Publié le 25 octobre 2021 à 20h01 - Dernière mise à jour le 2 novembre 2022 à 9h11
S’il est vrai que pour reprendre l’expression de Tolstoï au début de son chef d’oeuvre «Anna Karénine » : «Les familles heureuses se ressemblent toutes. Les familles malheureuses sont malheureuses chacune à leur façon», celle présentée par Clara Dupont-Monod réalise la synthèse des deux. On dira en résumé qu’elle fait avec et jamais contre.
Tragique au départ, avec l’arrivée d’un enfant handicapé puis sa mort, l’existence des uns et des autres devient lumineuse avec l’arrivée du dernier-né après le décès de son frère, qu’il n’a pas connu, répare, console, et apaise. «Un jour dans une famille, est né un enfant inadapté», nous dit-on dans l’incipit. Pas d’indications de noms dans le déroulé de l’histoire, nous sommes dans une forme qui tient du conte, ce qu’a souhaité l’auteure dans l’agencement du récit.
Trois voix se font entendre qui présentent l’enfant «empêché » un garçon dont le corps pousse et grandit mais dont les sens ne sont pas au rendez-vous, puisque le cerveau ne transmet pas au corps une quelconque action ou réaction. Tout est vu du point de vue de l’aîné, de la cadette et de ce que l’on pourrait appeler «l’enfant consolant», né après la mort de ce frère handicapé qu’il n’a pas connu. Chacun des trois incarnant un sentiment. L’aîné qui s’attache à l’enfant de manière fusionnelle porte le thème de l’amour. D’ailleurs il ne se remettra pas de sa mort, endossant après celle-ci les habits sans couleurs d’une vie sociale terne faisant un pas en arrière du monde.
La cadette furieuse incarne la colère et le dégoût devant le corps de son frère. Effrayée par sa vulnérabilité elle porte en elle l’idée que ce frère handicapé l’a privé de son frère aîné. Le dernier de la fratrie sorte de miracle demeure la résilience nourrie de songes. Mais si le point de vue très original de la fratrie demeure le moteur de cette longue confession de larmes et de reconstruction, (on s’attache en général avec pareil sujet à privilégier le point de vue des parents), la parole est ici donnée aux pierres du jardin qui, depuis des millénaires en ont vu passer des drames et des joies. Le minéral immuable contre les bruits du monde en quelque sorte. La sérénité du temps contre le fracas des êtres dans un monde agité. Les objets ayant ici à comme le suggère le poète «une âme». Et très belle au demeurant. Nous sommes dans les Cévennes, pays de roches et d’herbes sauvages, où l’on construit des murs de pierres sèches, où les unes soutiennent les autres. Métaphore en fait de cette fratrie dont chaque membre s’imbrique dans l’autre pour au final éviter qu’il s’effondre.
Couronnée par 6 voix contre 5 à Thomas Berthet-Reverdy
Magnifique roman en prise avec un perception panthéiste du monde, de facture grave mais jamais sinistre, et par moment solaire, «S’adapter» est un choc émotionnel pour le lecteur. Et un tour de force littéraire qui a donc valu à son auteure le prix Femina 2021 par 6 voix contre 5 à Thomas Berthet-Reverdy pour son (aussi) très beau roman «Climax». Reconnaissons-le les dames du Femina ont eu en cet automne un goût très sûr…
Jean-Rémi BARLAND
« S’adapter » par Clara Dupont-Monod. Stock, 171 pages, 18,50 €