Publié le 2 octobre 2015 à 23h19 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 20h07
Kaddour et le vacillement d’un monde –
La Tunisie des années 1920, un protectorat français qui commence à s’essouffler, un entre-deux guerres qui veut oublier celle de 14/18 en se berçant d’illusions, en rejetant ce vent de modernité qui circule, en rêvant à des jours meilleurs sans imaginer avec quelle rapidité tout cela va disparaître. Pour en évoquer les prémices, les bouleversements à venir, ces évolutions qui soufflent dans l’air porteuses d’indépendance, de nationalisme, Hédi Kaddour plante son décor dans la ville de Nahbès au nord de la Tunisie. Nahbès est alors une petite ville au croisement des cultures, d’un univers où le parler virevolte en plusieurs langues, une ville sous la puissance de ceux qui ont le pouvoir, les Colons qui se retrouvent dans un club très fermé. Ce club l’auteur l’a appelé «le Cercle des Prépondérants», – joli clin d’œil- on est proche du mot Protectorat- où ne sont admis que les notables «européens» qui règnent ici en maître du pays colonisé. Les hommes et les femmes de ce beau roman, Renia, la rebelle et pourtant fille de Si Mabroukgrand bourgeois de la Capitale, ancien ministre du Souverain, Raouf, son cousin, Kathryn, Neil,Gabrielle la journaliste française sont à la fois les acteurs, les gagnants ou les victimes de ce vent de modernité que véhiculent ces années 1920.
Le premier choc va avoir lieu quand débarque dans cette petite ville aux grands principes une équipe d’Américains d’Hollywood venue tourner un film d’aventure. Voilà qui va aviver les conflits entre notables traditionnels, colons français et jeunes nationalistes. Les femmes les premières se prendront à rêver d’indépendance au sens de la reconnaissance de leur statut, droit aux études, droit à s’émanciper etc. Il ne se passe rien de plus à Nahbès que ce qui s’est passé ailleurs. Mais tout s’imbrique tellement bien, dans cette manière que l’auteur a de concilier le politique et l’écriture romancée, que l’on se laisse vite prendre au jeu de ce livre. Il est construit autour de personnages qui, petit à petit le structurent, lui donnent sa mobilité, sa puissance d’évocation. Cela tient aussi à l’écriture de Hédi Kaddour qui est fluide, on a envie de dire fruitée, précise et surtout nourrie d’une belle richesse littéraire, jamais imposée. Là où il faut, quand il faut.
Les Prépondérants – Hédi Kaddour- Gallimard, 460 pages, 21€
«Un amour impossible» de Christine Angot
Pouvoir et domination, inceste, amour et répulsion, depuis 2012, depuis «Une semaine de vacances», Christine Angot met à nu, décrit dans les moindres détails avec la précision d’un entomologiste, une relation des plus complexes, l’inceste, l’ignominie d’un père envers sa fille. D’Angot on a dit depuis tant de choses, des mauvaises souvent, des bonnes parfois au point de voir se former des clans, pour ou contre Angot ! Et puis soudain, comme par miracle en cette rentrée littéraire, dès la sortie de son dernier opus «Un amour impossible» voilà la critique qui s’enflamme en un zèle cocasse balayant les tsunamis d’attaques de ces dernières années. Porté au pinacle, son dernier livre est propulsé dans le peloton des meilleures ventes. L’effet Angot fonctionne toujours.
La guerre sociale comme canevas
Alors oui, à quoi bon? A quoi bon s’étendre sur ce récit -ce n’est pas un roman, qu’on se le dise- où père, mère, inceste, mensonge, honte et amour tournent en rond comme le hamster dans sa cage. Certes, on ne peut nier que l’on n’efface jamais un tel traumatisme. Mais une fois que cela a été dit, écrit, commenté, retenu …. Que peut l’auteur en attendre de plus ? Avec ce dernier ouvrage, si on n’a pas la mémoire qui flanche, on peut ressentir une impression malsaine à curer une plaie qui ne veut pas «guérir», à l’entretenir. Avec «un amour impossible» cette fois c’est la guerre sociale qui est portée sur le devant de la scène. Qui orchestre cet amour voué à disparaître entre un père, bourgeois parisien, traducteur dans les années 1950 pour une base américaine et sa mère Rachel, jeune employée d’un bureau de la sécurité sociale. La mère silencieuse, qui dit n’avoir rien vu, ce père absent, fantasmé, admiré et qui pourtant viole sa fille, la sodomie (eh oui, on n’y échappe pas!), tout y passe. Seulement, le style, lui trépasse… Cette manière de retranscrire en version complète la chanson de Dalida «notre histoire est un amour… » pour évoquer la première fois où père et mère ont dansé ensemble, est pour le moins affligeante ! Et il y en comme ça quelques guirlandes de phrases entrelardées de répétitions accumulées pour dire la colère, la honte, les interrogations d’une femme qui cherche à comprendre l’amour d’une mère pour ce père qui les a toutes deux trahies, humiliées. Et finalement, c’est là que le bât blesse. Divise. Vouloir faire d’une confession, aussi poignante soit-elle, un roman a toujours été un art difficile.
«Un amour impossible» de Christine Angot. Flammarion. 18€.
Des livres à ne pas oublier
Lisez-les, ils ne seront pas tous primés, c’est une évidence, mais ce sont de bons romans d’auteurs qui méritent leur place dans cette cavalcade habituelle de la rentrée littéraire. Les deux précédents livres de Joël Dicker, « Les derniers jours de nos pères » suivis toujours en 2012 de « La vérité sur l’affaire Harry Quebert« , primé par l’Académie Française, par le Goncourt des Lycéens ont eu un énorme succès. Ce jeune écrivain (30 ans) né en Suisse le mérite bien et on ne peut que lui souhaiter avec son dernier opus « Le livre des Baltimore » le même succès que celui remporté par « L’affaire Harry Quebert » vendu à plus d’un million d’exemplaires. Vous serez littéralement « bluffé » par sa capacité à construire, rassembler les pièces d’un puzzle très complexe où s’entrechoquent toutes les formes de jalousie qu’un univers sans pitié peut inventer, bien au-delà du sens purement affectif qui n’en est qu’une facette. Voilà qui exige une bonne dose d’intelligence et une solide maîtrise du texte, autant d’atouts dont peut se prévaloir cet auteur à suivre de près. Ces trois livres cités ont été publiés par les Éditions de Fallois. Ne pas oublier également Anne Dufourmantelle pour « L’envers du feu » paru chez Albin Michel. Psychanalyste et auteure de nombreux essais, Anne Dufourmantelle réussit avec ce premier roman à bâtir autour du monde de l’inconscient une intrigue suffisamment solide, littéraire, pour guider en douceur ses lecteurs vers les méandres où se nichent les secrets de l’inconscient. C’est passionnant. A découvrir aussi l’intrigue poignante qu’a tricotée Alice Zeniter avec « Juste avant l’oubli » son dernier roman publié par Albin Michel/Flammarion. Il faudrait citer encore Nathalie Côte pour « Le renversement des pôles », (Flammarion), ou encore « Daniel Avner a disparu » d’Elena Costa (Gallimard) ou ce très singulier premier roman « Ressources inhumaines » de Fréderic Viguier (Albin Michel) et puis d’autres encore….