La chronique littéraire de Jean-Rémi Barland. ‘Blanc’ de Sylvain Tesson : périple entre l’ombre et la lumière

Publié le 22 janvier 2023 à  21h07 - Dernière mise à  jour le 27 mars 2023 à  18h02

«Les hautes montagnes pour moi sont comme un sentiment», disait Lord Byron, tandis que l’on trouvait dans le «Gargantua» de Rabelais l’idée que «le blanc, donc signifie joie, plaisir et liesse, et signifie cela non à tort, mais à bon droit et à juste titre.» Ces deux pensées mises en exergue par Sylvain Tesson dans son livre «Blanc» qui paraît chez Gallimard résument tout à fait l’ambiance particulière de ce journal de montagne où l’auteur enchaîne les sommets avec ce qui est au final ascension vers un désir de pureté.

Sylvain Tesson, un aventurier des hautes cimes. (Photo Francesca Mantovani/Gallimard)
Sylvain Tesson, un aventurier des hautes cimes. (Photo Francesca Mantovani/Gallimard)

L’auteur Sylvain Tesson raconte: «Avec mon ami le guide de haute montagne Daniel Dulac, je suis parti de Menton au bord de la Méditerranée pour traverser les Alpes à ski, jusqu’à Trieste, en passant par l’Italie, la Suisse, l’Autriche et la Slovénie. De 2018 à 2021, à la fin de l’hiver, nous nous élevions dans la neige. Le ciel était vierge, le monde sans contours, seul l’effort décomptait les jours. Je croyais m’aventurer dans la beauté, je me diluais dans une substance. Dans le Blanc tout s’annule – espoirs et regrets.» Splendide l’écriture se garde de tout effet ; Les phrases sont plutôt courtes mais jamais sèches, et on ressent, à la lecture, le froid, la chaleur, l’engourdissement des membres, la jubilation d’atteindre les cimes. Remplacer amour par «blanc», dit-il car «dans le Blanc», confie-t-il en conclusion: «Tout s’annulait : les vœux comme les regrets. On se suspendait dans une méditation, scandée par le mouvement. La joie de la contemplation se mêlait à la jouissance de tracer dans l’absolu. L’effort seul opérait le décompte. La fatigue sacrait le sentiment d’accomplissement.»

« Blanc » avec un B majuscule

Quant à savoir pourquoi Sylvain Tesson écrit «Blanc» avec un B majuscule il s’en explique en montrant qu’il s’agit d’une entité, d’un monde, d’un univers. «Le Blanc» précise-t-il: «C’est évidemment la couleur de la neige, cet écosystème dans lequel j’ai passé ces quatre années, par fractions. Pour moi c’est plus qu’une couleur : une substance, et plus qu’une substance : un état. Comme s’il y avait une blancheur intérieure, composée à la fois d’un oubli de soi et, pour de simples raisons de survie, d’une grande attention au monde, dans une alternance permanente entre l’aguet et le repli intérieur. Cette blancheur spirituelle se double d’un sentiment de dissolution totale du temps et de dilatation de l’espace. En une journée, on parcourt au mieux douze kilomètres, il faut parfois deux, trois heures d’efforts acharnés pour grimper trois cents mètres de pente raide et glacée. Le contraste est absolu avec notre rapport moderne à l’espace, rapide à l’excès.»

Et de décliner toutes les formes de cet état en insistant sur l’idée que dans ce Blanc-monde il y a le sentiment d’abandon exprimé avec une absence d’emphase : «Il y a en effet une dissolution, mais non une dissolution du monde dans le blanc : il s’agit en fait d’une dissolution de soi. L’effort physique est tellement intense, le paysage est tellement uni, absolu, mental, matriciel, élémentaire en fait, qu’il n’y a pas de place pour les regrets, les remords, les angoisses et les ambitions. Les considérations négatives sur le passé, l’anxiété de l’avenir, tout cela n’existe plus. Tout se résume à un pas après l’autre dans un environnement qui semble lui-même ne pas exister, parce que le blanc, c’est aussi l’anesthésie des sens. L’œil n’est plus attiré, les odeurs s’annulent, les sons s’atténuent, le toucher est sans objet. Cela devient un voyage très intellectuel, très cérébral. On devient une espèce de cortex en mouvement, c’est étonnant !» Quatre parties intitulées « La liberté », « Le temps », « La beauté », « L’oubli » faisant suite à un avant-propos formulé par la question très kantienne : «Que faire ?» couvrent les quatre années d’un périple où sera célébré en conclusion «L’adieu au Blanc».

« La lecture est partout parce qu’elle est l’autre plan du monde »

Simplement spectateur contemplatif Sylvain Tesson ? Certainement pas puisque la lecture a nourri pas mal de ses heures de voyage dans le «Blanc ». «Oui, dit-il, mais sous forme de poésie uniquement. Quand on doit transporter sur le dos tout ce qu’on possède dans la limite de dix kilos, chaque gramme compte, les romans sont proscrits. Mais la poésie est une lecture formidable, inépuisable puisque le poème se relit à l’infini. Une petite anthologie très légère suffit à nourrir profondément. D’autre part, même dans les refuges non gardés et les cabanes, on trouve des livres, on fait des rencontres incroyables : saint Augustin en Haute-Savoie, L’homme foudroyé de Cendrars dans le Queyras, Proust en Ubaye… La littérature est partout, parce qu’elle est l’autre plan du monde.» Une remarque en forme de profession de foi.

Lecture de Micha Lescot à la voix magnétique

Comédien inventif que l’on a vu chez Jean-Michel Ribes, aussi à l’aise dans la comédie que dans le drame, Micha Lecot propose pour «Écoutez Lire» de chez Gallimard une lecture intégrale de «Blanc» à retrouver en CD MP3. D’une voix magnétique il nous entraîne irrésistiblement «aux marges du monde connu, à la rencontre de paysages à la blancheur sauvage.» Sylvain Tesson rescapé d’un terrible accident et qui a signé avec «La panthère des neiges» un pur chef d’oeuvre ne pouvait trouver meilleur interprète que Micha Lescot, qui, comme lui, a subi en 2015 une chute (en scène en ce qui le concerne) alors qu’il jouait au théâtre. Les réunit surtout un même sens de la poésie, et de l’amour d’une littérature «de grand dehors». Un grand livre pour une grande voix en quelque sorte !
Jean-Rémi BARLAND

«Blanc» par Sylvain Tesson. Gallimard, 237 pages, 20 €. Lu en intégralité par Micha Lescot. 1 CD MP3 Gallimard – Écoutez lire.

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