze ans à un chiffre d’affaires de l’ordre de 350 millions d’euros en 2012. Les indécrottables pessimistes peuvent hurler au loup, le livre pour enfants n’en est pas moins passé du 5e au 2e rang de l’édition française.
Au bonheur des plus petits…
C’est finalement la tranche de 2 à 6 ans qui semble la plus fidèle aux lectures disons «traditionnelles». Les contes, les fables, les princesses, les fées, les gentils et les méchants font de la résistance face à un univers tout fou qui bouscule les codes. A ceci près que ce n’est plus l’enfant qui cajole l’animal, c’est l’animal travesti en humain qui initie le tout petit aux choses de la vie ! L’âne Trotro peut se targuer d’apprendre à Bébé plus de mots que ses propres parents, idem pour maman Ours, reine de la politesse, tandis que la famille Zèbre, toujours tirée à quatre épingles inculque le respect et la bienséance ! Heureusement, dans ce monde policé, il y a aussi des ours qui puent des pieds, des loups affamés, des monstres gluants et d’horribles lutins !
Preuve que l’on a encore le droit d’être un petit enfant, d’avoir ses premiers frissons à l’heure où l’interactivité, l’apprendre en s’amusant qui commence dès la première poussette voudraient grignoter toujours plus de parts du marché.
De grâce, laissons-les rêver encore un peu ces tout-petits, s’évader, fertiliser leur imaginaire par l’illustration, le graphisme, le jeu des couleurs qui ont pris une place très importante dans les albums destinés au moins de 5 ans. Tant mieux. Voilà qui va les enchanter.
Dans ce domaine, des maisons d’édition comme Hélium, Albin Michel, Actes Sud et Grund offrent chaque année quelques perles rares. Après la merveilleuse «Bouilloire» de l’an dernier, Hélium vient en effet de sortir «Poupoupidours» les aventures rocambolesques d’un petit ours brun magnifiquement illustrées et racontées par Benjamin Chaud (dès 3 ans) et chez Albin Michel, deux autres pépites à découvrir, «L’abracadabrant alphabet» de Michel Leb, illustré par Lucille Placin et le désopilant «Monsieur ours qui pue des pieds».
Au rayon BD, c’est «Pelote dans la fumée» qui l’emporte parmi les sélectionnés de Montreuil. Éditée par Actes Sud, cette bande dessinée raconte la vie de trois garçons: Pelote, Bourdoin et Capot le Borgne, trois pensionnaires d’un orphelinat imaginaire hors-d’âge abritant des enfants qui ont tatoué sur le corps tout le passé des Balkans. Un monde entre Ettore Scola et Fellini, une fable en miniature de l’enfance féroce brossée par Miroslav Sekulic-Struja. Le coup de crayon est incisif, chaque détail d’un dessin participe à la construction du récit. En 2010, Miroslav Sekulic-Struja a été lauréat du festival d’Angoulême pour «L’homme qui acheta un sourire».
Autre distinction de Montreuil un livre pour les juniors édité par Actes Sud: «La Mode sur toutes les coutures» pour découvrir les coulisses d’un monde qui fascine les ados mais qui ouvre aussi la porte à des nombreux métiers. Un livre intelligent, très actuel, bien documenté qui ne néglige pas pour autant un regard sur le passé, début du siècle dernier, lorsque garçons et filles portaient encore la robe et des frisettes jusqu’à l’âge de 8 ans ! Il est signé Florence Pinaud.
Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil : du mercredi 26 novembre au lundi 1er décembre. Espace Paris-Est-Montreuil, 128, rue de Paris – 93100 Montreuil
