Publié le 19 décembre 2014 à 21h06 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 18h31
«Je suis un stéréotype vivant. Éduqué, élevé et diplômé en France, je l’ai quittée pour vendre mon âme à la Finance et m’installer dans sa capitale incontestée, Londres», ainsi se présente Josselin de Roquemaurel, dans ses chroniques d’un Français de Londres regroupées sous le titre «La Reine, la City et les Grenouilles» paru chez Albin Michel.
Ce livre consacré par l’auteur à la sixième économie européenne porte un regard à la fois drôle et critique sur ces milliers de Français cravatés, sélectionnés par des chasseurs de tête qui ont franchi la Manche pour y décrocher le jack-pot.
Ancien de Normale Sup, familier de la City, il est installé depuis plus de dix ans à Londres qu’il dépeint comme une maîtresse trop coûteuse dont on ne saurait se passer.
«L’argent est omniprésent dans les conversations, la cherté de la vie, l’inflation de ses loyers, sont sans cesse évoqués par ses citadins inquiets de ne pas en avoir assez pour continuer à y vivre», constate-t-il.
C’est un livre intéressant parce qu’il plonge le lecteur non accro au CAC 40 dans un monde qui n’est pas uniquement montré du doigt par les Français mais par les Londoniens eux-mêmes.
Le regard que portent les Insulaires sur nos Cow-boys de la Finance n’est pas tendre. Mais que dire alors de leur dédain affiché pour les conquistadors des anciens pays émergents décrits comme les «membres d’une oligarchie internationale qui a aménagé ses quartiers à Londres». Des quartiers entiers à la hauteur de leurs comptes en banque, ces fameux buildings et tours de verre d’une remarquable architecture que les touristes ébahis photographient avec leur petit téléphone portable…
Parmi les cent plus grandes fortunes du Grand Londres, près de quarante-six familles ou individus seraient ainsi d’origine étrangère, rappelle l’auteur, avant de se livrer à une fine analyse de la manière dont nos voisins Britanniques ont toujours su tirer parti et aussi profit de tous les émigrés, pauvres et surtout riches, de ses anciennes colonies.
«Rien ne se perd, tout se recycle», semble un proverbe facile à traduire «in British».
La plupart des anciennes banques d’affaires et maisons de courtage qui ont fait la renommée du pays ont été ainsi revendues à des multinationales dans les années 90, conséquence de la déréglementation financière initiée dix ans plus tôt par Margareth Thatcher. D’autres perles du patrimoine architectural londonien ont été transformées par l’oligarchie internationale en villas fastueuses avec piscine en sous-sol au cœur même de la Ville. L’argent appelant l’argent, restaurants huppés, commerces de luxe, centres de sports cinq étoiles et multiples sociétés de services jouent désormais du coude à coude dans les nouveaux cœurs de vie entièrement remodelés.
Une île dans l’île…
Heureusement, ce livre qui veut un peu tout dire sur les différentes raisons qui ont fait grimper de plus de 40% le nombre de Français installés à Londres depuis dix ans, n’est pas avare d’anecdotes sur cette drôle de relation que la majorité d’entre eux entretient avec les Anglais de souche.
Les idées toutes faites vis-à-vis des mangeurs de grenouilles ne datant pas d’hier, l’auteur n’hésite pas à remonter jusqu’à Guillaume le Conquérant pour étayer ses propos, survolant un passé Franco-Anglais qui a transformé selon les aléas de l’Histoire les ex-envahisseurs en exilés, notamment lors de la Révocation de l’Édit de Nantes ou de la Révolution française. Sur cette terre d’exil, longtemps considérée comme un pays de tolérance, excepté pour les migrants d’Europe de l’Est très contestés ces derniers temps par l’opinion publique anglaise – l’immigration choisie de quelque 200 000 français y serait perçue comme «on le ferait d’une variété de plante certes invasive mais qui ne rompt pas encore l’équilibre de son écosystème national !» C’est ce que Josselin de Roquemaurel nomme une «culture typiquement anglaise de l’hospitalité pragmatique, sachant gérer au mieux ses intérêts.» God save the Queen.
La Reine, la City et les Grenouilles, de Josselin de Roquemaurel, Albin Michel, 165 pages, 14€.
«Se tromper sans cesse pour avoir raison toujours»
Le panoptique, un titre bien choisi pour ce livre de Hans Magnus Enzensberger, recueils d’essais malicieux, décapant et sans pitié pour une société ayant fait du panoptisme une religion. Pour l’auteur, ce qui n’était au départ qu’un concept architectural carcéral permettant aux surveillants de voir sans être vus, dicte aujourd’hui conduite, normes et règles à une multiplicité humaine via des experts au taux de réussite égal à celui d’un générateur de résultats aléatoires.
Le ton est donné : principes de précaution, normes de sécurité, taux de croissance, préventions de tout, partout et toujours, Enzensberger du haut de son donjon mitraille notre monde d’urgences et sa panoplie d’experts en bourdes et certitudes, caricatures de gardiens du temple d’une pensée uniforme et sans saveur.
En 221 pages, 20 problèmes sont passés au crible avec ici et là de jolies perles à épingler comme «la politique est l’art de l’impossible» mais il y en a tant et plus.
Quant à l’étrange comportement de l’homo sapiens qu’il soit préoccupé de «tout ce qui fait tache», de «l’avenir de la culture», des coups tordus des «services secrets» bizarrement appelés en anglais «intelligence services» ou de «la création d’une nation» il est toujours traité d’une plume alerte, éclairée. En vérité, un bon petit livre à déguster chapitre par chapitre. Pour être plus souvent de bonne humeur…