Publié le 25 septembre 2022 à 20h45 - Dernière mise à jour le 11 juin 2023 à 18h32
«Mourir avant que d’apparaître» de Rémi David est un livre d’empathie en forme d’ode à la littérature. C’est un récit d’amour, de désir, de passion et de larmes. C’est un premier roman où la tension d’écriture ne retombe jamais et qui offre des passages d’une beauté sombre.
Lors de la scène d’ouverture on découvre une grosse Allemande qui, souffrant de diabète, est dans l’incapacité d’élever son fils Abdallah Bentaga. Elle se voit contrainte de le confier au directeur du cirque Pinder. Ayant débuté dans la vie sous le signe des obstacles existentiels, celui-ci encouragé par Ahmed son camarade et frère de cœur se rêvera rapidement acrobate puis funambule professionnel. On le verra tenter de s’envoler au-dessus de ses contingences familiales personnelles et marcher sur un fil tendu entre rêve et réalité.
Il a dix-huit ans quand il rencontrera à Paris et par hasard interposé, un écrivain de 40 ans avec qui il partagera une histoire d’amour absolue et fatale. Cet auteur dont on nous dit qu’il est un homme qui aime les hommes qui aiment les femmes n’est autre que Jean Genet. Nous sommes en 1955 et sortant d’un long tunnel de stérilité créatrice va vivre grâce à cette relation non seulement sa plus belle et plus dramatique relation amoureuse mais aussi sa période la plus riche pour le théâtre, puisqu’on lui devra à cette période «Le balcon», «Les Nègres», «Les paravents» ainsi que le poème «Le funambule» dédié à Abdallah.
«Mourir avant que d’apparaître» est une œuvre de fiction, un roman. «En aucun cas un travail d’historien ni une biographie de Genet», précise son auteur Rémi David dans son texte de présentation en forme de préface. «Si le texte met en scène des personnages ayant réellement existé, s’appuie sur des témoignages, s’inspire d’une histoire vraie, il offre de cette histoire une réécriture qui ne s’interdit ni de combler, par la fiction, les silences des biographies en inventant certaines scènes manquantes, ni de prendre des libertés avec les faits en faisant prononcer par Genet des paroles qu’il a en réalité écrites», ajoute-t-il avant de conclure : «C’est donc une interprétation qui est livrée ici et qui ne saurait prétendre au mieux qu’à la vérisimilitude.»
Un écrivain magicien funambule
C’est pas à pas, et dans l’ordre chronologique des faits recensés que Rémi David nous présente la passion dramatique entre Genet et Adallah, qui alors âgé de 27 ans mit fin à ses jours dans la chambre rue de Bourgogne louée par Monique, une amie. Son corps en partie décomposé, découvert deux semaines après sa mort, entouré comme des bougies qui veilleraient sur lui par tous les livres de Genet qu’il avait fini par déchiffré chacun d’eux très méticuleusement lui qui savait à peine lire. Ce qui frappe à la lecture de ce roman poignant, c’est le refus de tout voyeurisme ou de spectacularisme irradiant ses pages. Pudeur, intensité, subtils portraits de tous les grands témoins de la vie de Genet….
Le plus marquant étant celui de Monique Lange -qui travailla comme secrétaire chez Gallimard. Genet son ami l’appelait «l’ange de Gallimard»- qui devint écrivaine, scénariste, comédienne et qui fut l’épouse de l’écrivain Juan Goytisolo de 1978 à 1996. Elle accompagne ici la vie de Genet avec l’esprit de résilience dont elle faisait preuve au quotidien, et Rémi David lui rend au final un hommage admiratif et vibrant.
Ne jugeant jamais, réussissant à inventer de manière plus vraie que nature quand il ne sait pas, remplissant les blancs de la relation Genet-Abdallah avec élégance, l’auteur de «Mourir avant que d’apparaître» (titre faisant référence à une formule empruntée au texte « Le Funambule » écrit par Genet en mars 1957, signe un texte de… magicien des mots. Lui-même réellement magicien Rémi David montre comment Genet tentera de voir Abdellah s’élever dans les airs, marcher sur un fil et comment il le vit chuter deux fois au sens propre se blessant gravement. Opérations multiples de l’acrobate, comment demeurer celui qui danse dans la lumière, le prodige que le poète a forgé de ses mains, Genet s’éloignant, et la fin de l’un et de l’autre… tragédie humaine en fait.
Tandis que Rémi David écrit en amont de l’épilogue : «On est prêt à tout, tous, à beaucoup renoncer, plus qu’on ne le croit, et beaucoup accepter pour un peu de ce que, secrètement, l’on espère. Un sourire, un peu de considération, une caresse. Des promesses. Une confidence intime ou un remerciement de l’amour, un semblant au moins de l’amitié, de la complicité. Surtout quand le complice est pour vous une idole.» Une pensée qui résume l’attitude de Monique, de Ahmed, l’ami de Abdallah, de l’entourage de Genet lui-même et qui éclaire le roman de l’intérieur. On est au cœur du cœur de chacun, d’où la charge émotionnelle qui se dégage de ce magnifique texte brûlant de vérité.
Jean-Rémi BARLAND
[(«Mourir avant que d’apparaître» de Rémi David, paru chez Gallimard – 167 pages – 18 €)]