Publié le 4 octobre 2021 à 18h24 - Dernière mise à jour le 1 novembre 2022 à 16h35
C’est l’histoire d’une femme qui ne sait dompter ni ses amours ni ses colères, et qui pense que la mort est plus douce quand elle n’est pas solitaire. C’est l’histoire d’une femme qui veut que ses enfants l’accompagnent dans son exil qui est en fait une mise à mort. « Deuil et sacrilège » pourrait être ce qui la meut, ce qui la fait avancer contre mauvais vents et infortunes familiales.
Cette femme, Médée, héroïne de Sénèque, Tommy Milliot, le metteur en scène de cette pièce donnée à La Criée avant de partir en tournée, a voulu la décrire en mouvements, donnant naissance à un portrait glaçant et sans effets. Celui d’une femme refusant la fatalité, construisant elle-même son destin sous nos yeux. Sénèque nous faisant assister en filigrane à la naissance d’un monstre nous invite à oublier le mythe au profit de l’être réel et la mise en scène de Tommy Milliot s’emploie à retrouver la tragédie entre terreur et fascination.
Un plateau nu, trois blocs deux sur les côtés face à face, un panneau barrant la scène, Tommy Milliot va à l’essentiel, refuse les artifices, évitant de son propre aveu «d’imposer de manière didactique quelque chose qui révélerait d’une forme d’autorité face au spectateur». Avec le souhait que ce dernier soit pris d’empathie et que même s’il sait que Médée va devenir une criminelle qu’elle ne tue pas ses enfants. Ce qui a fasciné Tommy Milliot dans son travail sur le texte de Sénèque c’est qu’il demeure selon lui succinct, proche de Shakespeare par exemple dont il a subi l’influence et qu’il permet de découvrir en Médée une parabole intéressante pour notre monde contemporain.
Une vision en lien avec le travail passé du metteur en scène qui a déjà monté des pièces tirant vers la modernité. «L’écueil qu’il faut éviter aujourd’hui concernant une tragédie serait de vouloir tout faire comprendre. Ce n’est pas nécessaire. Il faut réussir à créer une forme de lâcher-prise», précise Tommy Milliot qui ajoute: «Dans ma mise en scène, je tente de retarder l’apparition de Médée afin de générer du fantasme, de la projection. » Et avouons qu’il y parvient avec puissance et c’est même un des meilleurs aspects de la pièce.
Criminelle autant que magicienne
«Criminelle autant que magicienne», nous dit-on en note d’intention. Médée transgresse les limites de la psychologie humaine. Rappelons que par amour pour Jason, le héros grec qui a mené les Argonautes jusqu’en Colchide, Médée trahit son père, son royaume et tue son frère Absyrtos. Finalement exilé à Corinthe auprès du roi Créon le couple donne naissance à deux fils. La pièce de Sénèque commence quand Médée apprend l’annonce du mariage de Jason avec Créüse, la fille de Créon. Oscillant entre douleur et fureur, elle affirme alors sa volonté de se venger. Pour l’incarner sur scène Bénédicte Cerutti donne de sa présence et de la voix. Elle impose par sa force physique et sa haute geste verbale une héroïne hors normes qui pour pouvoir transgresser la loi des hommes, défie les Dieux. En nourrice Charlotte Clamens fait mieux que lui donner la réplique elle souligne les turbulences de son personnage, tout comme Miglen Mirtchev qui campe un Créon assez majestueux. Mais la grande réussite de la distribution demeure Cyril Gueï exceptionnel en Jason. Il glace d’effroi et nous embarque à lui seul dans cette noria de folies meurtrières. Un grand spectacle qui l’est justement par son souci de vérité et son refus de sombrer dans le pathos et le lourdement signifiant.
Jean-Rémi BARLAND
Médée de Sénèque dans une mise en scène de Tommy Milliot. Traduction de Florence Dupont. Texte édité chez Actes Sud – Créée à La Criée de Marseille la pièce est en tournée avec notamment une escale au Bois de L’Aune d’Aix-en-Provence en mars 2022
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