Publié le 30 décembre 2015 à 0h08 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 21h31
Dans un monde en convulsion tel qu’on le vit, la parution d’un nouveau livre sur ce cher Marcel Pagnol peut surprendre autant qu’un ovni ! D’autant que l’on a l’impression de tout savoir sur ce personnage de légende, ses romans, ses films, ses pièces de théâtre. D’être aussi, osons le dire, un peu saturé des Pagnolades, de ces caricatures d’un Sud de la France qui a tellement changé même si le «Ferry-Boaaat » est toujours là.
Eh bien non ! Détrompez-vous. On y retrouve René Clair, cinéaste issu du muet, très inspiré par les arts plastiques, proche alors du mouvement dadaïste; Cary Grant qui, au plus haut de la gloire de Pagnol Outre-Atlantique, projette de venir tourner sur la Côte d’Azur un film avec son ami Marcel, et puis encore John Huston, William Wyler, Jean-Cocteau qui assiste au tournage de « l’Éternel retour» avec son compagnon Jean-Marais. Dans la longue correspondance entre Pagnol et Cocteau, il est souvent question de l’Académie Française, poussiéreuse et surannée, de ses mesquineries. Cocteau adoubé par la Nouvelle Vague qui raconte comment grâce au soutien financier de Truffaut, il va enfin pouvoir tourner «Le testament d’Orphée» qui sera d’ailleurs son dernier film. Un Cocteau très affaibli qui loin des crocs-en-jambe de ses pairs continue de développer une intense activité créatrice dont il tient toujours son «cher Marcel» informé et puis tant d’autres encore qui donnent à ces correspondances un singulier attrait. C’est toute une vie du cinéma, du théâtre, d’un monde en pleine mutation qui des années 1929 à 1974 court de ligne en ligne.
Des amitiés inattendues
Des lettres drôles entre copains, des engueulades plus vraies que nature où chaque mot est choisi et non compressé comme dans un mail ou pire dans un SMS !
Ce sont aussi des amitiés inattendues, venant de Londres, New York, L’Argentine, Maurice Chevalier qui implore Marcel de lui donner un rôle du fin fond de la Californie; Rossellini qui le considère comme le véritable père du néoréalisme; Preston Sturges qui fit une traduction et une adaptation très anglo-saxone de Marius et Fanny et qui, sur ordre d’un Pagnol trahi jusqu’à la moelle, n’a jamais été projetée dans les salles françaises ! Et puis encore … Mais, n’en disons pas plus, c’est à lire. Et vous serez séduit dès le début par ce couple indissociable que formèrent Pagnol et Raimu, deux fortes têtes s’aimant autant qu’ils étaient différents l’un de l’autre. Et ce jusqu’à que mort s’en suive ce qui finit par arriver à Raimu, disparu prématurément, laissant un Pagnol effondré.
Combat de coqs !
Toute leur vie Raimu et Pagnol ont joué à « qui perd gagne ».
Raimu avec sa gouaille, ses arguments pompeux, prosaïque à outrance, partait toujours gagnant mais à l’arrivée, ce fin lettré et stratège qu’était Pagnol l’emportait d’une tête, ayant au préalable concédé quelques faveurs à son bouillonnant ami de toujours.
Leur première rencontre date de 1928. Pagnol a 33 ans, il vient d’achever l’écriture de Topaze et de Marius; son aîné Raimu connaît alors une ascension fulgurante passé de comique troupier à acteur de théâtre de boulevard. Un fort en gueule qui en impose par son jeu explosif. C’est donc dans sa loge qu’il daigne recevoir Pagnol, cet auteur dont on parle et à qui il demandera d’emblée en saisissant le manuscrit de Marius : «Est-ce qu’il y a au moins un rôle important pour moi ?» Avant d’ajouter : «Bon, laissez-moi votre couillonnade marseillaise, je la lirai quand j’aurais le temps!».
Dès le lendemain matin, coup de téléphone à Pagnol d’un Raimu qui dit accepter de jouer dans son film à condition qu’on lui attribue le rôle de César et non celui de Panisse comme prévu. Déjà, il impose ses diktats et la suite s’écrit par des échanges épistolaires savoureux. Ferraillant l’un et l’autre pour imposer leurs choix, de lettres en lettres on voit se construire les films, choix des acteurs de second rôles «impérativement bons mais à bas prix»; Raimu qui ne s’embarrasse jamais de critiquer les choix de l’auteur, mise en scène, attribution des rôles, financement, intrigues amoureuses qui ordonnent la sélection des seconds rôles. Le cinéma vit en vase clos et certaines artistes femmes se verront ainsi, malgré leur immense talent, écartées d’une production par un Raimu qui ne transige pas ! Un bon acteur est « irremplaçable », une actrice… De voir aujourd’hui de nombreuses femmes réaliser des films lui ferait avaler sa panisse !!
Autant de coups de piques épistolaires drôles entre ces deux êtres dont on peut se demander que seraient-ils devenus l’un sans l’autre, Pagnol offrant à Raimu la fameuse «Trilogie marseillaise»; Raimu lui apportant pour sa part la légendaire partie de cartes du Vieux-port et tant de répliques, surannées certes, mais qui font toujours sourire. Exemples : «Tu n’es pas bon à rien, tu es mauvais à tout ! » ou encore «Qu’est-ce qu’ils ont tous à pleurer autour de mon lit… C’est déjà bien assez triste de mourir…S’il faut encore voir pleurer les autres !»
Un monde en pleine mutation
Au travers de toutes ces lettres rassemblées courant sur 260 pages, écrites par des acteurs, réalisateurs, auteurs se dessinent ainsi les influences artistiques des époques traversées, la douceur de l’avant-guerre, les contraintes et les relents de l’occupation, les influences d’Outre-Atlantique après la libération. Plusieurs époques où la petite histoire tutoie toujours la grande.
Marcel Pagnol «J’ai écrit le rôle de ta vie» – Édition établie par Nicolas Pagnol – chez Robert Laffont – 261 pages – 21€.