Dans son album « La place du fantôme », La Grande Sophie s’adresse à Suzanne dont le prénom apparaît dans sa chanson de la plage 10. S’en est suivi un ouvrage intitulé « Tous les jours», où à travers d’une centaine de lettres qu’elle lui adresse l’artiste lui raconte sa détermination de fille de militants qui se rêvait en Catherine Deneuve, version « Peau d’âne » avec une robe couleur du temps. Plus qu’un autoportrait et une biographie cet ouvrage singulier s’impose comme un accès privilégié aux coulisses d’une vie de femme en quête d’une place dans le monde. C’est ce livre épistolaire qui a servi de socle au spectacle que La Grande Sophie a donné à La Criée dans le cadre de Marseille Concerts.
« Est-ce que tout le monde éprouve le besoin d’écrire pour se raconter ? », s’interroge la chanteuse en exergue de son ouvrage. « Peut-être est-ce une façon de se rassembler pour ne rien perdre», précise-t-elle avant de conclure : « Nous avons tous besoin d’une oreille supplémentaire. A toi Suzanne. » Précisons que c’est après être tombée par hasard sur les Lettres à sa mère, d’Antoine de Saint-Exupéry que la musicienne a choisi la voie de la correspondance pour partager son histoire. Les lettres qui constituent le cœur du spectacle sont donc adressées à Suzanne, confidente imaginaire qui peut tout entendre, tout recevoir. Les souvenirs intimes, les rencontres déterminantes, les joies, les doutes et les réflexions d’une chanteuse sur l’évolution de son métier. Mise en espace par Johanna Boyé, cette performance nous plonge dans les souvenirs, les rêves et les réflexions d’une artiste qui, depuis plus de 20 ans, façonne la scène musicale française.
Dans ce récital La Grande Sophie revient sur son parcours, ses rencontres, son enfance, ses inspirations… Elle a écrit sa première chanson à 12 ans, formé son premier groupe à 13, fait la manche avec sa guitare lorsqu’elle était étudiante à Marseille avant d’enchaîner, plus tard, les albums et les succès. Avec humour et émotion, elle tisse une réflexion sur la création artistique, le temps qui passe et les choix d’une vie. Lit certaines lettres avant que de chanter les titres en relation.
Seule en scène
Et La Grande Sophie de se déployer seule en scène, guitare à la main, accompagnée d’un accompagnement sonore et musicale organisé depuis la régie. Revisitant ses principaux succès dont l’incontournable « Du courage » dont elle explique la genèse et qui fut repris par le Parti Socialiste dans certains de ses meetings et sans son accord formel, l’artiste installe de fait un dialogue avec le public. Si cela est très beau, voire sublime comme lorsque évoquant Françoise Hardy pour rappeler qu’elle lui a écrit deux chansons, elle interprète un morceau de l’exceptionnel « Le large », sorte de testament musical que l’on trouvait sur l’album « Personne d’autre » de la chanteuse disparue. Un extrait seulement. Et c’est là que bon nombre de spectateurs ont pu se sentir frustrés car La Grande Sophie n’a pas interprété ses titres dans leur intégralité. Cette impression de «découpe» fut à mon sens le maillon faible du concert. Pour le reste La Grande Sophie, née Sophie Huriaux le 18 juillet 1969 en Moselle, à Thionville, Provençale d’adoption, a offert un bijou scénique et artistique où elle a montré une fois encore qu’elle possédait générosité et voix d’or.
Jean-Rémi BARLAND
« Tous les jours Suzanne » par La Grande Sophie. Éditions Phébus, 240 pages, 21 €
