Publié le 12 février 2015 à 20h59 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 18h38
Meurtri à jamais par le mépris absolu dans lequel le tenait son père, Winston Churchill cherchera toute sa vie à l’épater. Et à lui donner tort. C’est ce lien insondable entre un père et un fils, ce combat d’où ni l’un ni l’autre ne sortira vainqueur qui fait toute l’intensité et la saveur de ce livre de Frédéric Ferney consacré au Vieux Lion.
«On ne naît pas Churchill, on ne s’improvise pas chef de guerre, ce qui m’intéressait, souligne l’auteur, Frédéric Ferney, c’était de comprendre par quel cheminement, quelle instigation de l’âme et des choses devient-on soi.»
Comment un enfant plutôt malingre, orphelin du regard de son père, qui se maudit de ne pas être celui que l’on attendait, s’efforce de grandir à rebours des siens, avec tout ce que cela suppose de blessures surmontées mais aussi d’excès, d’outrances à l’âge rebelle.
Après avoir bourlingué un peu partout, avoir été officier, journaliste, écrivain, ministre, peintre aquarelliste où comme en politique il séduira par son audace, Winston, n’aura de cesse jusqu’à la fin de sa vie de dompter ses failles. Celles que lui reprochait son père : un trublion fantasque et indomptable, égocentrique et généreux, aristocrate maniaco-dépressif noyant ses états d’âme dans l’alcool, un funambule que la prise de risques a toujours galvanisé.
Depuis son plus jeune âge, on le voit ainsi évoluer, devenir Winston Churchill, un casse-cou qui a toujours voulu être au cœur de l’action et tenir le rôle principal. Dans les moments décisifs, un homme qui s’acharnera moins à gouverner qu’à vaincre. Vaincre pour avoir enfin sa place dans le tourbillon de l’Histoire, revanche d’un fils incompris qui dira de son enfance «J’ai grandi dans la poche du gilet de mon père, oublié comme un penny».
Il révélera aussi la correspondance échangée avec lui lorsque pensionnaire à Ascot, à Brighton, puis à Harrow il l’implorait de venir le chercher pour les vacances de Noël. Les critiques paternelles infligées: «Comme tu es stupide, Winston, de ne pas t’en tenir à « Mon cher Père », et d’en revenir toujours à « Mon cher papa ». C’est une imbécillité.»
C’est sur cette trame que s’est construit ce livre passionnant, qui se démarque totalement des biographies du Vieux Lion, devenu à 65 ans un chef de guerre, capitaine d’un navire en perdition, d’une nation qui en fera de son vivant plus qu’un homme, un mythe.
Alors que depuis une année l’Angleterre subit les attaques meurtrières de l’aviation allemande, que Roosevelt, cloué dans son fauteuil, ne bouge plus, Churchill, alors Premier ministre, va par ses discours enflammés exalter les troupes. Il s’expose, il a toujours aimé ça, parader, être vu, descendre dans l’arène, comme il le faisait au temps de sa jeunesse rebelle pour défier ce père le qualifiant de «raté mondain, de funambule, de plaisantin.»
En suivant les failles secrètes d’une existence menée au galop, l’auteur livre ici un portrait singulier du Vieux Lion. Un homme parvenu à changer le cours de l’Histoire en défiant Hitler qui puisait son énergie, une vérité suprême dans la guerre.
La guerre qui toujours le sublimera …
Une lettre envoyée à son épouse en témoigne. Winston est sur le front des Flandres, en pleine boucherie 14-18; il a sous ses ordres 700 hommes et une trentaine d’officiers. Il lui écrit : «Malgré le froid et les inconforts de toutes sortes, j’ai trouvé ici un bonheur et un contentement que je n’avais pas éprouvés depuis des mois. Sais-tu que je me sens rajeunir»…
Il avait à peine 20 ans lorsque son père est mort, aristocrate paranoïaque rongé par la syphilis, sujets à des crises d’hallucinations.
Des années plus tard, en 1953, année où Churchill a reçu le prix Nobel de littérature, il dira à son secrétaire, Jock Colville, un matin en se rasant : « Aujourd’hui, nous sommes le 24 janvier. C’est le jour où mon père est mort. C’est le jour où je mourrai moi aussi.» Ce qu’il fit : Winston Churchill s’est éteint le 24 janvier 1965. Fidèle toute sa vie à ce père érigé en modèle.
«Tu seras un raté, mon fils», Churchill et son père, de Frédéric Ferney, Ed. Albin Michel – 249 pages – 17€.