La chronique littéraire de Christine Letellier – Indridason : l’affrontement d’un auteur avec sa créature

Publié le 24 février 2015 à  23h09 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  18h41

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Ses thrillers depuis «La Cité des jarres» ont propulsé l’Islandais Arnaldur Indridason sur la scène internationale. Ses romans sont traduits en 27 langues et chaque nouveau est attendu avec impatience.
Le dernier sorti a d’abord créé la surprise : dix ans après avoir créé son personnage fétiche, le fameux Erlendur, Indridason décide avec «Les Nuits de Reykjavik» de raconter la première enquête d’Erlendur en flic débutant.
Le risque de décevoir était grand, le zoom arrière étant souvent un piège… Mais il y a aussi des exceptions ! La preuve ? Nous voilà plongé à nouveau dans un thriller remarquable, avec un jeune flic qui porte en lui défauts et qualités qui feront son succès : l’obstination mélancolique du futur commissaire pour les disparitions trop vite classées, sa ténacité, sa force à résister aux pressions, son empathie pour les cabossés de la vie et surtout cette intuition à fleur de peau, reliquat d’une enfance marquée par la disparition de son frère dont le corps n’a jamais été retrouvé.

Qui s’intéresse à un clodo …

Erlendur jeune flic vient de prendre ses fonctions. En bon « bleu », il doit faire ses preuves et commencer par les tâches les plus ingrates : chauffards alcoolisés, femmes battues arrivant en pleurs au commissariat, toxicos à la dérive, clodos en mal d’alcool, bref veiller sur les nuits de Reykjavik «si étrangement limpides, si étrangement claires, si étrangement sombres et glaciales». Tricotée par un auteur qui sait parfaitement mettre en mouvement ses pièces maîtresses, l’intrigue prend rapidement corps, comme une belle mayonnaise. On se délecte alors du talent d’Indridason qui, à partir d’une simple rencontre qui va devenir une amitié entre Arnaldur le jeune flic et Hannibal le clodo atrabilaire, c’est tout un magma de vies éclaboussées, de destins, de rancœurs, de jalousies trop longtemps tues qui vont éclater au grand jour.
Un joli travail d’artiste pour l’auteur qui dit volontiers «avoir besoin pour écrire d’un scénario complexe, de donner toute son importance à l’atmosphère, à la crédibilité des dialogues, à celle de ses personnages» .
Et on devrait ajouter son goût du détail : on apprend ainsi que jeune flic, le futur commissaire Erlendur conservait déjà derrière une porte menant au jardin de la graisse de baleine, des abats surets et du boudin dans un seau rempli de petit-lait…. Avec « Les Nuits de Reykjavik« , Indridason dépasse la notion de thriller pour faire de son personnage le héros d’un roman engagé, très actuel sur les grandes mutations de l’Islande entre bourgades perdues entre ciel et volcans et villes à l’urbanisme galopant.
« Les Nuits de Reykjavik », Arnaldur Indridason – Éditions Métailié Noir – 261 pages – 19 €.

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